Le cri de ma mère

RECENSION
[ Récit ]

★★★★

un texte de
     Élie Castiel

Comme ce paridé qui pousse des cris stridents pour éviter qu’on l’agresse, afin qu’on lui laisse vivre en paix. Même comportement pour l’auteure du Cri de ma mère, où elle dévoile une partie de son vécu, entre 2014 et 2016. Fille du célèbre troubadour Félix Leclerc, mais c’est de sa mère, Gaëtane Morin, qu’elle parle surtout, de sa relation ambiguë qu’elle a eu avec elle et qui, à sa naissance, aurait tant souhaité que ce soit un garçon.

Le chant de la mésange

Le cri de la mère est ici une expérience sourde, muette, qu’on devine entre les branches, dans la pensée, dans le mutisme et surtout dans l’absence. Comme cette incursion que Nathalie entreprend en France, avec ses enfants, pour mieux comprendre cette relation, pour comprendre, du fait de ses expériences au quotidien, les enjeux d’une telle rupture, d’une cassure sans nom, d’un rapt affectif.

Un recueil à la première personne du présent, une conjugaison que l’auteure s’approprie dans ce poétique journal intime où passé et présent s’entremêlent en une succession de détails anodins souvent sublimés. Car chez Leclerc, la fille, un amour des mots, un lien privilégié avec la langue française, une prédilection pour l’Hexagone, car c’est là où elle est née. La France la fascine, la séduit jusqu’au plus haut point.

Mais elle est également Québécoise, et elle aime ce petit bout de pays. Double identité qui lui procure autant de bonheur que de tristesse, autant de questionnements que de libertés dans son comportement. Ce n’est qu’à la fin de ce cours parcours qu’on saura qu’elle s’accrochera à un autre Leclair, bien entendu, épelé différemment. Comme une sorte de continuité qui la situe encore plus près de ce père, artiste, chanteur, parolier, Québécois, Français, qu’elle a tant aimé.

Pour mieux apprécier la valeur de ce chant poétique, il faut savoir comment écouter les sons qui viennent du cœur, les échos de l’âme, la volonté de vivre chaque moment et plus que tout, vibrer au diapason d’une autre façon d’écrire. Inhabituelle, inédite, prometteuse.

… un amour des mots, un lien privilégié avec la langue française, une prédilection pour l’Hexagone, car c’est là où elle est née. La France la fascine, la séduit jusqu’au plus haut point.

Bizarrement, à peine si elle le mentionne, c’est à Francis Lerclerc, son frère, cinéaste auquel, dans certains passages, j’ai pensé. Surtout à cette belle entrevue que j’avais eu avec lui lors de la sortie d’Une jeune fille à la fenêtre, en 2001. C’était dans une croissanterie chic quelque part dans le quartier Outremont. Il m’a fallu quelques pages de lecture pour que je me retrouve dans l’univers de Nathalie. Ces pages perdues, je les ai relues.

L’auteure parle de l’art, des musées, de Paris, de Suresne, en banlieue, près de son lieu de naissance, en France. Elle parle de ses enfants, en filigrane de son ex-conjoint. Et de sa mère avec qui elle semble signer finalement un pacte d’amour et de réconciliation. Et elle parle aussi de l’île d’Orléans, de la maison familiale, immobile malgré le temps qui passe.

Une phrase me frappe, me pousse à m’interroger sur l’intemporalité du geste et du moment : « Le monde est grand et vaste, mais ce bout de terre où je danse avec l’intemporalité, c’est bien le mien (p. 75). » Brillante métaphore d’une prise de conscience, d’une mainmise sur sa propre destinée. Nathalie Leclerc est entière, possédé par l’Ange et le Démon, deux entités dissemblables qui nourrissent sa vie. Elle ne s’en plaint pas. Et puis, un jour, la mère entreprend son dernier voyage. La femme redevient petite fille. Comme une image qui se meut, Nathalie peut finalement respirer, contente d’avoir ouvert son cœur à une mère qui a fini par l’aimer.

Nathalie Leclerc
Le cri de ma mère
Montréal : Leméac, 2020

168 pages
[ ill. ]
ISBN : 978-2-7609-5149-5
18.95 $

ÉTOILES FILANTES
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½ [ Entre-deux-cotes ]