Tombée médiatique

RECENSION
[ Essai ]

★★★

un texte de
     Élie Castiel

Nous éviterons le cliché associé au journalisme professionnel : ce « Quatrième pouvoir », souvent lié au politique et au social et non plus au clergé dans une société laïque comme celle où nous tentons de cohabiter. Idem pour les nombreuses citations tirées du livre qui ne font que compenser. La proposition est digne d’intérêt, le message clair, la méthode directe, usant d’un vocabulaire limpide, évitant du coup le discours populiste. Mais dans le même temps, l’essai de Mickaël Bergeron est un cri du cœur, un regard lucide sur l’état des lieux du journalisme au Québec. Sur ce qu’il était, sur ce qu’il est devenu surtout.

Front

       commun

Voici finalement quelqu’un qui ose disserter sur un sujet qui préoccupe les principaux intéressés avec un enthousiasme aussi contagieux que déterminé. Le résultat est d’autant plus crédible et révélateur que Bergeron est avant tout un autodidacte, non pas un enfant de la balle ou ayant suivi des cours de journalisme. On le voit dans son approche et dans le choix éditorial, direct, sans préciosité, terre-à-terre. Le métier, il l’a appris à force de courage, d’opportunités prises du hasard, de cet amour inné pour faire passer l’information.

Mais on sent, dans l’ensemble, une certaine tristesse, une profonde déception. De rejet? De ne pas être compris? De déambuler dans un univers parallèle qui ne lui souhaite pas nécessairement la « bienvenue », ou tout au moins, d’être « accepté »?  Il ne s’agit pas dans Tombée médiatique d’un règlement de comptes, mais de la possibilité de faire front commun face à une situation où le journalisme professionnel, notamment le physique (format papier et autres succédanés), perd du terrain aux yeux du public.

Les coupables : les avancées technologiques qui ont rendu la parole démocratique, apportant avec elle toutes sortes de distorsions, de fausses nouvelles, de théories du complot, d’excès de racisme, d’islamophobie, d’antisémitisme et d’autres ismes que l’on peut imaginer. Le sous-titre de l’essai et bien clair : « Se réapproprier l’information». Autrement dit, redonner à César ce qui appartient à César. Plus directement, donner de nouveau au journalisme son droit de cité et en filigrane, ne plus compter sur le journalisme-spectacle, celui qui enivre plus qu’informer, qui privilégie le superflu au détriment de la vraie information. Sans rappeler que les médias traditionnels comptent de moins en moins sur les revenus publicitaires.

Et il n’y a pas que les grands centres urbains. Il prône pour les régions, pour leur droit à une information locale plus précise et désintéressée (« Je me bats pour démontrer qu’il y des lacunes de représentativité. Je me bats pour montrer qu’une grosse part de la population est délaissée, parce qu’elle vit en région, parce qu’elle croit en d’autres valeurs, parce qu’elle est d’une autre classe sociale, parce qu’elle est d’une autre culture. (p. 216) » Mais contrairement à l’approche trumpienne, Bergeron prône pour une intégration de ces autres voix à celles déjà établies. Il oublie cependant que ce même public affiche parfois un mépris évident pour le raisonné, pour l’intellectuel, dont il ne comprend pas totalement la définition du mot, pour cette acuité qu’il confond souvent avec élitisme.

L’essai de Bergeron aura ses détracteurs, nombreux, mais force est de souligner qu’une voix dissidente prend le risque de s’approprier la tribune publique, sans préavis, avec force de caractère et tout particulièrement sans la moindre hésitation.

Sans vraiment l’écorcher, il s’attaque au vedettariat médiatique qui non seulement impose une image aussi égocentrique que faussement angélique, mais surtout qui ferme les portes à l’autre, le dénigré, l’inculte, le laissé-pour-compte, qu’il utilise paradoxalement pour subsister.

Dommage qu’un autre sujet lui ait échappé : les guerres territoriales où s’affrontent ces journalistes formant des clans où il est impossible d’y adhérer, sauf, si on partage mordicus les mêmes idéologies. Il évite aussi ce sujet tabou : les lecteurs, leur fidélité ou au contraire, leur défection, leurs sautes d’humeur dépendant du temps. Mais cela se passe dans n’importe laquelle des sphères sociales. On peut lui pardonner.

Et ce sont les dernières paroles qui résument la pensée de ce journaliste qui s’est façonné lui-même, sans l’aide de personne, comme c’est souvent le cas, ou presque, dans ce milieu – Ma principale conviction, c’est que l’information n’est un produit de consommation. L’information appartient à tout le monde. L’information est un outil collectif. Approche pédagogique qui conclut un essai passionnant, accessible, portée par une voix qui réclame, à juste titre, son dû. Ce but ne peut être atteint qu’en faisant front commun. (p. 217) »

L’essai de Bergeron aura ses détracteurs, nombreux, mais force est de souligner qu’une voix dissidente prend le risque de s’approprier la tribune publique, sans préavis, avec force de caractère et tout particulièrement sans la moindre hésitation.

Mickaël Bergeron
Tombée médiatique :
Se réapproprier l’information
Montréal : Éditons Somme toute, 2020
240 pages
[ Sans ill. ]
ISBN : 978-2-8979-4169-7
24.95 $

ÉTOILES FILANTES
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