Docteure
@ Duceppe

| ARTS DE
LA SCÈNE |

CRITIQUE
[ Théâtre ]
Élie Castiel

★★★ ½

Procès

de

singe

Entre la science et la croyance, entre l’entendement de l’éthique, selon qui des intervenants se pose la question, entre le vœu pieux de donner les derniers sacrements à une fin de vie ou laisser partir quelqu’un le néant dans l’âme. Entre la morale de la foi de l’un et la logique de l’autre.

Pour le récit, la mise en examen d’une docteure « éminente », juive de surcroît, dans une institution de santé où il semble, qu’en privé, tous les coups sont permis et que le personnel médical ressemble et se comporte comme les communs des mortels. Ils et elles sont humain(es) après tout.

Le texte du jeune Britannique Robert Icke est d’une force dramatique qui non seulement suscite le parcours sur des thèmes existentiels, mais fait ressortir les plus sombres interrogations. L’auteur fait partie d’une génération montante qui innove l’art dramatique, se permet des tours sophistiqués entre le texte, la pièce et la perception tangible des spectateurs.

Parler de l’identité juive dans toutes disciplines artistiques est un exercice périlleux, notamment en ces temps troubles où la géopolitique mondiale nous en fait voir de toutes les couleurs.

Un huis-clo aussi clinique que litigieux.
Crédit : @ Danny Taillon

Où commence l’antisémitisme institutionnalisé? Existe-t’il vraiment comme on peut le laisser croire, de façon systémique, ou par habitude, comme faisant partie de l’ADN de la plupart des non-Juifs? Une question qui n’aura sans doute jamais de réponse. C’est un phénomène qui existe depuis la nuit des temps.

Le texte de Icke, adapté très librement de Professor Bernhardi, d’Arthur Schnitzler, contribue, justement par son adaptation éprise de liberté et de joutes personnelles, à s’inscrire dans divers registres d’interprétation, selon la perception de différentes personnes, ici pratiquant le même métier, comme il s’agissait d’une confrérie qui, soudain, ne s’entend plus. Il faut découvrir ce moment de théâtre social mis à nu.

Il faut également louer la qualité minimaliste du décor dont ces immenses rideaux blancs (telle la blancheur statique de ces institutions) constituent le principal appareillage de la mise en scène; comme d’habitude, depuis quelque temps, les comédiennes et les comédiens se chargent de déplacer les accessoires, comme si ça faisait partie du jeu. Les rideaux s’ouvrent et se referment pour passer d’un d’acte à l’autre. La musique d’Antoine Berthiaume participe de cette atmosphère de drame intense qui consiste à anticiper le pire, annonçant « ce qui s’en vient » avec un goût prononcé pour le dramatique. Comme dans un film.

Robert Icke

En sommant le spectateur à se poser des questions sur l’état des lieux de la diversité et dans ce cas, sur la notion d’être Juif « dans la cité », le choix d’une telle pièce du répertoire moderne est une nette avancée dans la tenue de divers discours interrogeant l’insurmontable mouvance sociale contemporaine.

C’est dans cette atmosphère sévère que la Docteure Wolff – l’une des plus belles et intenses prestations de Pascale Montpetit, qui mérite une présence plus régulière autant dans la scène qu’au cinéma, se produit dans une sorte de procès en sa défaveur, suivant les humeurs et la perception des membres de son entourage. Et dans le privé, une aventure saphique qui ne nous est pas bien si bien expliquée et qui vient se greffer dans l’ensemble. Aussi, une relation familiale plutôt compliquée pas si ouvertement exprimée.

Comme dans l’un des chefs-d’œuvre du cinéaste Stanley Kramer, Inherit the Wind (Procès de singe), où le côté théâtral se fait sentir constamment, Docteure bénéficie de la traduction de l’incontournable Fanny Britt qui manipule le français en lui administrant toutes les nuances, les disparités, les sous-entendus et le jargon judiciaire de la langue d’origine.

Et puis, une annonce qui fait ébranler les protagonistes de ce procès intime à huis clos.  S’immoler soi-même pour éviter la déchéance ou subir les conséquences de sa propre morale. Une façon comme une autre de rester soi-même. Après tout…

En sommant le spectateur à se poser des questions sur l’état des lieux de la diversité et dans ce cas, sur la notion d’être Juif « dans la cité », le choix d’une telle pièce du répertoire moderne est une nette avancée dans la tenue de divers discours interrogeant l’insurmontable mouvance sociale contemporaine.

