Tableau final de l’amour
@ Usine C

 

[ S C È N E ]

CRITIQUE
Élie Castiel

★★★★ ½

 

On rappellera qu’en 1998, le cinéaste britannique John Maybury tourne une fiction sur la liaison entre Francis Bacon et George Dyer – Love Is the Devil: Study for a Portrait of Francis Bacon, avec Daniel Craig (George Dyer) et Derek Jakoby (bien entendu, Bacon), tous deux en état de grâce entre le désir charnel maladif et incontrôlable et le déchirement.

Dans la transposition théâtrale du roman de Larry Tremblay, le blanc du décor domine, des murs espacés d’entrées et de sorties et une toile blanche, comme un rideau de scène, en forme d’écran étalée sur toute son horizontalité où seront projetés des pans identitaires, sortes de support à ce récit d’une sensualité à fleur de peau.

Le peintre et son modèle ou plutôt son amant. D’un soir? D’un moment? D’une vie? L’artiste intellectuel et le mauvais garçon. Un opportuniste profitant du désir (et des avoirs) du peintre? Francis Bacon ou la déraison, le portraitiste de l’âme ensevelie, de l’être qui se dirige vers le néant.

Ces

lieux

imaginaires

Le charnel dans tous ses états.
Crédit : Usine C

Et puis Larry Tremblay et son texte déchirant, illuminé, enfoui jusqu’à ses retranchements les plus intimes, ses influences littéraires et artistiques, celles les plus surréalistes, déconstruites comme les toiles de Bacon. Et que la mise en scène d’Angela Konrad rend encore plus perceptible.

Konrad ou l’excès dans les gestes et les mouvements, dans la physicalité la plus disponible, mais surtout dans son anéantissement; Benoit McGinnis (jeune Bacon) traverse les moments du personnage avec une rage exemplaire qu’il voit comme un exutoire destructeur, un soupape contre son propre for intérieur en pleine ébullition. Face à lui, Michel Côté (George), un corps massif, souvent nu, sculpture, où le désir n’a nul besoin de raison.

Entre les deux personnages, des allers-venues d’un dialogue sur l’amour et la fidélité, sur les échappées nocturnes et  provisoires, entre le désir de créer et soutenir une liaison.

Un rapport dénué de raison.
Crédit : Usine C

Un spectacle pour adultes consentants, de ceux auxquels la dramaturgie québécoise n’est pas habituée. Des lieux imaginaires, fantasmés, pourtant réels, qu’on sent finalement le besoin de transposer.

Si la mise en perspective d’Angela Konrad subit un traitement inspiré, comme si la metteuse en scène était la témoin privilégiée des deux « amants » qui la laissent entrer en catimini dans leurs univers, le jeu intense des deux comédiens est si physique que cette particularité l’emporte sur toutes les autres.

Le corps respire, s’anime de toutes les passions, souffre, se complaît dans des souffrances morbides; le sang est présent et subsiste dans l’espace scénique comme une sorte d’œuvre de foi. C’est à un rituel que nous avons droit.

Un spectacle pour adultes consentants, de ceux auxquels la dramaturgie québécoise n’est pas habituée. Des lieux imaginaires, fantasmés, pourtant réels, qu’on sent finalement le besoin de transposer.

FICHE ARTISTIQUE
Texte
Larry Tremblay

D’après son roman éponyme
Adaptation
Larry Tremblay
Mise en scène
Angela Konrad

Assistance à la mise en scène
William Durbau
Interprètes
Samuel Côté

Benoit McGinnis

Scénographie
Hugo Dalphond-Laporte
Conception sonore
Simon Gauthier

Conception visuelle
Alexandre Desjardins
Éclairages
Hugo Dalphond-Laporte

Durée
1 h 20 min

[ Sans entracte ]

Auditoire (suggéré)
Adultes – 18 ans +

 

Diffusion & Billets @
Usine C
Jusqu’au 16 septembre 2023

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

Salle de nouvelles
@ Duceppe

 

[ THÉÂTRE ]

 

CRITIQUE
Élie Castiel

★★★

La

règle

du

jeu

Quarante-sept ans après la sortie de Network (Main basse sur la TV), un des films les plus achevés du cinéaste américain le plus socialement engagé de l’époque, Sidney Lumet, David Laurin propose une traduction théâtrale tirée du texte de Lee Hall.

