Ingrid Vallus – Le reste des vagues

CRITIQUE.
| danse |

texte
 Élie Castiel

★★★★

Dans le texte de présentation, une proposition sur le « temps qui passe », sur ces moments inquiétants, se retournements, l’amour aussi. Sur les changements, si rapides en ces temps d’incertitude, de doutes. Et une mise en contexte du geste chorégraphique. Propos abstraits qui, pour le commun des mortels, exigent une concentration totale, une complicité avec la danseuse, mais tacite, muette, car elle aussi du terrain du flottement. Nous finissons par laisser parler nos instincts à la vue de ce court spectacle d’une énergie foudroyante.

L’espace dramatique est simple, vierge, nu. Le mouvement se fait de gauche à droite. Au départ, la danseuse est debout entre deux amoncellements en forme de petite montagne de ce qui semble être du sable, qu’importe, une matière poudreuse.

La dialectique du mouvement perpétuel

@ Tangente

Le va-et-vient est incessant, aussi énigmatique que dérangeant. Chaque retour à la case départ ce fait à reculons comme s’il fallait arrêter le temps, le suspendre dans cet espace restreint qui paraît, à nos yeux, agréablement, un rapprochement de la scène, visionnement en ligne oblige, immense, intime.

La séquence se répète à plusieurs reprises, insistantes, chacune emboîtant le pas aux autres.

Le titre du spectacle paraît à la gauche de l’écran, suivi de trois petits points qui, on verra quelques minutes plus tard, ne sont que des centres d’éclairage qui changeront de place. Le décor s’immisce ainsi à l’artiste, ne formant qu’un, une sorte de complicité soutenue.

La caméra est un élément clé. Elle contribue à se comporter comme un danseur, formant une sorte de mise en abyme du pas de deux. Le titre demeure indécis. Et s’il voulait dire plusieurs choses à la fois, en fonction de ce chacun de nous perçoit de la vie, de la danse, du temps, de l’art en général? Soudain, on réalise que la chorégraphie, instinctivement, prend une attitude binaire, se transformant astucieusement en mise en scène. La captation numérique a maintenant tout son sens.

Il y a là quelque chose d’intrépide, de courageux, de bouleversant; la réalisation qu’exige ce temps de pandémie pour un visionnage en forme de webdiffusion revendique ses droits, propose une nouvelle aventure du regard et une morale du plan. Une morale de l’esthétique, du contenu, sans doute même d’une proposition philosophique sur l’existence. Celle de notre moment actuel.

Le in situ se confirme. On ne distingue plus le spectacle live de celui virtuel. Les moments vécus transforment notre perception de la scène. Le mouvement reprend de plus belle. Et la musique s’installe finalement, revendique son espace, se joint au mouvement, perpétuelle, comme si les tonalités musicales sortaient de l’âme de la danseuse. Parfait équilibre dans ce geste complice d’une symbiose inégalée.

@ Tangente

Face à l’art de la création, libre, individuelle, sans conditions, face à l’imagination sans bornes, la pandémie qui s’est installée dans nos vies sort indiscutablement perdante.

Puis en de plans rapprochés, le regard se pose sur la danseuse. Ce qui nous paraissait comme une forme physique affectivement androgyne de près, assume une nouvelle féminité, conquérante, rebelle. Ingrid Vallus assume cette condition avec autant de vertu que de dynamisme. Comme une Joconde debout, en pleine action, généreuse en retenue.

Il est temps que l’espace soit exploré. Le mouvement est au sol. Les bras, les jambes, le torse, le dos participent à une déformation voulue du corps. Le sensuel se bâtit à coups de gestes inusités, saccadés, brutaux, mais toujours dans la subtilité la plus radicale.

La caméra, une fois de plus, confirme sa complicité, tel une odyssée filmique qui ne cesse d’importuner, mais sans bruit, autant l’artiste que les spectateurs. Entre ces champs/contrechamps, une aventure amoureuse avec l’art de la représentation. Le critique décide alors de ne plus prendre des notes, submergé par la totalité de ce qu’il a vu et de ce qu’il verra.

Dommage qu’une courte présentation du spectacle quelques minutes après le début interrompe la beauté du geste et la continuité sans qu’on s’y attende le moins du monde. Seul bémol pour une proposition chorégraphique exceptionnelle.

Face à l’art de la création, libre, individuelle, sans conditions, face à l’imagination sans bornes, la pandémie qui s’est installée dans nos vies sort indiscutablement perdante.

FICHE ARTISTIQUE PARTIELLE
Chorégraphie
Ingrid Vallus

Interprète(s)
Ingrid Vallus

Conseiller à la scénographie
Andrew Forster

Musique
Kim Gaboury (aKido)

Éclairages
James Proudfoot,
assisté de Sophie Robert

Production
Tangente

Durée
35 min.

Représentations
En ligne

Jusqu’au 02 décembre 2020

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]