Chers camarades!

PRIMEUR
Sortie
vendredi 26 février 2021

SUCCINCTEMENT
1962, à Novotcherkassk, une ville de province au sud de l’URSS. À la suite d’une grève,  26 personnes sont tuées et 87 blessées. Lyudmila, dévouée au Parti Communiste et vétéran idéaliste de la Seconde Guerre mondiale voit les choses autrement jusqu’à ce que…

COUP DE CŒUR
de la semaine.

★★★★ ½

texte
Élie Castiel

Dès la première séquence, nous sommes emballés par sa sobriété. Un couple se réveille après, on suppose, une nuit d’amour. La femme se rhabille et s’en va. L’homme reste. Avant, quelques paroles échangées et on saura qu’il s’agit d’un homme et d’une femme qui se voient de temps en temps pour échanges affectifs et des rapports intimes. Pour une raison qui nous échappe, ou nous faisons semblant qu’elle nous échappe, notre regard se porte sur la femme.

Dissidents

et partisans

Bon réflexe de spectateur ou encore stratégie d’un cinéaste octogénaire qui évoque dans cette partie du film et celles qui suivront, entre autres le Jiri Menzel des premiers temps. Ces réalisations où le sérieux des sujets se heurte à la luminosité de l’environnement, parfois des journées ensoleillées dans un environnement hostile. Un aspect souvent constaté dans les cinémas d’un certain âge d’or. Impossible de se tromper, Chers camarades! (dont le point d’exclamation suggère un cri de ralliement) est tourné comme un film des années 60, à la soviétique, avec un ton brechtien qui ne dément pas. Le collectif s’impose ainsi avec une maestria théâtrale extraordinaire qui ne recule jamais tout le long de la projection.

En revanche, une narration peu fidèle à l’époque. Une petite localité de l’ex-URSS ou une grève a lieu due à un grave incident dans une usine de locomotives. Un mouvement social qui s’envenime et fait rager les autorités locales.  Envisager un arrêt de travail n’est-il pas un acte de traitrise dans un pays communiste (socialiste, dit-on dans les bureaux et couloirs des locaux).

Parmi eux, Lyudmila, une stalinienne de race pure, également héroïne de la guerre, veuve, une grande adolescente et un père nostalgique à « élever », un vieux monsieur qui croit aux vertus de la guerre et, en cachette, à la Vierge – l’icône qu’il place sur la table de cuisine ostensiblement. Le récit, après la première séquence d’une beauté radieuse, demeure celui d’une insurrection, entre manifestations de rue et interventions musclées des militaires.

Tout tourne autour et du point de vue de Lyudmila qui, pour la première fois, devant le danger de perdre sa propre fille, se voit obligée de «dialoguer» avec sa prise de position idéologique. L’épisode dont il est question en cette ère Khrouchtev met indirectement en parallèle ce qui se passe dans le monde libre, du moins le spectateur est poussé à y avoir recours.

Car à l’instar de la plupart des cinéastes russes d’une certaine genération, Konchalovsky privilégie l’approche brechtienne qui, par principe, suppose en quelque sorte une participation du spectateur, complice avec les protagonistes et les événements. D’où un réalisme froid, clinique, quasi «hirsute d’émotion». Au contraire, le pathos de quelques séquences n’émergent pas du côté graphique, mais de ce qu’il représente dans notre pensée commune. De nos jours, cela serait vu comme un tour de magie.

… ce moment d’histoire longtemps interdit trouve écho entre les mains d’un cinéaste qui, malgré ses huit décennies, n’a pas perdu sa passion pour les images en mouvement et encore plus son rapport à l’Histoire. Les comédiens, tous exceptionnels, lui rendent un vibrant hommage de son vivant

Un cri de ralliement

 

Comme un tour de magie également dans la mise en scène, maîtrisée, parfois sentant l’improvisation, un côté bordélique d’une audace diabolique qu’on admirait en ce début des années 60 dans un certain cinéma engagé. À signaler que certains cinéastes de l’Ouest ont également essayé cette approche avec, parfois, grand succès. Bertolucci…

Narrativement, la clé dramatique de l’intervention des autorités : la présence d’un sniper. Tout bascule pour Lyudmila. Une femme cherche sa fille.

Et une fin admirable sur les toits d’un immeuble, comme protégés de tout,  filmée dans un noir et blanc nocturne qui évoque non pas les années 60, mais le mélodrame des années 50. Un plan final d’une simplicité bouleversante, musique à l’appui, et qui rappelle que le cinéma, malgré tout, peut fictionnaliser le réel à sa façon. Brecht disparaît dans ces quelques instants inoubliables. Le collectif est évacué pour donner la place à l’intime, qu’importe notre allégeance au parti. Le cinéma de fiction triomphe dans toute sa splendeur. L’émotion cinématographique est pure.

Finalement, ce moment d’histoire longtemps interdit trouve écho entre les mains d’un cinéaste qui, malgré ses huit décennies, n’a pas perdu sa passion pour les images en mouvement et encore plus son rapport à l’Histoire. Les comédiens, tous exceptionnels, lui rendent un vibrant hommage de son vivant.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Andreï Konchalovsky

Scénario
Andreï Konchalovsky

Elena Kiseleva

Direction photo
Andrey Nayderov

Montage
Karolina Maciejewska
Sergey Taraskin

Son
Polyna Volynkina

Genre(s)
Drame psychologique

Origine(s)
Chronique historique

Année : 2020 – Durée : 2 h 01 min

Langue(s)
V.o. : russe; s.-t.a. ou s.-t.f.

Dear Comrades!
Dorogie Tovarishchi

Dist. @
Eye Steel Film

Classement
Interdit aux moins de 13 ans

En salle(s) @
Cinéma du Parc

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]