Mêmes enjeux? Mêmes situations? Mêmes rapports hommes-femmes? Mêmes motivations? Même politique? Mais surtout un tas de questions à se poser sur le personnage principal, Howard Beale, au cinéma campé par l’irréprochable Peter Finch.

L’adaptation française de Laurin, acérée et sans compromis, propose une langue d’ici, campant les personnages entre une Amérique voisine qu’on devine et une nouvelle réalité locale réincarnée.

Denis Bernard occupe l’espace totale de la scène du Duceppe, totalement investie pour la circonstance. Nous sommes après tout dans un plateau de télévision où tout doit se poursuivre comme sur des roulettes, à la minute près.

Une réalité parallèle.

Denis Bernard, encore une fois, c’est l’appropriation du jeu d’interprétation à- l’Actors-Studio, à sa période âge-d’or; à proprement parler, cette propension à s’emparer d’un personnage non pas pour l’imiter, mais pour le « devenir », ne serait-ce que le temps que dure le projet.

Expressions faciales que non seulement les spectateurs aux premiers rangs peuvent bien observer, mais toute la salle, grâce l’excellent travail vidéo d’Eliot Laprise.

Et puis, les spectacteurs, littéralement complices de cette aventure de j’en-ai-marrisme telle que prodiguée par un maître de cérémonie aussi intègre que diabolique, mais tout aussi moral, à sa façon.

L’industrie de la télé, comme celle du cinéma, les cotes d’écoute pour les uns, le nombre de spectateurs pour les autres. Un monde issue du capitalisme sauvage initialement « Made in USA », là où le profit est la seule règle et, selon les circonstances, les anciennes chicanes et coups bas se transforment en nouvelles associations, le temps que ça dure.

La mise en scène de Marie-Josée Bastien participe de ce tour de force qui a à voir avec l’instinct de survie; si elle atteint un certain degré d’élégance et parfois de rébellion, il n’en demeure pas moins que ce qui compte le plus, c’est cette question de rythme, élément majeur dans toute production théâtrale qui se respecte.

Belle partition musicale de Stéphane Caron, au diapason d’un milieu assez particulier, mais surtout en harmonie avec une atmosphère urbaine de grande ville économique – New York de préférence.

La mise en scène de Marie-Josée Bastien participe de ce tour de force qui a à voir avec l’instinct de survie; si elle atteint un certain degré d’élégance et parfois de rébellion, il n’en demeure pas moins que ce qui compte le plus, c’est cette question de rythme, élément majeur dans toute production théâtrale qui se respecte.

Tout cet assemblage d’idées lumineuses contribuent à faire de cette Salle de nouvelles un des spectacles les plus excitants de la saison théâtrale québécoise de l’année.

Tous les comédiens, y compris ceux et celles dans des rôles secondaires, demeures constamment irréprochables. Y compris les spectateurs dans la salle qui, pris à l’improviste, se lancent dans cette aventure à plusieurs visages. Par moments, ça donne la chair de poule.

Mais surtout nous sortons de cette expérience, convaincus que les choses n’ont pas vraiment changé. Une chose demeure, néanmoins : avec Salle de nouvelles, Duceppe poursuit cette aventure pérenne qui fait la force de cette institution culturelle indubitablement québécoise.

P.S. : Force est de mettre en exergue la plume (posthume) de Paddy Chayevsky, plus de 40 scénarios à son actif, dont celui de son dernier film pour le grand écran, Altered States (Au-delà du réel, 1980), d’après son propre roman, et non le moindre Marty (1955), gagnant, en 1956, de plusieurs statuettes aux Oscars. 

FICHE ARTISTIQUE
Texte
Lee Hall

D’après le scénario de Paddy Chayevsky
pour le film Network, de Sidney Lumet
Traduction
David Laurin

Mise en scène
Marie-Josée Bastien

Assistance à la mise en scène
Christian Caron

Interprètes
Mustapha Aramis, Sylvio Arriola

Charles-Étienne Beaulne, Emmanuel Bédard
Denis Bernard, Florence Blain Mbaye
Luc Bourgeois, Gabrielle Côté
Hughes Frenette, Eliot Laprise
Marie Michaud, Marie-Ève Pelletier

Scénographie
Marie-Renée Bourget Harvery

(assitée de Mayumi Bergeron
et Guylaine Petitclerc)
Costumes
Sébastien Dionne

Éclairages
Erwann Barnard

(assisté de Joëlle Leblanc)
Vidéo
Eliot Laprise
Intégration vidéo
Steve Montambault