FICHE ARTISTIQUE
Texte
Robert Icke. D’après

Professor Bernhardt, d’Arthur Schnitzler
Traduction
Fanny Britt
Mise en scène
Marie-Ève Milot

Assistance à la mise en scène
Josiane Dulong-Savignac

Interprètes
Pascale Montpetit

Alexandre Bergeron, Sofia Blondin
Alice Dorval, Nora Guerch
Ariel Ifergan, Tania Kontoyanni
Sharon James, Harry Standjofski
Elkahna Talbi, Yanic Truesdale

Scénographie
Geneviève Lizotte
Costumes
Cynthia St-Gelais
Éclairages
Étienne Boucher

Musique
Antoine Berthiaume

Durée
2 h 10 min

[ Sans entracte ]
Public (suggéré)
Tout public
[ Déconseillé aux jeunes enfants ]

Diffusion & Billets @
Place des Arts
Chez Duceppe
Jusqu’au 18 novembre  2023

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

Past Rooms
@ Place des Arts

 

| D A N S E
Skeels Danse |

Énigmes

intemporelles

 

CRITIQUE
Élie Castiel

★★★★

Une nette prédilection pour des extraits musicaux chantés d’une autre époque; les années 30 cabaretières du siècle dernier bien indiquées pour s’harmoniser à un décor aux accessoires limités qui sentent intentionnellement la poussière et la naphtaline, mais suffisants pour « raconter » le deuil, sa démarche paradoxale chez l’humain, là où la tristesse côtoie étrangement la bonne humeur, le rire, la danse bien entendu, comme s’il fallait clamer tout haut que la vie continue et que, curieusement, les époques s’unissent malgré, parfois ou souvent, leurs turpitudes.

Le montréalais Andrew Skeels, dans Past Rooms, invente un jeu proche du puzzle qui passe allègrement du suspense, du drame allégorique, de la faculté de mouvement des individus, à la danse pure, comme elle s’entend. Mouvements sinueux, d’autres agressifs, pas de deux avantageant le corps dans tous ses états, harmonie dans les correspondances.

Une modernité qui soulève davantage le haut niveau de la chorégraphie contemporaine qui ne cesse de clamer tout haut qu’il s’agit d’un « laboratoire expérimental » en constante gestation. Il faut rendre pérenne ce qu’on a construit jusqu’ici, mais ne pas s’asseoir sur ses lauriers. Rénover, innover, suivre l’air du temps.

Une dispositon à l’entente des corps.
Crédit : @ Damián Siqueiros

Avec tout ce qui se passe à travers le monde, particulièrement dans le domaine de l’écologie et de la situation géopolitique, force est de raviver l’imaginaire des créateurs afin qu’ils puissent entreprendre des propositions aptes à discourir sur ces questions fondamentales, essentielles. Une question de survie. C’est là un souhait de notre part. Parce que tout simplement, ces épreuves influent sur l’individu.

Un univers particulier occupe la scène de la Cinquième salle de la Place des Arts. L’espace dramatique très proche du public n’importe où qu’on soit assis, participe de ce jeu de références réciproques qui vise à unir le spectacle et la complicité de l’auditoire.

Les partitions musicales de l’Islandaise Hildur Guðnadóttir et de Julien Tarride rendent l’expérience presque sacrée, comme dans un rituel visant à rapatrier l’âme humaine dans l’univers de l’entente.

[ … ] une pièce humaniste, tendre et bouleversante, dont le côté diaphane agrémenté par un étrange jeu d’éclairages, participe de ce jeu d’interprétation aussi rebelle que discipliné.

La durée est une constante importante dans la mesure où il n’est nécessaire de s’éterniser pour que la proposition fonctionne telle qu’attendue. Soixante-cinq minutes seront suffisants pour imposer cet étrange allégorie subversive aux yeux du monde. Il faut en tirer une leçon.

Past Rooms est une pièce humaniste, tendre et bouleversante, dont le côté diaphane agrémenté par un étrange jeu d’éclairages, participe de ce jeu d’interprétation aussi rebelle que discipliné.

Inquiétant par sa splendeur, édifiant, superlatif, d’une beauté plastique envoûtante.

FICHE ARTISTIQUE

Andrew Skeels.
Crédit : @ Julien Benhamou

Chorégraphie Andrew Skeels
Interprètes Jean-Sébastien Couture, Marilyn Cyr, Jose Flores, Danny Morissette, Silvia Sanchez, Anna Sanchez
Mise en scène Andrew Skeels, David DiGiovanni, Joe De Paul
Musique : Hildur Guðnadóttir
Musique originale : Julien Tarride
Décor / Costumes : Damián Siqueiros

 

Durée
1 h 05 min

[ Sans entracte ]

Diffusion & Billets @

Danse Danse
Place des Arts
[ Cinquième salle ]
Jusqu’au 21 octobre 2023

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

Un « reel » ben beau, ben triste
@ Théâtre du Rideau Vert

 

| ARTS DE
 LA SCÈNE |

CRITIQUE
| Théâtre |
Élie Castiel

★★★★

Ces mots

et

ces gestes

qui

abîment

On la croyait perdue, non pas dans les chemins oubliés de la mémoire, mais quelque part où n’entendrait plus parler de cette œuvre audacieuse, crue, subversive, féministe avant son temps, écrite en 1976.

