Fantasia 2023
< V >
[ FESTIVAL ]
Élie Castiel
Les lieux
étranges
et
bigarrés
de
l’altérité
Fin de parcours 2023 en ce qui concerne le signataire du présent texte. Bonne édition cette année de Fantasia. Mais on se demande d’ailleurs ce que fait le « asia » dans « Fantasia » depuis l’incorporation des films internationaux hors-Asie. Mais plus que tout, cette année, dans cette nouvelle catégorie qui existe depuis de nombreuses éditions, des films dont on se demande aussi ce qu’ils font dans ce festival. Questions que nous nous devons de nous poser.
Force est de souligner que cette manifestation cinématographique annuelle est devenue, avec le temps, une sorte de forum des images en mouvement, tous types, tous genres, toutes tendances confondu(es). À tel point où il est devenu, de coutume, de simplement entre tel ou tel film, tel ou tel réalisateur (et réalisatrice, de plus en plus présente) de traverser les espaces de l’altérité pour mieux comprendre notre monde. Pour les besoins de cette deuxième partie, en ce qui me concerne, cinq productions.
Des États-Unis, Blackout, où le mythe du loup-garou (je ne sais pourquoi, mais on pense du coup à la brillante production de la célèbre Hammer britannique des années 60, The Curse of the Werewolf (La nuit du loup-garou), du célèbre et incontournable Terence Fisher et un Oliver Reed percutant. Ici, chez Karry Fessenden, c’est dans le décor rustico-désertique quelque part chez nos voisins du Sud qu’a lieu l’action. Film de série-B qu’on apprécie pour sa juste valeur – pas trop d’excès, un plus dans la réalisation, différents univers créés, rompant un peu avec le genre et la transformation d’un Alpha Male en loup-humain permissif, imagé entre le grand-guignolesque et l’épouvante qu’on devine à mille lieues à la ronde.
Dans Late Night With the Devil, les frères Cairnes, Cameron et Colin, ont concocté un film astucieux, simple dans sa structure narrative, mais poussé par ce désir d’épouser le suspense par des moyens sophistiqués, presque jamais vus. Un talkshow animé par la présence d’un David Dastmachian imbattable. Le graphisme n’est pas dans l’illustration des faits sensationnalistes, mais bien dans le propos, le suggestif. Une sorte de peur, d’épouvante qui s’établit du plateau du spectacle-télé à la salle de cinéma. Cette remise en perspective de l’image-écran propulsé par les Cairnes nous laisse croire que l’avenir du genre est entre de bonnes mains et surtout imaginaires. Entre quelques shorts, des films-télés et peu de longs coté entre 5.5 et 6 dans la Bible IMDb, il importe peu aux deux frérots de l’importance qu’on octroie à leurs réalisations. Cette distance leur permet de se livrer à bâtons rompus dans leurs projets. Pour le grand plaisir d’un certain type de public.
Pandemonium, du réputé Quarxx (a.k.a. Alexandre Claudin) aurait pu être un exemple édifiant de très bon cinéma de genre. Mais en multipliant les récits (stratégie de mise en scène? Création d’univers parallèles et dans le même temps totalement dissemblables dans un même film? – autant de velléités parfois gratuites qui ne mènent presque à rien, si ce n’est que de créer des espaces fantasques qui disparaissent de sitôt. Quarxx, par contre, est très précis dans son aventure cinématographique et les liens entre l’Image et le Narratif sont savamment établis. Quelle porte choisir, celle de la droite ou de la gauche? L’une qui mène à… l’autre à… Et si ce n’était pas après tout qu’elles mènent toutes les deux dans cet endroit éternel de perdition? Magnifique direction photo de Colin Wandersman, Hugo Poisson et Didier Daubeach qui, en quelque temps et mouvements, s’emploient à définir le Diable au même niveau que l’Humain, quelque chose qui ressort du film, en filigrane, en dosages qu’on devine si on observe de près.
Transfuge de la Semaine de la critique à Cannes, Vincent doit mourir, de Stéphan Castang – en principe, le film devrait sortir bientôt en salle – montre jusqu’à quel point le cinéma hexagonal a changé ces derniers temps, l’horreur, l’épouvante, le cinéma de genre constituant une pierre angulaire pour cerner les doutes, les perversités, les interrogations de ses contemporains. La France n’est plus ce qu’elle était. Et le cinéma français n’est que le miroir de cette transformation. Entre le rapport au réel à la vision apocalyptique du monde, le film de Castang (premier long après quelques courts métrages) donne l’opportunité à l’excellent Karim Leklou de se dépasser. Honnêtement, ces comédiens et comédiennes, peut-être né(es) en France, mais issu(es) de l’immigration, particulièrement nord-africaine, sont vraiment costauds.
Finalement, avec Piaff, l’israélo-allemande Ann Oren, et qui a traversé quelques festivals un peu partout, propose un essai plus proche de la performance et des arts alternatifs plutôt qu’un récit en soi. Même si dans le film, la continuité semble de mise. Et du coup, des ruptures dans le rythme, des styles qui se confondent et nous laissent pantois. Un peu de désorganisation aussi. Mais des moments touchants où le rapport corporel n’est plus ce que l’on pense. Les sensations originelles ne sont plus uniquement de l’Humain, mais rejoignent, d’une certaine façon, l’espace animalier – ici, le cheval, de la famille des équidés, se joint presque littéralement à Eva (très convaincante Simone Bucio). Tiens! Eva, comme « la première femme du monde » selon le mythe biblique. Comme si du coup, pour Oren, elle refaisait le monde à sa façon. Une idée révolutionnaire et en même temps inquiétante qui propose à l’espèce humaine des territoires inconnus et même transitoires, de quoi soumettre notre imaginaire dans un terrain à la fois insoupçonné et mystérieusement équivoque.
Un point à souligner : Fantasia est un évènement plus anglophone que francophone. Rien de subversif à cela – c’est ainsi partout dans le monde. Mais tout de même, les présentations ne devraient-elles pas être, au moins, bilingues?