Corps et confettis, un cabaret de la Fratrie
@ La Chapelle | Scènes Contemporaines

| ART DE LA
  S C È N E |

CRITIQUE
Élie Castiel

★★★ ½

 

Corps

       sans

               voiles

Sont-elles « contemporaines », ces scènes de La Chapelle? Sans entrer dans des détails sémantiques plutôt barbants, on pourrait les considérer comme « alternatives » car se détachant du classicisme des autres espaces de création qui, qu’on le veuille ou non, s’ajustent progressivement à une certaine contemporanéité.

Mais à La Chapelle, on a droit à l’excellent, le très bon, le bon et le moins bon en matière de résultats, car il s’agit du sanctuaire de création le plus démocratique de la métropole.

Dans le cas de La Fratrie, la bien-nommée, une correspondance incroyable parmi les créateurs et créatrices de ce cabaret qui joue constamment avec les époques, même si la scénographie d’Anne-Sera Gendron, évoquant l’époque glorieuse des cabarets, la décennie 1950 et la première moitié des années 1960, demeure intacte au court du spectacle.

Respect de la durée : 65 minutes car dans les présentations de ce type, dépasser les 90 minutes, c’est déjà affolant pour l’auditoire. Mais un petit miracle se produit lorsque les créateurs comptent surtout sur la qualité des numéros.

Un sens inné du spectacle.
Crédit : Daniel Huot

Chansons, pirouettes, exhibitions, numéros non-binaires puisque La Fratrie propose une création LGBTQ+, plus proche de l’ère du temps. Surtout aussi pour afficher sans complexe la différence et plus que tout, le droit de cité et de reconnaissance, notion si contestée dans plusieurs endroits du monde.

Corps et Confettis, c’est de cela que se nourrissent les spectacles de ce genre, offrant au corps une certaine débauche salutaire, un je-m’en-foutisme jouissif dans les gestes et les comportements. Et soudain, comme si le temps s’était arrêté, offrir une ou deux chansons romantiques pour adoucir l’atmosphère.
Ce va-et-vient entre le charme et le déchaînement garantit un spectacle total et chez l’auditoire, une sorte d’excitation qui se manifeste par des réactions spontanées.

C’est gai, lesbien, bisexuel… LGBTQ+, camp, bien entendu, et d’une totale liberté. Qu’importe si la qualité de certaines prestations laisse un peu à désirer; du coup, le prochain numéro s’installe et promet des sensations qui sortent de l’ordinaire.

S’adresser directement
en prenant ses distances.
Crédit : Daniel Huot

Et puis, lorsqu’on est prêt à aborder des thèmes comme le beau et le laid, l’attirant et son contraire, l’amour et la déception, bref, tous ces sentiments humains de plus en plus tenus en laisse de nos jours, le résultat ne peut être que plus convaincant.

Une dizaine de numéros selon la trajectoire des six artistes sur scène. Elles sont belles, ils sont beaux. Les corps sont imparfaits, mais d’où émerge assez de sensualité pour susciter le regard.

Patrick R. Lacharité, maître d’œuvre de cet étrange, splendide cabaret qui défie le temps avec courage et détermination a le temps de rôder ses spectacles. L’enthousiasme et l’acharnement des participant(es) est déjà là.

Et puis, lorsqu’on est prêt à aborder des thèmes comme le beau et le laid, l’attirant et son contraire, l’amour et la déception, bref, tous ces sentiments humains de plus en plus tenus en laisse de nos jours, le résultat ne peut être que plus convaincant.

FICHE ARTISTIQUE
Création
Patrick R. Lacharité

Mise en scène
Patrick R. Lacharité, en

collaboration avec les interprètes
Textes
Natacha Filiatrault, Erika Mathieu

Alex Trahan, Yann Villeneuve
Interprètes
Antonya

Stacey Désilier, Jossua Dufour Collin
Natacha Filiatrault, Erika Mathieu
Alex Trahan, Yann Villeneuve
Chansons
Antoniya
Scénographie
Anne-Sara Gendron

Crédit : Julie Artacho

Conception sonore
Yann Villeneuve

Éclairages
Joelle Leblanc
Production
La Fratrie

Durée
1 h 05 min

[ Sans entracte ]

Auditoire (suggéré)
Adultes

Diffusion & Billets @
La Chapelle | Scènes Contemporaines
Jusqu’au 23 septembre 2023

 

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

Courville
@ TNM

 

| SCÈNE |

CRITIQUE
Élie Castiel

★★★ ½

 

Travellings

      avant

 

D’abord créée à Québec en 2021, Courville, nonobstant les clins d’œil faits à d’autres œuvres de Robert Lepage (mises en scène d’opéras, compris) est sans contredit sa plus intime, là où les souvenirs d’une époque – ce n’est pas par hasard si ça se passe au milieu des années 1970 – se présentent, se concrétisent, s’apitoient de ses faux pas, de ses erreurs, de cette idée qu’on peut se faire du temps, de son avancée vers un nouveau siècle qui traverse déjà les esprits, inconsciemment sans doute, mais bercé de promesses, d’un futur plus harmonieux et d’autres idées farfelues.

