CINEMANIA 2021
Première partie
ÉVÉNEMENT.
[ Numérique et En salle ]
texte
Luc Chaput
Les deux mondes
de Paris et de la province
En novembre s’est déroulé le 27e festival CINEMANIA. Des projections en salle eurent lieu à Montréal et la plupart des programmes furent aussi disponibles en ligne partout au Canada. Deux longs métrages adaptant Balzac revenaient sur la relation Paris-province qui est depuis longtemps un des fondements de la société française.
Un jeune homme quitte son Angoulême natal pour Paris, une jeune femme quitte Saumur pour refaire sa vie dans la capitale. Deux voyages similaires mais situés à deux moments bien différents de ces deux existences qui font partie de cette Comédie humaine d’Honoré de Balzac.
Le romancier Marc Dugain (La chambre des officiers) était le réalisateur du fin L’échange des princesses présenté dans une précédente édition. Il adapte Eugénie Grandet en soulignant l’opposition entre domicile et ville. Les intérieurs sont souvent sombres alors que les scènes urbaines ou campagnardes se déroulent en lumière diurne captée par le talent de Gilles Porte. Félix Grandet, avare impénitent, contrôle sa maisonnée en distribuant argent avec force parcimonie. Eugénie, sa mère et la servante n’ont aucune idée que le maître de maison est très riche et donc considéré par la haute société de cette ville des bords de Loire. Olivier Gourmet interprète avec un mélange de dureté et de finesse cet homme qui veut s’assurer de la pérennité de son statut. L’adaptation de Dugain privilégie les rencontres et les échanges en petit comité auxquels il conserve un côté théâtral à plusieurs reprises car les gens y sont de toute façon en représentation. Dans cet environnement très contrôlé, Eugénie, à laquelle Joséphine Japy instille une grande sensibilité, trouve difficilement sa voie et le cinéaste souligne dans les dernières séquences son éclosion en une femme plus sûre de ses droits.
En ce qui a trait à Illusions perdues, la mise en scène de Xavier Giannoli se construit sur la vitesse dans cette satire du progrès à tout prix. Les bons mots fusent, les descriptions assassines participent à un parcours virevoltant de la société parisienne littéraire, bourgeoise et aristocratique dans cette première moitié du XIXe siècle. Le journaux, la publicité, les maisons d’édition et les spectacles à plus grand déploiement prennent alors de plus en plus de place. La transposition cinématographique de Giannoli et de Jacques Fieschi souligne à multiples occasions les ressemblances évidentes avec la société contemporaine. De nombreux acteurs chevronnés participent avec entrain à ce capharnaüm dont les lignes de force sont toujours visibles. Autour de Benjamin Voisin, parfait en Lucien de Rubempré, il convient de signaler les prestations de Jeanne Balibar (déjà remarquable en Antoinette de Langeais dans Ne touchez pas la hache de Jacques Rivette) et surtout de Xavier Dolan, en chroniqueur de ce portrait-charge de cette société en perpétuelle transformation.
Encore une fois, le cinéma français trouve en Balzac un terreau fertile pour décrire à travers des personnages denses la pérennité de la nature humaine. Nous reviendrons sur plusieurs autres longs métrages de fiction à l’occasion de leurs sorties subséquentes comme nous l’avons déjà fait pour Boîte noire et De son vivant.