C’est ça le paradis?

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Vendredi 12 juin 2020

SUCCINCTEMENT
Elia Suleiman quitte la Pale
stine (en fait, Nazareth, en Israël, à majorité musulmane et environ 30% de Chrétiens), à la recherche d’une nouvelle terre d’accueil, avant de réaliser que son pays d’origine le suit toujours comme une ombre. La promesse d’une vie nouvelle se transforme vite en comédie de l’absurde.

INÉDIT
EN SALLE

texte
Élie Castiel

★★★ ½

Son militantisme pacifique, son engagement intérieur, l’amour de sa Terre, inconsolable, l’admiration pour son peuple, encore sans état et qui se bat, toutes ces prises de position forment, pour le plus apaisé des cinéastes (israélo-)palestiniens du siècle dernier et d’aujourd’hui, autant de matériaux de construction qui forgent son œuvre, une série de films axés sur un même thème, le sujet d’une vie.

Est-ce le paradis, ou plutôt le Paradis, avec un grand P?; si l’on en juge par la séquence-plan finale, un champ/contrechamp entre le visage de Suleiman admirant une nouvelle jeunesse pré-palestinienne dansant dans une discothèque (de Nazareth) au son d’une chanson locale au rythme arabo-occidental, on peut se faire une idée. Belle constatation voulant que la Palestine est prête, une fois libérée, à se confondre à l’Occident, non pas pour le calquer mais afin qu’elle appartienne au statut de Nation. Le message est indicible et il appartient à ceux imbus de la sémantique cinématographique de percer ce message.

Le regard d’Ulysse

Et pourtant, Suleiman, en privilégiant le plan fixe, fait en sorte que le film se parcours comme un livre-témoin, un album qu’on feuillette pour y déceler des images significatives, lourdes de sens. Une fiction, certes, celle du cheminement d’un cinéaste (Suleiman en chair, en os et en réflexion) à la recherche de son identitaire à travers la perception d’autres lieux du monde. Le dialogue est presque absent. Les quelques mots évoquent, comme d’habitude dans ses films, la poésie muette de Tati. Mais arrêtons de toujours le comparer à ce maître incontesté du cinéma mondial.

Mais plus encore, il y a du Otar Iosseliani chez Suleiman : un humour pince-sans-rire, une fixation du plan d’où émerge une idée du monde, de l’individu, du lieu (le Paris carte-postale devient ici une ville dénuée de tout accommodement pittoresque, son voisin qui arrose les arbres ou cueille les fruits avec un flegme à la fois apaisant et affectueux, sans oublier le sourire pour contrecarrer le visage inexpressif, mais aussi révélateur du metteur en scène.

Une question s’impose pour le cinéaste : choisir une autre terre d’accueil ou combattre en Palestine? La réponse est claire… En attendant, dans ce road-movie chaste, presque désincarné, entrepris par un Ulysse de notre époque, seuls brillent l’intelligence, la raison, le doux et constant plaisir de la litote. Ça faisait une décennie qu’on avait perdu de vue Elia Suleiman, jusqu’à nous demander si son combat des premiers jours s’était évaporé, ne croyant plus aux idéologies.

Ce retour n’est certes pas aussi vitriolique, préférant l’approche pudique, le sentiment qu’à mesure qu’on prend de l’âge, le discours activiste donne peut-être place à la négociation équitable, qu’il s’agisse d’un côté ou de l’autre. En somme, ce que laisse envisager ce point d’interrogation dans le titre français et le « must » de l’anglais, c’est bel et bien une expectative, une aspiration, un souhait fort probablement romantique ou encore irréaliste.

Pour en finir avec la perception qu’on se fait en Israël et dans d’autres endroits du monde des Palestiniens. Pour en finir avec les poncifs, pour que l’espoir devienne une réalité.

Et puis il y a Elia Suleiman, l’acteur, le mime, le circassien du mouvement, le sans-paroles, voulant que le 7e art est avant une discipline du mouvement. Un hommage au cinéma des premiers temps d’une bouleversante acuité intellectuelle et humaniste.

Et puis, une séquence-clé où Suleiman tente, à Paris, de trouver du financement pour son prochain film. On lui répondra… Cette partie vaut par elle-même le déplacement. Elle parle de cinéma, de ses règles de production, de liberté d’expression, mais avant tout, souligne à gros traits (essentiels) que l’art de la réalisation ne peut se soumettre à des règles ou des lois contraignantes.

Et puis il y a Elia Suleiman, l’acteur, le mime, le circassien du mouvement, le sans-paroles, voulant que le 7e art est avant une discipline du mouvement. Un hommage au cinéma des premiers temps d’une bouleversante acuité intellectuelle et humaniste.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Elia Suleiman

Genre(s)
Essai-comédie

Origine(s)
France, Qatar
Allemagne, Canada
Turquie, Territoires palestiniens

Année : 2019 – Durée : 1 h 42 min

Langue(s)
V.o. : anglais, français, arabe, espagnol, hébreu
s.-t.a. ou s.-t.f.
It Must Be Heaven
Yjb ‘an takun alsama’

Dist. @
Maison 4tiers
[ En collaboration avec le Cinéma du Parc ]

Classement
En attente
PG
[ États-Unis ]

Diffusion virtuelle @
Cinéma du Parc
[ CINÉMA EN LIGNE ]

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.

★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]