À la toute fin, ce que l’on croyait être une rencontre avec le public (mais peut-être que nous avons tort de le croire) fait sans doute partie de cette pièce inusitée, instable. L’ensemble des comédiennes/comédiens sont assis devant le public et s’expriment sur l’ensemble de ce que nous avons vu auparavant, et très vite, le ton change comme si de rien n’était. Une façon comme une autre de dissuader le public, enthousiaste, du bien-fondé d’une entreprise subversive, du jamais-vu auparavant – ce n’est pas par hasard si c’est une production du Nouveau Théâtre Expérimental –, une nouvelle catégorie d’hybridité scénique fourre-tout qui a pour but de rendre la folie, l’absurde, le faux sans-fondement dans des situations hors du commun, une nouvelle identité comportementale.Suite
Des questions à la fois existentielles et de l’ordre de la création que se sont posées les incontournables Fanny Britt et Mani Soleymanlou. Un texte à la fois hybride, dans son sens affirmatif le plus noble et rendant justice à la scène ; car de ces nombreuses errances à travers le psyché humain, une charge de notre monde, notre individualité, nos désespoirs face à un vécu humain qui se déchire et sous les dehors de résilience, nous empêche peut-être de réagir.
Peut-être bien que les deux auteurs visent trop haut, essayant par tous les moyens de s’inscrire dans plusieurs univers à la fois, par-ci, par-là, faisant cas de toutes ces velléités qui s’emparent de nous du jour au lendemain et nous empêchent de survivre. On serait tenté de dire « ainsi va le monde » ou encore « ça a été toujours comme ça ».
Effectivement, un « classique » de l’activité cérébrale humaine, de la pensée, de notre rapport au monde, à l’existence, aux autres, aux guerres, à l’environnement. C’est le constat que l’on se pose dans cette œuvre qui, sous des apparences d’un humour pince-sans-rire et populaire, n’en est pas moins qu’une charge non loin de vitriolique de l’état actuel des choses.
On évoquera Poutine, Trump, bien entendu, le conflit au Moyen-Orient (offrant peut-être une seule voix discordante, plutôt que deux) ; on parlera d’économie, de responsabilités sociales, de trous de mémoire prémédités.
Et bien sûr de l’importance (ou pas) des classiques du théâtre dans nos vies et dans notre imaginaire. Sincère constat de Britt et de Soleymanlou qui se rapportent le plus souvent à la tragédie grecque, berceau de la scène, que Soleymanlou, en début du spectacle, nous explique avec autant d’esprit que de dérision. Car Mani Soleymanlou est également un comédien accompli grâce à son jeu d’une physicalité étonnante, sans doute issue de son Iran natal, combiné avec cet esprit québécois dissuasif.
Un rapport jouissif à la scène. Crédit : Yves Renaud
À la question « Les classiques sont-ils condamnés à n’être que de somptueux tombeaux culturels dans lesquels on ensevelit les spectateurs sous le poids des siècles ? » que suggère le programme de la soirée, on ne répondra pas à cette question. D’une part, pour éviter les surprises que procurent ce spectacle multiforme et dans le même temps pour donner l’opportunité à l’auditoire de se faire sa propre morale.
Normalement, le champ/contrechamp scénique prime au théâtre, mais ici, on s’adresse la plupart du temps directement à la salle (fallait-il également le rappeler ?), comme si du coup, chacun, chacune des personnes présentes se sentait intégrée aux divers univers proposés et devait se faire à l’idée qu’elle fait partie intégrante de ce qui se joue devant elle.
Sentir émotionnellement le moment. Crédit : Yves Renaud
[ … ] spectacle inusité et qui par moments, succombe à la tentation de donner libre court à ces classiques de l’Antiquité grecque (Antigone, Médée), par un tour de magie, offrant des échanges classiques auréolés d’une contemporanéité conquérante, prouvant une fois pour toutes que les choses n’ont pas vraiment changé.
Un casting de choix, dont, à titre personnel, Kathleen Fortin domine, justement en s’assurant qu’elle ne vole pas la vedette. Tous/tes les autres, dont Benoît McGinnis qu’on a vu récemment en James Bond (impeccable) dans un concert donné par l’orchestre FILMHarmonique dédié au célèbre Agent 007, ont ceci de particulier qu’ils contribuent à ce spectacle inusité et qui par moments, succombe à la tentation de donner libre court à ces classiques de l’Antiquité grecque (Antigone, Médée), par un tour de magie, offrant des échanges classiques auréolés d’une contemporanéité conquérante, prouvant une fois pour toutes que les choses n’ont pas vraiment changé.
En fin de parcours, nous sommes en droit de nous poser la question sur la morale de cette histoire qui se perd dans la nuit des temps, illustrant de façon cocasse aussi bien qu’acerbe notre insuffisante et insoutenable légèreté.
FICHE ARTISTIQUE PARTIELLE
Texte Fanny Britt Mani Soleymanlou Mise en scène Mani Soleymanlou Assistance à la m.e.s. Jean Gaudreau
Distribution Louise Cardinal, Martin Drainville Kathleen Fortin, Julie Le Breton Jean-Moïse Martin, Benoît McGinnis Madeleine Sarr, Mani Soleymanlou Musicien(nes) Mélanie Bélair (violon), Alexis Elina (piano) Annie Gadbois (violoncelle), Nicola Boulay (trompette, en alt.), Rémy Cormier (en alt.)
Crédit : Jean-François Gratton
Scénographie : Martin Labrecque, Mani Soleymanlou Costumes : Cynthia St-Gelais Éclairages : Martin Labrecque Musique : Philippe Brault
Durée 2 h [ Sans entracte ] Diffusion & Billets @ TNM (Salle Gascon-Roux) Jusqu’au jeudi 10 avril 2025
ÉTOILES FILANTES ★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Sans intérêt. 0 Nul. ½[ Entre-deux-cotes ]
On assiste, du moins, à quelque chose d’inusité, de difficile à déchiffrer, presque de l’anti-théâtre, comme si du coup, tous les préceptes de la représentation sur scène prenaient un nouveau tournant, déjouant les règles, les codes, pour les faire carrément disparaître.
Les corps se dévoilent, au sens propre comme au figuré – on ne vous dévoilera pas les détails. Les comportements revendiquent une totale liberté, quitte à choquer, embarrasser, mettre en relief les sentiments et les fantasmes les plus enfouis.Suite