Les années 1970. Turbulences sociales et politiques, sexualité débridée qui se conjugue à tous les temps, mais ne s’accorde pas nécessairement avec tous les sujets, crise dans l’institution de la famille, un Québec qui explose en se débarrassant de l’hégémonie cléricale, partis politiques en plein combat d’idéaux discordants. Bien sûr, l’avenir de la langue française, comme jamais auparavant. Revendications linguistiques à l’intérieur même de la langue officielle, le français.

Spirituellement, dans les esprits, Québec n’est pas une « province », mais un « pays » à part entière. Ce qui fait changer les modes, les comportements, la musique qu’on écoute (sans toutefois nier les groupes anglais de l’heure), et Nicole Martin pour une certaine frange de la population (qu’on écoutera maintes fois dans ces radios-meubles vintage qui doivent coûter une petite fortune de nos jours), la radicalisation des idéaux, la droite qui ne sait plus où elle est, nostalgique d’une époque de soumission, la gauche qui se confirme à tous les niveaux. Et pourquoi pas, comme dans tous les pays occidentaux, la mode.

Un univers foncièrement conceptuel.
Crédit : Yves Renaud

Suite

Tableau final de l’amour
@ Usine C

 

[ S C È N E ]

CRITIQUE
Élie Castiel

★★★★ ½

 

On rappellera qu’en 1998, le cinéaste britannique John Maybury tourne une fiction sur la liaison entre Francis Bacon et George Dyer – Love Is the Devil: Study for a Portrait of Francis Bacon, avec Daniel Craig (George Dyer) et Derek Jakoby (bien entendu, Bacon), tous deux en état de grâce entre le désir charnel maladif et incontrôlable et le déchirement.

Dans la transposition théâtrale du roman de Larry Tremblay, le blanc du décor domine, des murs espacés d’entrées et de sorties et une toile blanche, comme un rideau de scène, en forme d’écran étalée sur toute son horizontalité où seront projetés des pans identitaires, sortes de support à ce récit d’une sensualité à fleur de peau.

Le peintre et son modèle ou plutôt son amant. D’un soir? D’un moment? D’une vie? L’artiste intellectuel et le mauvais garçon. Un opportuniste profitant du désir (et des avoirs) du peintre? Francis Bacon ou la déraison, le portraitiste de l’âme ensevelie, de l’être qui se dirige vers le néant.

Ces

lieux

imaginaires

Le charnel dans tous ses états.
Crédit : Usine C

Et puis Larry Tremblay et son texte déchirant, illuminé, enfoui jusqu’à ses retranchements les plus intimes, ses influences littéraires et artistiques, celles les plus surréalistes, déconstruites comme les toiles de Bacon. Et que la mise en scène d’Angela Konrad rend encore plus perceptible.

Konrad ou l’excès dans les gestes et les mouvements, dans la physicalité la plus disponible, mais surtout dans son anéantissement; Benoit McGinnis (jeune Bacon) traverse les moments du personnage avec une rage exemplaire qu’il voit comme un exutoire destructeur, un soupape contre son propre for intérieur en pleine ébullition. Face à lui, Michel Côté (George), un corps massif, souvent nu, sculpture, où le désir n’a nul besoin de raison.

Entre les deux personnages, des allers-venues d’un dialogue sur l’amour et la fidélité, sur les échappées nocturnes et  provisoires, entre le désir de créer et soutenir une liaison.

Un rapport dénué de raison.
Crédit : Usine C

Un spectacle pour adultes consentants, de ceux auxquels la dramaturgie québécoise n’est pas habituée. Des lieux imaginaires, fantasmés, pourtant réels, qu’on sent finalement le besoin de transposer.

Si la mise en perspective d’Angela Konrad subit un traitement inspiré, comme si la metteuse en scène était la témoin privilégiée des deux « amants » qui la laissent entrer en catimini dans leurs univers, le jeu intense des deux comédiens est si physique que cette particularité l’emporte sur toutes les autres.

Le corps respire, s’anime de toutes les passions, souffre, se complaît dans des souffrances morbides; le sang est présent et subsiste dans l’espace scénique comme une sorte d’œuvre de foi. C’est à un rituel que nous avons droit.

Un spectacle pour adultes consentants, de ceux auxquels la dramaturgie québécoise n’est pas habituée. Des lieux imaginaires, fantasmés, pourtant réels, qu’on sent finalement le besoin de transposer.

FICHE ARTISTIQUE
Texte
Larry Tremblay

D’après son roman éponyme
Adaptation
Larry Tremblay
Mise en scène
Angela Konrad

Assistance à la mise en scène
William Durbau
Interprètes
Samuel Côté

Benoit McGinnis

Scénographie
Hugo Dalphond-Laporte
Conception sonore
Simon Gauthier

Conception visuelle
Alexandre Desjardins
Éclairages
Hugo Dalphond-Laporte

Durée
1 h 20 min

[ Sans entracte ]

Auditoire (suggéré)
Adultes – 18 ans +

 

Diffusion & Billets @
Usine C
Jusqu’au 16 septembre 2023

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

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