Foreman
SUCCINCTEMENT.
Ils sont cinq. Cinq chums de gars. Ils émettent des jokes ben plates, seul lien qui les rassemblent. Ils se retrouvent sur une terre à bois pour régler finalement leurs comptes, leurs blessures et pourquoi pas, essayer d’en finir avec le mâle préfabriqué, majoritaire partout, un genre qui se perd dans la nuit des temps.
CRITIQUE.
[ SCÈNE ]
★ ★ ★ ★
texte
Élie Castiel
Extrême randonnée
Charles Fournier, créateur et, dans une autre vie, habitué des chantiers de construction où le social, le vécu, le quotidien est autre. Une sorte de bulle protégée qui, une fois les heures de travail manuel passées, retrouve une autre réalité, celle de l’environnement global.
Mais pour Fournier, un premier texte incendiaire, un portrait saisissant du mâle du siècle (des siècles ?). En fait, le jeune auteur n’a d’autre choix que saisir cette occasion pour libérer la parole.
Québec, terre de tolérance en matière de culture. Certes, mais le public est-il prêt à tout recevoir, entendre, voir surtout ? Grand pari que prend la MPEM (compagnie théâtrale formée par Charles Fournier – Mon Père Est Mort – au nom pour le moins révélateur, orphelin, prêt à tout pour se dégager des angoisses d’une enfance remplie de questionnements sans réponses.
Cette constatation explique la merveilleuse et émouvante longue tirade de Fournier sur ses angoisses de pré-adolescent. Dans cette partie de cet essai théâtral affranchi, c’est toute la parabole du Père-absent-fils-manqué québécois qui rejaillit à la surface. Nous l’avons déjà mentionné dans d’autres textes, à savoir que le Québec est foncièrement une société matriarcale et que les récents témoignages et incidents tragiques pourraient découler indirectement de cette particularité que d’aucuns pourraient contester. Mais c’est là une tout autre histoire.
Qu’importe, Fournier est de ces auteurs-nés, prêt à tout pour faire passer son message – quel vilain mot par les temps qui courent ; et pourtant, c’est bien aujourd’hui que la société en a le plus besoin.
Il y a aussi la pièce dont il est question. Cette randonnée boisée où on sent le travail rude et périlleux, là où tout peut arriver, le meilleur comme le pire. Les cinq chums en question débattent particulièrement sur leur état sexuel, sur leurs blondes trop difficiles mais à qui ils tiennent, sur leur virginité désavouée pour certain(s) et des affaires plates qui ne signifient rien, comme se gaver de bières plutôt que d’eau gazéifiée, ou encore et encore… La broue, boisson nationale par excellence est de la partie ; être sur la brosse avec, parfois comme résultat, péter une coche pour montrer à gros traits qu’on est le plus fort.
Et soudain, comme par miracle, Charles Fournier transforme tous ces hommes en individus sensibles, la meilleure partie de la pièce.
Autant le cinéma que le théâtre québécois hésite lorsqu’il est question de parler de certains sujets, s’en tenant à l’émotivité parfois excessive des spectateurs. Fournier traverse cette zone d’ombre pour mieux légiférer son propos.
Certains comportements pourraient choquer les âmes sensibles même si le public québécois est, faut-il le souligner, très tolérant (ce que chacun et chacune pense, ça reste du domaine de l’intime et n’est pas manifesté publiquement) en comparaison à d’autres endroits du monde.
On en sort revigoré, pris par ce soudain vent de changement radical que provoquent tous ces jeux masculins qui, qu’on le veuille ou pas, démystifient une homosexualité latente, rejetée, dans le meilleur des cas, remise à plus tard, désavouée, interdite. La violence, oui. Sa propre sexualité, non.
Il y a des comédiens formidables qui se donnent entièrement à cet exercice de défoulement, d’interrogations existentielles, de regrets et de visions d’un futur plus équilibré. Désilets, Fontaine (que personnellement je tiens comme le plus énergique, sensible, émouvant), Potvin, Roy et Fournier lui-même qui sert de coryphé(e) à ce chœur masculin. Polyvalents, impétueux, terriblement humains.
On en sort revigoré, pris par ce soudain vent de changement radical que provoquent tous ces jeux masculins qui, qu’on le veuille ou pas, démystifient une homosexualité latente, rejetée, dans le meilleur des cas, remise à plus tard, désavouée, interdite. La violence, oui. Sa propre sexualité, non.
Ce qui est étonnant dans cette affaire c’est que les femmes, elles, ont renoncé à cette censure corporelle et émotionnelle, libérant leurs fantasmes jusqu’à en faire une cause sociale et idéologique.
Charles Fournier s’adresse à ces Hommes du siècle en prenant leur mal/mâle en (im)patience.
FICHE ARTISTIQUE PARTIELLE
Texte / Idée originale
Charles Fournier
Mise en scène
Olivier Arteau
Marie-Hélène Gendreau
Assistance à la mise en scène
Maria Alexandrov
Complice à la création
Catherine Côté
Interprètes
Charles Fournier
Pierre-Luc Désilets, Miguel Fontaine
Steven Lee Potvin, Vincent Roy
Décor
Amélie Trépanier
Costumes
Mélanie Robinson
Éclairages
Mathieu C. Bernard
Concept sonore
Vincent Roy
Production
Mon Père Est Mort
Durée
1 h 45 min
[ Sans entracte ]
Diffusion @
TDP
[ Salle Fred-Barry ]
Jusqu’au 06 novembre 2021
& Tournée en région
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]