SUCCINCTEMENT Un impresario venu d’Amérique. Un poste politique à remplir. Un théâtre local, soi-disant fierté des habitants. Et une jeune danseuse, amoureuse d’une femme. Bref, la confusion la plus totale. Mais entre les mains de Mauro John Capece, un jeu-puzzle étonnant et détonnant.
CRITIQUE.
★★★★
texte Élie Castiel
Dans le sillon du cinéma italien post-moderne, Mauro John Capece est une exception, une singularité se nourrissant de ses propres fantasmes et qui, de film en film, se forge un univers particulier issu d’un imaginaire sans limites. De sa filmographie dans le domaine du long métrage, nous avons vu Alieno, l’homme du futur / Alieno, l’uomo del futuro (2017), coréalisé avec Pierpaolo Moio, The Sculpture / La scultura (2015), premier film solo et SFashion (2015), tous les trois présentés au défunt Festival des films du monde de Montréal.
Depuis La scultura, une Muse, une sorte de déesse sortie de l’antiquité grecque ou romaine, ou les deux à la fois. Son nom : Corinna Coroneo, une appellation qui évoque la « couronne » qui lui sert d’arme la protégeant de toutes les agressions. La relation va plus loin, puisque la Coroneo le suit dans l’écriture des scénarios. Ça rappelle en quelque sorte les rapports qu’entretenait Jules Dassin avec Melina Mercouri, comme ceux d’un peintre et son modèle, mais ce dernier établissant constamment les règles du jeu.
PRIMEUR [ Court métrage ] Sortie Vendredi 12 mars 2021
SUCCINCTEMENT Une femme regarde le temps passer à côté des valises de son ex-amant et d’un chien agité qui ne comprend pas que son maître l’ait abandonné.
COUP DE CŒUR de la semaine.
★★★★★
texte Élie Castiel
Almodóvar ou l’apothéose de la femme et non pas nécessairement la ruine de l’homme, comme on peut dire parfois; bien au contraire, pour la femme, un nouveau souffle, un nouvel entendement intellectuel, une réflexion, par les images en mouvement, de répondre à un besoin essentiel. Effectivement, une nécessité, une appétence pour que celle que Simone de Beauvoir, dans son livre culte, Le deuxième sexe, décrit, analyse, dissèque, philosophe autour en presque mille pages, se manifeste ici en 30 minutes de projection. Le titre de notre article fait référence au titre français d’un des films d’Ingmar Bergman, Toutes ses femmes (För att inte tala om alla dessa kvinnor), comédie dramatique simple, pas son meilleur film. Pour notre film en question, pour indiquer que la protagoniste principale dans le Almodóvar, se juxtapose incontestablement à toutes les femmes filmées par la cinéaste.
Ce n’est pas la femme beauvoirienne qui définit celle du cinéaste ibérique, d’Espagne plus précisément, mais Jean Cocteau, le poète, l’esthète, le subversif. Et comme lui, Pedro Almodóvar partage une homosexualité créative, subversive, non pas en des termes militants, idéologiques ou encore, comme il est de convenance ces quelques dernières décennies, politiques. Bien au contraire, un renversement discret, un chamboulement de l’esprit qui s’exprime uniquement par les images en mouvement, voire même en bouleversement. Et une nette reconnaissance de la femme comme l’égale de l’homme, inconditionnellement, sans prérequis d’aucune sorte.
Et contre toute attente, un aboutissement cathartique, bouleversant, inspiré sans doute du théâtre grec, mais renversé, et surtout corrigé par Almodóvar. Une révélation qu’il nous sert comme pour valider le moment, celui de Swinton, l’actrice, l’interprète de ce film en particulier, la femme dans la vraie vie, celle par qui l’acceptation et la prise en charge de soi arrive, quel que soit le moment. Opportun ou pas.
Toutes ses femmes
Mais le sublime dans ce geste, c’est la liberté que prend Almodóvar pour parfaire sa proposition, pour renouer avec son propre cinéma, lui administrant une continuité qui le hante depuis qu’il est devenu sérieux, il y a bien longtemps, délaissant ses caprices des débuts.
Il peut compter, bien sûr, sur la collaboration de ses collaborateurs comme le directeur photo José Luis Alcaine, qui filme comme il respire, sur le montage de Teresa Font, exigeante face à l’essentiel, le son ambiant qui remet tout en question de Sergio Bürmann, et la musique du fidèle Alberto Iglesias, suintant les références cinéphiliques tout en conservant son originalité.
Comme Bergman, qu’il admire, la femme est l’épicentre du monde pour Pedro Almodóvar, non pas en raison, on pourrait dire non pas seulement en raison, de son attachement à l’enfantement, donc à la création; tout au contraire, un être à part, individuel, non pas individualiste, un corps, une entité physique, une âme et surtout un esprit. Qui pense et agit comme elle l’entend.
Les objets, les moindres, les plus inespérés prennent aussi une place importante.
Si dans The Human Voice elle ne porte pas de nom, c’est parce qu’elle représente toutes les femmes, intègres, qui souffrent devant la rupture, mais qui échappent au pire. Du moins dans l’adaptation, très libre et volontairement impudique d’Almodóvar. Cette adaptation ne blesse pas la pudeur, mais se l’arrache pour en faire un arsenal pour l’égalité des sexes.
Déjà, dans le générique du début, d’un kitsch foudroyant, le cinéaste arbore son drapeau et ses couleurs. On saura d’ores et déjà que The Human Voice sera son œuvre à lui et que le texte de Cocteau ne servira que de support moral ou thérapeutique. Le récit avance à grands pas et le film se contente uniquement de l’esprit almodovarien. Il ne compte sur personne – même si quelques personnages préambules au début s’intègrent discrètement – sauf sur la présence saisissante et miraculeuse d’une Tilda Swinton (60 ans) qui, mine de rien, avec la permission circonspecte et volontaire du cinéaste, se permet de conquérir les espaces scéniques pour réinventer le geste, le mouvement, la parole, tout ce qui comporte ces éléments bien codifiés de la réalisation. Les objets, les moindres, les plus inespérés prennent aussi une place importante; comme dans tous ses films. Et l’adorable canin, complice, communicateur, servant même de personnage accompagnateur, s’exécutant sans bruit et sans fureur, même si attristé que son maître l’ait abandonné.
Le dialogue de la femme sans nom est en fin de compte un monologue théâtral rendu cinématographique avec maestria, sens de la répartie, brefs silences qui veulent tout dire, obsession de l’amour, refus de la rupture. Au bout du fil, celui qu’on ne verra jamais, mais qu’on devine. Le drame, la défaite.
Et contre toute attente, un aboutissement cathartique, bouleversant, inspiré sans doute du théâtre grec, mais renversé, et surtout corrigé par Almodóvar. Une révélation qu’il nous sert comme pour valider le moment, celui de Swinton, l’actrice, l’interprète de ce film en particulier, la femme dans la vraie vie, celle par qui l’acceptation et la prise en charge de soi arrive, quel que soit le moment. Opportun ou pas.
FICHE TECHNIQUE PARTIELLE Réalisation Pedro Almodóvar
Scénario Pedro Almodóvar Librement inspiré de la pièce La voix humaine, de Jean Cocteau
Images : José Luis Alcaine
Montage : Teresa Font
Musique : Alberto Iglesias
Tilda Swinton & Pedro Almodóvar en tournage
Genre(s) : Monodrame
Origine(s) Espagne États-Unis
Année : 2020 – Durée : 0 h 30 min
Langue(s) V.o. : espagnol, anglais ; s.-t.f. La voix humaine
La voz humana