Musique
Stéphane Caron

Durée
1 h 50 min

[ Sans entracte ]

Auditoire (recommandé)
Tout public
[ Déconseillé aux jeunes enfants ]

 

Diffusion & Billets @
Duceppe
Jusqu’au 7 octobre 2023

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

Les étés souterrains
@ La Licorne


| SCÈNE |

CRITIQUE
Élie Castiel

★★★★ ½

La

vulnérabilité

et

la

force intérieure

des sentiments

Il y a d’abord un texte, celui de Steve Gagnon, à la plume puissante, virevoltant de gauche à droite, de droite à gauche, libre, survoltée, faisant du coq-à-l’âne un emblème poétique et d’une émotion charnelle. Mais ce n’est qu’en bénéficiant d’une interprète totale, souveraine, totalement habitée par son personnage que cela est possible de mettre en scène.

Un décor de tous les possibles de Patrice Charbonneau-Brunelle. Un lieu unique où différentes étapes de la vie, comme les joies, les peines, la maladie et autres velléités qu’on attribue à la raison ou son contraire contribuent à faire de ce portrait de femme intime une revendication de soi-même, de son féminisme apprivoisé, non pas militant, mais issu d’un historique social qui se construit au jour le jour.

Guylaine Tremblay, c’est l’illustre performante d’une femme qui se révèle à nous, dans tous ces états d’âme qui se construisent à mesure des évènements, des épreuves, des envies, des rapports familiaux et de l’insoutenable fragilité de sa propre physicalité. Rien ne l’assaille, elle passe d’une psychologie à l’autre, d’un état d’esprit dramatique à une réconciliation totale avec la vie.

Le parallélisme circonspect des situations.
Crédit : Suzan O’Neill

Sur fond de scène, une vidéo montrant cet unique personnage en gros plan où elle livre ses peines, ses angoisses, ses tourments, mais aussi ces moments d’amour charnel avec l’homme de sa vie. Elle dit tout sans vraiment le dire. La confidentialité s’acharne, malgré les apparences, à conserver tout de même une certaine pudeur que l’expression de Tremblay arrive intelligemment à reproduire, à conserver, à la rendre aussi indicible que triomphante.

Et puis, comme par miracle, durant ses conversations avec des intimes, des rencontres entre amis, la comédienne donne l’impression qu’elle communique avec les spectateurs. Cette étroit rapport brise la distanciation entre l’esprit de la scène et la passivité souvent incontournable de la salle, pris dans un étrange rapport de force. Une sorte de complicité tacite, mais essentielle à la compréhension du récit.

Entre la comédienne et Édith Patenaude, celle par qui se construit cette mise en scène complice, un œil en perspective d’un état des lieux, la possibilité de réfléchir sur ce qu’est « être femme », de réussir à établir des correspondances constructives envisageables avec les hommes.

Un récit, encore une fois, fait de fausses notes, de rapports infidèles avec la pensée, avec la morale même, mais d’une humanité exorbitante. Guylaine Tremblay possède l’espace, même lorsqu’il lui donne du fil à retordre. Persévérance, conviction, amour de la scène. Un état de grâce à la fois pudique et rebelle, contradictoire et jubilatoire.

Entre la comédienne et Édith Patenaude, celle par qui se construit cette mise en scène complice, un œil en perspective d’un état des lieux, la possibilité de réfléchir sur ce qu’est « être femme », de réussir à établir des correspondances constructives envisageables avec les hommes.

Et comment ne pas céder aux accents dramatiquement déchirants de la musique de Mykalle Bielinski qui établissent les diverses déconstructions d’un récit aussi linéaire que fragmenté.

Les étés souterrains, au titre magnifiquement révélateur, inaugure de façon magistrale la nouvelle saison à La (grande) Licorne.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Steve Gagnon

Mise en scène
Édith Patenaude

Interprète
Guylaine Tremblay

Assistance à la mise en scène
Adèle St-Amand

Décor
Patrice Charbonneau-Brunelle
Costumes
Estelle Charron

Éclairages
Erwann Barnard

Vidéo
Eliot Laprise
Musique
Mykalle Bielinski

Durée
1 h 40 min

[ Sans entracte ]

Auditoire (recommandé)
Tout public
[ Déconseillé aux jeunes enfants ]

 

Diffusion & Billets @
La Licorne (Grande salle)
Jusqu’au 23 septembre 2023

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

1 22 23 24 25 26 87