Déclarations
Voici
… et
ses
variations
CRITIQUE.
[ Scène ]
★★★★
texte
Élie Castiel
Une caractéristique précise, volontaire, s’adresser
directement aux spectateurs comme si, du coup,
la barrière de la scène n’existait plus, comme si
le groupe composé de cinq comédiennes et
comédiens, deux femmes et trois hommes,
s’enchevêtrait dans l’ego de l’auteur pour un
dresser un exutoire à ses préoccupations, sa
vie en quelque sorte. Choc intellectuel garanti.
Mais chez tout auteur qui se respecte, c’est surtout l’œuvre d’une vie, ne cessant jamais de soustraire à chaque nouvelle création, à une psychanalyse de son état des lieux.
Déclarations, la traduction de Fanny Britt à partir du titre éponyme, Declarations, paru en 2018, fuse en témoignages, non pas des confessions, bien le contraire, car ceux-ci dépassent de loin les propos qu’on peut tenir dans les confessionnaux traditionnels, liturgiques. Chacune, chacun s’exprime et forme une des charpentes de l’ossature tannahillienne, révoltée et sereine à la fois, battue et conquérante, osant le verbe sans limites frontalières, délivrant la parole au nom d’un profond désir de survie, bien plus que ça, d’être.
Mais pour ceux et celles qui assistent à la représentation, un besoin de réadapter leur regard face à une expérience sensorielle, auditive et picturale qui dépasse ce que l’on a vu jusqu’à présent, même dans la dramaturgie alternative montréalaise.
D’abord, la transposition en québécois de Fanny Britt, frontale, acerbe, juxtaposant mal d’être et rébellion jusqu’à nous atteindre au plus profond. Car, encore une fois, les témoins s’adressent directement à nous. Le verbe est libre, subversif, se dirigeant dans toutes les directions.
S’adressant au public sans vraiment le faire puisque le jeu s’empare de leurs corps, de leurs états d’esprit et, du coup, jeu véridique et improvisation magistralement assumée et certifiée participent de ce jeu de rôles, de se mettre dans la peau non pas d’un personnage, mais d’idées, de confessions laïques, de retours à l’enfance.
Voici est prononcé à chaque bout de phrases – « Voici le sourire de Greta Garbo; Voici l’odeur du Windex; Voici une ecchymose pressée… » et autres velléités qui passent par la tête. Comme succomber au désir de l’autre, résister à un sentiment. D’une façon concrète, non pas ainsi, mais subversive, faire le point d’une vie. C’est volontairement désordonné.
Pour Tannahill, un rapport à sa propre condition d’auteur, d’individu LGBTQ. Bien sûr, parler de sa queeritude, mais non pas frontalement, agressivement, mais selon un concept typiquement nouveau-siècle qui correspond à alterner remise en question et ouverture à soi et surtout ne pas se définir arbitrairement, laisser planer le doute. Comme il l’avait fait dans sa collaboration avec Akram Khan’s Dance dans le fabuleux Xenos.
Désorienter, c’est bien de cela qu’il s’agit, mais non pas d’un souci de vouloir procéder à un lavage de cerveau, mais à une étude « à temps plein » de notre être, de notre vécu qui ne cesse de changer quotidiennement dû aux influences extérieures incontrôlables – politique, société, religion parfois, idéaux, consumérisme.
Deux parties dans la brillante première mise en scène de Mélanie Demers qui doit « se battre dans l’eau bénite » pour monter l’immontable, l’ingérable, composer un espace, un univers théâtral renouvelé, une ambiance jamais vue. Une première partie où l’art de l’interprétation se joint allègrement au geste chorégraphique et à l’improvisation pour mener à bien un navire qui pourrait se diriger dans toutes les directions.
Nous sommes bel et bien conquis. Déclarations est une ode, un poème dédié au besoin normal de mortalité. Et qui dit finitude, dit également «mère». Le début et la fin. L’Alpha et l’Omega.
La mère, c’est Macha Limonchik, assise dans un sofa placé au centre, à l’arrière de la scène, ne parle pas, suit les interventions sans vraiment de réaction, comme si sa présence, pourtant physique, devenait indicible aux yeux de tous et de toutes.
Vlad Alexis, Marc Boivin, Claudia Chillis-Rivard et Jacques Poulin-Denis, dont plusieurs au double nom de famille, laissant à la mère le droit de léguer, à l’instar du père, leur nom, comme on disait « de jeune fille ». Banalité sans doute? D’où l’importance de « mère-nature » dans ces déclarations.
Et puis, une sorte d’immense abat-jour tout de blanc vêtu, en forme de robe de mariée, annonce la deuxième partie où, soudainement, les « voici » abandonnent leur hégémonie pour laisser la place à un dialogue plus ou moins traditionnel.
Ce jeu de cache-cache, de va-et-vient incessant, de pourparlers avec l’auditoire, cette nouvelle proposition théâtrale tient à se tailler un place dans la mouvance culturelle québécoise. C’est bien de cela qu’il s’agit aussi.
Avouons avoir été désorienté, parfois mu par une manivelle bien rôdée, secoué par certains mouvements, n’empêche qu’en fin de compte, la proposition s’installe finalement en nous.
Nous sommes bel et bien conquis. Déclarations est une ode, un poème dédié au besoin normal de mortalité. Et qui dit finitude, dit également « mère ».
Le début et la fin. L’Alpha et l’Omega.
ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte Jordan Tannahill
Traduction
Fanny Britt
À partir de Declarations
Mise en scène Mélanie Demers
Assistance à la mise en scène
& Répétitrice
Anne-Marie Jourdenais
Dramaturgie Angélique Willkie
Interprètes
Macha Limonchik, Vlad Alexis
Marc Boivin, Claudia Chillis-Rivard
Jaques Poulin-Denis
Décors Odile Gamache
Costumes Elen Ewing
Éclairages Claire Seyller
Musique Frannie Holder
Production
Prospero en coproduction
avec MAYDAY
Durée : 1 h 20 min
[ Sans entracte ]
Classement suggéré
Tout public
[ Déconseillé aux jeunes enfants ]
Diffusion & Billets @
Prospero
Jusqu’au 19 novembre 2022
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]