Visions du Réel 2024

ÉVÈNEMENT
[ Festival ]

Luc Chaput

 

Travail au

long cours

Une animatrice de télésérie sur la nature décide de s’intéresser aux roches et autres terrains sur lesquels les créatures qui la passionnent vivent. L’actrice britannique Sian Phillips emploie un débit qui rappelle celui de David Attenborough, frère cadet du cinéaste Richard et légendaire animateur de ce types d’émissions à la BBC dans lesquelles il s’impliquait fortement sur le terrain. Les rencontres avec les géologues et des quidams affectés par les changements climatiques et les bouleversements de leurs habitats s’égrènent avec bonheur dans cet Apple Cider Vinegar de la réalisatrice belge Sofie Benoot et procurent un dépaysement certain.

Apple Cider Vinegar

Reflet des vicissitudes d’un monde contemporain, les films présentés à Visions du Réel cette année traitaient pour la plupart de sujets difficiles dans un travail au long cours. La réalisatrice helvète  Nicole Vögele s’est rendue à plusieurs reprises pour des séjours en Bosnie-Herzégovine dans la région de Velika Kladuša. Elle rend témoignage de la vie des populations frontalières de la Croatie qui sont en contact avec des réfugiés venant du Moyen-Orient ou d’encore plus loin et qui sont souvent refoulés manu militari par ces gardes-frontières de la Communauté Européenne. La caméra se promène dans les forêts la nuit et le jour, montrant les efforts de déminage des suites de la guerre civile,  suivant des motocyclistes escaladant et dévalant des pentes dans des moments vrombissants. Des relations se nouent, de rares paroles surgissent, des gestes bons ou plus mitigés et des commentaires éclairants forment la trame narrative de cette immersion à la bande-son très travaillée qui a permis à  The Landscape and the Fury (Landschaft und Wahn) de remporter le Grand prix de la compétition internationale.

The Landscape and the Fury

Zahra, une étudiante afghane se suicide à Kaboul en 2017 à cause de conflits avec un professeur et la direction de l’université. Sa famille d’ethnie Hazara souvent opprimée dans ce pays tente d’obtenir justice. La caméra d’Ilyas Yourish et Shahrokh Bikaran s’introduit dans leur quotidien, suivant la cadette Freshta qui  sert également de narratrice. Elle cueille la plante Kamay qui donne son nom au film et qui était un sujet d’étude de la décédée. Ce kamay devient symboliquement comme le témoignage de ces vies fauchées dans cette contrée souvent dévastée. Les Khawari parcourent souvent par car la distance dangereuse entre leur région de Daikundi et la capitale. Le tournage s’est terminé en 2021 lors de la reconquête par les Talibans et la famille a pu s’exiler en Allemagne.

Kamay

A Fidai Film

En 1982, l’armée israélienne, lors de la guerre du Liban, investit les bureaux de l’OLP à Beyrouth ainsi que son centre d’archives et en ramène un énorme butin qui fait la joie de ses services de renseignements. Le cinéaste palestinien Kamal Aljafari, résidant en Allemagne, a eu accès récemment à une grande partie  de ces documents. Une bonne portion de ces images sur la vie durant le Mandat britannique a déjà été présenté dans d’autres documentaires ou films de fiction sur cette période. Le cinéaste qui avait présenté auparavant à Nyon  An Unusual Summer (Seif Gheir Aadi), les commente par des phrases en rouge pas toujours sous-titrées et par des incrustations de cette même couleur et de débuts d’incendies qui ravivent la tension interne de ces archives. C’est pourtant dans la relation entre les travellings dans les rues de Jaffa et les textes de l’écrivain Ghassan Kanafani que ce film trouve sa charge émotive la plus forte sur le retour au pays natal et sur sa perte. A Fidai Film, qui s’inscrit donc dans la lignée des Paris 1900 et La mémoire des anges, s’est vu décerner le Grand Prix de la section Burning Lights.

Nous reviendrons, lors de leurs sorties dans des festivals ou en salle, sur des films tels Les miennes de la réalisatrice belgo-marocaine Samira El Mouzghibati, gagnant du prix de la Fipresci et Balomania de la Danoise Sissel Morell Dargis, voyage dans le milieu clandestin des constructeurs d’immenses montgolfières dans les grandes villes du Brésil.