Cinemania 2020 (ÉC-03)
MANIFESTATION
[ Festival de films de la francophonie
sous-titrés en anglais ]
un texte de
Élie Castiel
Si j’ai commencé sur une note vaguement pessimiste (voir ici), force est de souligner qu’avec le temps, nous avons pu découvrir des univers hors du commun, certains connus ou encore interdits, des espaces qui osent s’aventurer dans des récits passionnants, intimes ou personnels, moraux ou au contraire libertins; une huitaine de films que nous avons décidé de vous présenter en guise de conclusion. Dû à leur originalité, leur écriture, force de caractère, souvent campés par des comédiennes et des comédiens imprégnés de leur art.
Et plus que tout, cette 26e édition de CINEMANIA nous aura permis de constater non seulement un nouveau logo scellant les temps nouveaux, mais plus que tout continuer à nous faire profiter de cette inaltérable soif de films qui ne cessent de nous hanter. Ces œuvres nous ont fait voyager dans le temps, nous faisant oublier une pandémie qui semble s’éterniser. Le « cinéma », territoire de tous les possibles, là où il est permis de croire, d’aimer et d’espérer.
Des histoires
(ré)inventées
De Cédric Klapisch, Deux moi / Someone, Somewhere, titre anglais plus proche du récit. Une histoire d’amour qui se forme au gré du temps et dont les principaux protagonistes s’attèlent en une série de circonstances, de hasards parfois malencontreux, à unir finalement leur course vers un bonheur souhaité. On y reviendra si le film sort éventuellement en salle.
Les femmes tournent aussi et elles ont été nombreuses cette année à CINEMANIA. Nous avons retenu trois noms. D’une part, celui de Suzanne Lindon, fille de Sandrine Kiberlain et de Vincent Lindon, d’une farouche ressemblance à Charlotte Gainsbourg. À s’y méprendre. De son père, elle a appris le métier de comédienne, mais elle est aussi, ici, derrière la caméra. Objectif proche d’elle presque de façon continue, comme si l’appareil devenait une sorte d’autoprotection. Elle est présente dans Seize printemps / Spring Blossom. Un histoire d’amour interdit comme les Français savent si bien raconter, car ils sont friands de tout ce qui se rapporte à l’amour. Une tradition qui ne se perd pas. Et nous ne sommes que plus contents.
Anne Fontaine aborde le drame policier dans Police, respectant les codes associés au genre avec un sans-gêne indiscutable, mais au même temps, proposant une vision autre du récit, l’intime s’incrustant dans l’ensemble, une enquête comme n’importe quelle autre enquête, donnant la possibilité à des comédiens de talent comme Virginie Efira et Omar Sy de s’ajuster à de nouveaux espaces fictionnels avec aplomb. On soulignera également la caméra vertigineuse d’un Yves Angelo saisi d’une insatiable envie de tourner.
Et, en ce qui nous concerne, une troisième voix féminine, celle de Nora Martirosyan, avec Si le vent tombe / Should the Wind Fall; Alain pratique le métier d’auditeur international. Il doit expertiser l’aéroport d’une petite localité auto-proclamée du Caucase, les autorités espérant avoir le feu vert. Mais pour atteindre un idéal politique, ne faut-il pas tricher, aller à l’encontre des règles, non pas par corruption, mais par fierté nationale, pour former un pays, aussi petit qu’il soit? La cinéaste évite le pamphlet politique, préférant une mise en scène clinique, distante, où les enjeux sont devinés plus que montrés. Et ce petit Edgar, admirable jeune comédien, qui traverse sans cesse un bout à l’autre de cet immense terrain pour vendre de l’eau potable, que tous croient miraculeuse, alors qu’il la puise des toilettes d’un quelconque centre urbain. Fable, métaphore, une idée sur l’état actuel du monde, des nationalismes qui se cherchent. Qu’importe, Martirosyan a l’œil vif, le regard juste, la clarté d’esprit et un rapport à la mise en scène intellectuel, comme dans le bon vieux temps.
Deux grandes dames du cinéma, Emmanuelle Béart et Isabelle Huppert. Toutes deux refusent de signer un pacte avec le temps qui passe. Béart entreprend des terrains glissants dans L’étreinte / The Embrace, de Ludovic Bergery. Le film, c’est elle, dans toutes sortes de situations. Elle est femme, absente, présente, digne et salope, soumis et en même temps entière.. Elle ne cesse d’apprivoiser son sort. Et la caméra de Martin Roux la filme avec un certain recul, pour ne pas trop l’agresser, pour lui laisser un espace plus accueillant.
Dans le cas d’Isabelle Huppert, la possibilité pour la comédienne de mordre à la vie, de continuer un jeu dramatique entrepris depuis plus d’une décennie, transformé, contrairement à ses débuts. Il consiste à situer l’actrice dans un espace dramatique qu’elle peut contrôler, comme si le ou la metteur(e) en scène n’existait pas. Elle est de presque chaque plan, elle est aux commandes, du moins c’est ce qu’elle nous laisse croire. Et comme d’habitude, elle rend cette Daronne, digne de toutes les héroïnes impudiques, je-m’en-foutiste. Avec Isabelle Huppert, le cinéma est autre. C’est signé Jean-Paul Salomé.
Et finalement, deux films sur la guerre. Celle d’Algérie, avant son indépendance : Qu’un sang impur… / The Breitner Commando, d’Abdel Raouf Drafi. Au début, dénonciateur, et puis se faisant conciliateur, mettant en cause les deux parties du conflit. Les atrocités commises par la France sont-elles le miroir de celles commises par les résistiants algériens. En tout cas, le film risque de diviser, si ce n’est déjà fait. Une histoire qui ne finira jamais.
Et Josep, d’Aurel, dessinateur qui, par ses pinceaux, illustre la vie de Josep Bartolì, militant antifranquiste lors de la Guerre d’Espagne. La beauté du film ne réside pas seulement dans sa forme esthétique, le film d’animation, mais aussi dans sa proposition politique, idée de moins en moins présente dans le cinéma actuel, alors que nous en avons tant besoin. Aurel se penche sur les principaux protagonistes d’une histoire tragique, celle d’une Espagne qui a cédé au démon nazi, mais aussi une Espagne de la robustesse, de la solidité, de la foi en une idéologie juste et démocratique. Et une histoire d’amour extraordinaire avec la belle María Valdès, la bien-aimée. Un portrait d’elle, amoureusement dessinée au hasard du temps, pour ne pas l’oublier, espérant un jour la revoir, prouvant jusqu’à quel point la guerre envahit aussi notre intimité, nos histoires d’amour. Notre être.
À l’an prochain, nous espérons en salle.
CINEMANIA 2020
En ligne seulement
Jusqu’au 22 novembre 2020