Becoming Chelsea

CRITIQUE
scène

texte
Élie Castiel

★★★★

Déconstruire le mythe en le réhabilitant

Un texte sans doute rédigé sous le coup de l’impulsion; de cette poussée d’adrénaline littéraire qui sollicite certains à l’expérimentation, jusqu’à déconstruire la fiction et nul doute le réel. Sébastien Harrisson ne passe pas par quatre chemins. Les principaux évènements de l’affaire Chelsea Manning sont présents, mais sous une forme évoquée par une singularité dans le rythme d’élocution des protagonistes, comme si ce cas politico-social ne devait être raconté que par une seule et unique personne.

Trois comédiens et une comédienne. L’un des trois, dans un rôle de transgenre – Sébastien René se surpasse dans cette partition exigeante, casse-gueule, celle qu’en principe, on ne joue qu’une seule fois dans sa vie; de ces compositions qui questionnent constamment le métier d’interprétation. René suit les directives du metteur en scène et parfois, au tournant d’une scène, se permet ou du moins donne l’impression d’improviser magnifiquement bien son personnage. Comme si ce dernier le possédait et plus rien ne comptait.

Effectivement, le becoming du titre suggère « en construction », non seulement comme si cette affaire n’était pas conclue, mais également à prendre comme la prise de conscience d’un auteur et d’un metteur en scène (qui se confond harmonieusement à l’écrivain) questionnant sans cesse leurs pratiques.

Le décor de Pierre-Étienne Locas s’adapte à cet univers futuriste où réel et science-fiction se juxtaposent dans un étrange ballet dramaturgique qui refuse catégoriquement la démonstration. C’est froid, distant, clinique, et merveilleusement représenté. La prise de pouvoir des effets miroir(s) n’est pas accidentelle, mais renvoie à notre propre matérialité. Tout passe par les mots, les phrases parfois pas très claires, mais dans le même temps porteuses de vérités.

Celles et ceux qui ont suivi l’affaire Chelsea Manning ne seront pas désorienté(es); au contraire, plutôt séduits par cette audace, ce refus de compromis avec le public, ce geste de liberté totale face à la création.

Notre devoir est d’entrer dans l’univers intime de l’artiste et non pas le contraire. L’art n’est pas démocratique et si certains ténors d’aujourd’hui défendent cette théorie, c’est faux. L’art, comme le vit Harrisson et Éric Jean, c’est un rapport avec la discipline qu’on professe, des liens secrets que nous ne pouvons pas comprendre. Et lorsque nous nous trouvons face à l’objet en question, une fois achevé, c’est à notre tour de saisir le sens de la création.

Mustapha Aramis & Sébastien RenéCrédit photo @ Yanick Macdonald

Lanceuse d’alerte, informaticienne, espionne pour des représentants du gouvernements. C’est le portrait sommaire de Manning. Mais pour le commun des mortels, une nouvelle femme, rebelle car prenant des risques énormes pour (re)donner à la notion de vérité ses lettres de noblesse.

On soulignera la mise en scène amoureusement cinématographique d’Éric Jean, soutenue selon un scénario de science-fiction politique. Lorsque nous voyons disparaître Chelsea dans son dernier acte sur scène, ce cours instant, à peine quelques secondes, demeure gravé dans notre mémoire.

Effectivement, le becoming du titre suggère « en construction », non seulement comme si cette affaire n’était pas conclue, mais également à prendre comme la prise de conscience d’un auteur et d’un metteur en scène (qui se confond harmonieusement à l’écrivain) questionnant sans cesse leurs pratiques.

Et une utilisation du bilinguisme (français/anglais) dans le texte. La réalité linguistique de notre monde actuel n’a jamais été aussi authentique. Le retour en arrière n’est plus possible. Becoming Chelsea est une pièce universelle.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Sébastien Harrisson

Mise en scène
Éric Jean

Distribution
Mustapha Aramis, Stéphane Brulotte

Marie-Pier Labrecque, Sébastien René

Assistance à la mise en scène
& Dramaturgie
Josiane Dulong-Savignanc

Scénographie
Pierre-Étienne Locas

Éclairages
Cédric Delorme-Bouchard

Costumes
Marie-Audrey Jacques

Musique & Environnement sonore
Laurier Rajotte

Concept-Vidéo
Julien Blais

Production @
les2mondes

Durée
1 h 15 min
[ Sans entracte ]

Représentations @
Prospero
[ Salle principale ]
Jusqu’au 14 mars 2020

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]