André Brassard.
1946-2022
HOMMAGE.
[ in Memoriam ]
texte
Élie Castiel
Géant,
certes,
mais
terre-à-terre
Le théâtre, il l’a dans la peau, dans l’être, dans la vie de tous les jours. À travers le prisme de la quotidienneté, des personnages, plus de femmes que d’hommes, de Montréal, plus particulièrement de l’est de la métropole.
Celles (et ceux) dont on ne parle jamais. Ces hommes et surtout femmes des années 60, de ce début de la deuxième moitié du 20e siècle. Une révolution tranquille au pays du Québec qui se manifeste grandement dans le domaine de la culture. Lentement, pas vite. Sûrement parmi « les gars et les filles qui bâtissent la culture » surtout.
Comment se voir à l’écran? Sur la scène? Dans le milieu de la chanson, et pourquoi pas la danse? Réveil d’une nation dans les arts de la représentation. Avec comme complice, Michel Tremblay. Car parler de Brassard, c’est immanquablement évoquer Tremblay.
Complices professionnels et affectifs. Non pas une affection portée uniquement sur l’intime, mais confondant cette partie de soi en soins créatifs. Esprit d’observation que Brassard, grâce ou mieux dit, conjointement avec Tremblay, transforme en écriture, en mondes où la différence, celle des classes sociales jusque-là mises de côté sont réhabilitées aux yeux du monde, de la société plurielle. Les pièces sont même traduites dans d’autres langues, comme le yiddish, par exemple.
Parler de l’œuvre de Brassard sans la juxtaposer à celle de Tremblay est un délit en soi, une partie de l’ossature conjointe artistique remuée à jamais.
André Brassard, c’est aussi s’éreinter au travail sans s’en rendre compte, c’est voir ses personnages sur papier se reproduire sur scène, ou au cinéma, comme l’incontournable Il était une fois dans l’est où les Filiatrault, Clément, Garneau et autres héroïnes s’inventent pour l’éternité. C’est aussi découvrir des talents de la scène, comme les Lafontaine (voir ici), les Rossignols. Des classiques, comme on dit.
Que laisse-t-il derrière lui? Un immense riche en vertus de la langue et de l’expression. Une langue qu’on croyait victimaire d’une époque et qui se réaffirme dans sa musicalité, sa poésie et plus que tout dans son attrait visuel. Car la langue québécoise populaire est, pour ne pas tomber dans le cliché, visuelle et survoltée, dans le sens ludique du terme.
Mais c’est aussi affirmer finalement une culture, la poser dans un bloc de ciment afin qu’elle ne puisse jamais être remuée.
Et puis, pour le dire une fois pour toutes, car souvent réprimé par certains, cet apport, peut-être inconscient ou pas, qu’importe, cet humour camp que d’aucuns affectionnent, inscrit dans le vécu québécois, notamment celui de la métropole, ville à part. Rappelez-vous de « On peut sortir la fille de l’est mais pas l’est de la fille. » et autres variations.
Le legs d’André Brassard, c’est l’immense œuvre qu’il laisse derrière lui, mais surtout son amour inconditionnel porté à l’art dramatique et aux petites gens qu’il a présentés avec la complicité de Tremblay.
La maladie, la longue maladie au cours de laquelle il s’efface pour que son œuvre se manifeste dans d’autres mains expertes. On s’en souvient, on l’oublie; et soudain, la chronique « décès » nous rappelle qu’il fut un temps où…
André Brassard, c’est prendre conscience une fois pour toutes que dans tous les milieux du domaine culturel, on oublie souvent de reconnaître le talent lorsqu’il se manifeste. L’époque des gratitudes, aujourd’hui, est-elle révolue? Car à force d’affrontements virtuels et d’émulation indirectes, partout dans la culture, on n’arrive plus à séparer le bon grain de l’ivraie.
Le legs d’André Brassard, c’est l’immense œuvre qu’il laisse derrière lui, mais surtout son amour inconditionnel porté à l’art dramatique et aux petites gens qu’il a présentés avec la complicité de Tremblay. À titre d’exemple, l’incomparable Duchesse de Langeais qu’il a mis en scène avec un sens inné de la désinvolture et du tempérament; où ce qui, pour l’époque, paraît de l’excès, devient comme par magie, un avatar transcendant intemporel, unique.