Bien au-delà de 40 décennies – certains se rappelleront la mise en scène d’Olivier Reichenbach au Théâtre Bois de Coulonge, en 1979, elle s’invite aujourd’hui pour nous réveiller de notre torpeur, de notre état politiquement correct d’une nouvelle morale qui déstabilise, inquiète, donne le frisson et plus que tout, nous empêche de parler de certaines choses, de confronter le mal pour mieux le neutraliser car impossible à éradiquer. On préfère le manque d’empathie, de charité non seulement chrétienne, mais quelle que soit notre foi.

Une journée ben particulière.
Crédit : Théâtre du Rideau Vert

Quel beau cadeau que nous donne le TRV. Mais aussi que le tout se passe sous la houlette de Marc Béland, artiste on ne peut plus polyvalent. Une mise en scène qui mise sur la durée, moins de 90 minutes pour raconter cette histoire de folie, d’inceste, de sexualité moribonde, de silences, de pauvreté intellectuelle.

Comme le cas dans les pièces d’aujourd’hui, ce sont, presque toujours, les mêmes comédiens qui se chargent de changer le décor d’une scène ou acte à l’autre. Notamment dans le théâtre de l’intime. Mais ici, cette technicalité prend, musique aidant, des accents dans le domaine de l’interprétation. On ne sait par quels truchements Béland arrive à susciter un tel envoûtement. Les comédiens jouent à inventer, selon l’acte, une nouvelle scénographie. Ça se voit dans leurs gestes où ils apparaissent, dans le presque noir, comme des fantômes qui continueront à raconter et jouer la suite de l’histoire.

Jeanne-Mance Delisle ou parler de ce qu’il faut taire, de ce dont personne ne veut entendre parler; au hasard, ces choses qu’on chuchote au fil des situations qui invitent aux commérages. Pour l’esprit, rien de trop méchant. Et pourtant.

Tonio et ses femmes : c’est-à-dire sa femme et leurs enfants, trois filles, et un garçon atteint de « déficit intellectuel », dont on accepte par habitude qu’il se touche le sexe continuellement, sauf lorsqu’il mange ou joue faussement de ce violon de fortune.

Des interprètes impeccables – Boivin, Duranceau, Laurendeau, Lessard, Mallette, Mauffette, Payeur, et les deux polices (non pas « policiers ») Jean et Lavoie. Tous et toutes totalement imprégnés de leurs personnages comme si, du coup, le temps revenait hanter l’espace dramatique.

On sacre, on commet des actes jugés aujourd’hui répréhensibles, on se raconte directement des choses impossibles à imaginer, même à l’intérieur du foyer. Et avant la tombée soudaine du rideau, une courte déclaration émise par l’une des filles de Tonio (et Laurette) : des mots incendiaires, rebelles, séditieux, mais dans le même temps, miroir d’une époque qui, malgré les apparences et les interdictions, était le reflet d’une société canadienne-française oppressée.

Tonio ou le mâle dévoré par la misère qui l’assiège, et qui oublie cette infortune par la boisson et le sexe, quitte à agresser une de ses filles, Pierrette (Sarah Laurendeau, versatile à souhait). Parmi les autres interprètes, Laurette, la Mère (Nathalie Mallette, souveraine, celle pour qui la scène semble être un second « chez nous »). Et Camille (Benoît Mauffette, excellent dans son mélange de charité, cette fois-ci, chrétienne, et de désir inassouvi qu’il tente de réhabiliter quoique…).

On sacre, on commet des actes jugés aujourd’hui répréhensibles, on se raconte directement des choses impossibles à imaginer, même à l’intérieur du foyer. Et avant la tombée soudaine du rideau, une courte déclaration émise par l’une des filles de Tonio (et Laurette) : des mots incendiaires, rebelles, séditieux, mais dans le même temps, miroir d’une époque qui, malgré les apparences et les interdictions, était le reflet d’une société canadienne-française oppressée.

Tragique, bouleversant, tragiquement engageant.

FICHE ARTISTIQUE
Texte
Jeanne-Mance Delisle

Mise en scène
Marc Béland

Assistance à la mise en scène
Pascale d’Haese

Interprètes
Frédéric Boivin (Tonio), Ève Duranceau (Simone)

Sarah Laurendeau (Pierrette, Gabrielle Lessard (Collette)
Nathalie Mallette (Laurette), Benoît Mauffette (Camille, le beau-fils)
Christophe Payeur (Gérale, dit « Ti-fou »)
Jimmy Jean (Police 1), Jean-Sébastien Lavoie (Pol9ice 1)

Jeanne-Mance Delisle
Crédit : Théâtre du Rideau Vert

Décor
Charlotte Rouleau
Costumes

Fany Mc Crae
Éclairages
Cédric Delorme-Bouchard

Musique
Éric Normand

Durée
1 h 20 min

[ Sans entracte ]

Public (suggéré)
Déconseillé aux jeunes enfants

Diffusion & Billets @
Théâtre du Rideau Vert
Jusqu’au 28 octobre  2023

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

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