Cinemania 2020 (LC-02)
MANIFESTATION
[ Festival de films de la francophonie
sous-titrés en anglais ]
un texte de
Luc Chaput
Une jeune femme marche dans des paysages vallonnés suivant un sentier de Grande Randonnée. Antoinette soliloque avec son âne Patrick qui porte ses bagages et qui est son principal compagnon. Elle a décidé de ce séjour de vacances sur un coup de tête et comme tout périple, cela l’amènera à des remises en question comme ce fut le cas pour Robert Louis Stevenson qui, par un texte célèbre, donna ses lettres de noblesse à ce parcours improbable. La réalisatrice et scénariste Caroline Vignal mélange habilement gags et interactions humaines dans cette comédie de mœurs vivifiante qu’est Antoinette dans les Cévennes. Laure Calamy, surtout connue pour la télésérie Dix pour cent, est une protagoniste idéale, alliant naïveté et fermeté face aux rencontres multiples et quelquefois insolites auxquelles elle est confrontée dans un milieu dont elle ne comprend pas tous les codes et où les paysages filmés en plans larges participent à ce dépaysement.
Tous les soirs, un père veuf raconte à sa fille Sofia des histoires inventées. Son imaginaire, ancré dans les contes des Mille et Nuits, a besoin d’une représentation fastueuse aux multiples figurants. La mise en images de Michel Hazanavicius, pour Le Prince oublié, bascule alors dans une mise en abyme trop simple puisque le père devient le scénariste et principal acteur de cette fable mise en scène dans un studio aux effets spéciaux dithyrambiques. L’écart entre les deux univers, celui réaliste de l’enfant qui grandit et qui a d’autres intérêts et celui de l’imaginaire toujours plus ancré dans les contraintes du studio, distend le propos du film et nous conduit vers une morale prévisible qui amènera le spectateur à se dire Tant de bruit pour cela! Seules les interactions entre Omar Sy et François Damiens (Pritprout) dans la veine fictive et celle entre Djibi et les deux jeunes actrices Keyla Fala et Sarah Gaye interprétant successivement Sofia sauvent en partie la mise.
Un nouveau détenu arrive dans une prison africaine aux prises avec une lutte de pouvoirs entre les diverses factions qui contrôlent de l’intérieur ce lieu surpeuplé. Le gangster potentat Barbe Noire l’affuble du lourd vocable de Roman et lui ordonne de raconter une histoire pour célébrer cette Lune rousse aux reflets sanguinaires. Continuant son sillon entamé dans Run, le cinéaste franco-ivoirien Philippe Lacôte retravaille les codes des films d’incarcération en insufflant des éléments de griot à ce nouveau venu qui parle d’un ailleurs si proche et pourtant si lointain car séparé par des murs et des décisions de justice. Le récit de Roman pour La Nuit des rois superpose actualités de son pays d’ailleurs vécues par le réalisateur et documentées dans son Chroniques de guerre en Côte d’Ivoire aussi montré dans ce festival, avec des références aux anciens royaumes du golfe de Guinée qui bénéficient d’une expression aux effets magiques. Des moments de comédie musicale incarnent plus directement pour les spectateurs incarcérés ces passages, souvent séparés que par des voiles trop minces, entre rêve et réalisme cru.
Un photographe, muni de son barda hétéroclite, chemine par monts et par vaux dans les décors dantesques de la fin de l’empire mexicain de Maximilien soutenu par la France impériale de Napoléon III. Poussé par une dette familiale à régler, Louis ne commence à en comprendre véritablement les enjeux que quand il croise Pinto, un péon mexicain, avec lequel il établit une relation compliquée par l’absence de langues communes. La mise en scène du jeune cinéaste français Aurélien Verhnes-Lermusiaux, par ses nombreux plans-séquences, introduit le spectateur dans ce brouillard de la guerre par lequel vérités, approximations et mensonges se conjuguent. Les teintes sombres de la mise en images de Vers la bataille placent le film bien loin de l’ambiance de Vera Cruz de Robert Aldrich ou du Juarez de William Dieterle dans un hommage ressenti à ces pionniers de la photographie-reportage qui parcoururent la planète pour rapporter des clichés qui modifièrent les perceptions de leurs contemporains.
Continuant son exploration des laissés-pour-compte, des sans grade dont les vies sont aussi majeures que celles de gens notables, le réalisateur et acteur belge Lucas Belvaux signe Des hommes, adaptation du roman éponyme de Laurent Mauvignier. Il en a gardé les dialogues intérieurs par lesquels des anciens combattants de la Guerre d’Algérie, longtemps considérée comme une opération de police pendant son déroulement, confrontent leurs souvenirs qui remontent lors de moments inattendus. Gérard Depardieu apporte sa masse et son intelligence émotive dans ce rôle de Feu-de-Bois lézardé de diverses manières par ces années passées sous le rouge soleil méditerranéen. Les retours en arrière de Feu et de Rabut auquel Jean-Pierre Darroussin apporte un laconisme utile revisitent des paradigmes visuels des guerres coloniales. Belvaux laisse hors champ mais dans le regard des protagonistes, les scènes les plus dures suscitant des cris plus tard longtemps refoulés.
Ces allers et retours entre passé et présent, entre réel et imaginaire ont ainsi nourri ces productions à plusieurs mains qui ont contourné habilement l’euro-pudding qu’on peut craindre quand trop de cuisiniers gâtent le résultat filmique final. Nous reviendrons sur d’autres films lors de leurs sorties probables dans la nouvelle année. [ Voir recension sur La mécanique Lucas Belvaux ici ]
CINEMANIA 2020
En ligne seulement
Jusqu’au 22 novembre 2020