Gangubai Kathiawadi

P R I M E U R
[ En salle ]
Sortie
Vendredi 04 mars 2022

SUCCINCTEMENT.
La vie de la jeune Ganga, qui s’est enfuie de sa petite ville de Kathiawad pour réaliser son rêve de devenir une star de cinéma.

CRITIQUE.

★★★★

texte
Élie Castiel

Le nouvel opus cinématographique de Sanjay Leela Bhansali, probablement le plus important des cinéastes contemporains de la scène bollywoodienne, affirme et surtout assume ses diverses complexités narratives : usage intentionnel d’un humour camp, qu’on retrouve en général dans les films LGBT, goût prononcé pour les inserts chorégraphiques d’une majestuosité incomparable; mais surtout, et ça a été la cause de plusieurs débats en Inde, donner le rôle d’une patronne de bordel transsexuelle à un acteur, à priori, hétéro.

Il s’agit de Vijay Raaz, l’immense comédien de ce cinéma national qui jouait Aftab Shakir Ahmed dans l’excellent Gully Boy (2019) de la cinéaste Zoya Akhtar – Là aussi, on retrouvait également la fiévreusement compétente Alia Bhatt, personnage principal dans Gangubai Kathiawadi qui s’arrange pour unir adéquatement ses aptitudes physiques à ses talents d’interprète. Mais la collaboration de Raaz est ici une sorte de déclaration (en anglais, le terme est plus catégorique, statement); en quelque sorte, transgresser en partie les codes d’un genre populaire, principalement, hétéronormatif dans son illustration des relations humaines et des enjeux sociaux et donner un nouveau souffle à une industrie bollywoodienne, parfois sclérosée.

Histoires de femmes libres

dans l’espace public

Une audace à fleur de peau.

Entre Gangubai et Raziabai (excellent Raaz, volant presque la vedette à quelques reprises), un rapport de forces qui se dirige entre la haine de l’une envers l’autre, mais aussi, paradoxalement, une admiration réciproque, mais non avouée, puisque les deux rivales font partie de la même couche marginale de la société.

Avec cette image qui nous paraît centrale, peut-être pas pour la très grande majorité des spectateurs, il y a, de la part de Sanjay Leela Bhansali, une sorte de « coming out intellectuel » qui se manifeste à la fois dans une partie des dialogues, un humour « queer » comme nous l’avons déjà mentionné, et cette tendance qui n’a nulle besoin de se justifier pour la défense des marginaux de ce monde, notamment en ce qui a trait aux choses de la sexualité.

Il s’agit de la vie d’une tenancière de bordel, en Inde, au cours des années 60, qui a voué sa vie aux règles sanitaires et morales de ses « filles ». Le plus surprenant, même si c’est le cas partout, on assiste à ce compromis entre l’illégalité de ce « travail » particulier et les forces de l’ordre, souvent des clients réguliers et les négociations qui s’ensuivent. Jusqu’à gagner des Élections.

Sans le dire, les clients sont justement visés. D’un côté, ils désapprouvent la « débauche » des ces lieux de plaisir, de perdition, de l’autre ils n’hésitent pas à les fréquenter. La société patriarcale est ainsi visée, mais la femme, si on suit les préceptes de Bhansali, domine la situation.

Mais il y a aussi une mise en scène, magistrale, celle d’un cinéaste indien qui s’est toujours arrangé pour que les ressorts du mélodrame, du film accessible au grand public, se distingue par son extraordinaire force esthétique, par le caractère surprenant des cadres, les décors éblouissants, les plans parfois surréalistes, un tournage en studio qui reproduit telle ou telle époque et toujours, ou presque, comme c’est le cas Gangubai Kathiawadi, une référence directe au cinéma. Lors d’une séquence chorégraphique, la scène, extérieure, est juxtaposée proche de l’entrée d’un cinéma, mise en perspective plutôt qu’en  abyme de cet endroit de rêves, d’amours parfaites, de vedettes adulées et de danses (et chansons) spectaculaires.

Souvent, dans les extérieurs et certains intérieurs, les affiches de films dominent. On fera une référence directe au grand acteur populaire Dev Avand qui, lui, avait débuté dans les années 40 et a été parmi les grands jusqu’aux années 70.

Ce n’est peut-être pas le plus beau film de Sanjay Leela Bhansali, mais sans doute le plus audacieusement sociopolitique. Il questionne, somme les protagonistes-femmes, quelles que soient leurs conditions sociales, de libérer le geste et la parole. Et le résultat est surprenant. Est-ce un hasard si le film sort proche de la Journée mondiale des femmes? Extraordinaire coïncidence.

Du coup, Bhansali revient provisoirement sur terre. Lorsque Gangubai est la principale danseuse dans une fête extérieure, elle jette furtivement son regard à la caméra, quelques secondes, assez suffisantes pour qu’on comprenne qu’elle le dirige envers le directeur photo et fort probablement le cinéaste lui-même : cette complicité « faussement » tacite nous indique jusqu’à quel point le cinéma, notamment celui de fiction, est un monde de « fabrication » et que, par défaut, toutes les possibilités sont permises.

On ne dira rien sur cette histoire, très libre adaptation du roman de S. Hussain Zaidi et Jane Borges, publié en 2011, Mafia Queens of Mumbai: Stories of Women from the Ganglands. C’est mélo, suit une ligne narrative linéaire, les enjeux sociaux sont rapportés de main de maître et font figure de témoins d’une époque. Et les acteurs, surtout les actrices, dirigés avec une rigueur étonnante, parfois inventant des moments dignes d’anthologies – comme cette drague entre Gangubai et un prétendant (élégamment subtile Shantanu Maheshwari). Elle de son balcon, lui du trottoir proche de sa boutique de vêtements. Aucune parole, seuls des gestes, entre les discrets et ceux qui viennent du cœur et de l’âme. C’est là une des devises du cinéma bollywoodien; dans le suggéré, la fantaisie domine, le spectateur est sommé de rédiger sa propre lecture des sentiments et des intentions. L’excitation et l’attente sont d’autant plus réelles.

Savoir joindre les rangs de la politique.

Ce n’est peut-être pas le plus beau film de Sanjay Leela Bhansali, mais sans doute le plus audacieusement sociopolitique. Il questionne, somme les protagonistes-femmes, quelles que soient leurs conditions sociales, de libérer le geste et la parole. Et le résultat est surprenant. Est-ce un hasard si le film sort proche de la Journée mondiale des femmes? Extraordinaire coïncidence.

Et un mot par hasard : la critique locale ne parlera pas de ce film. Et pourtant lorsque certains festivals, comme celui du Nouveau Cinéma accueille des films indiens, on se jette bras et corps pour les découvrir. Soulignons encore une fois que Sanjay Leela Bhansali fait partie des cinéastes indiens de la grande promesse.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Sanjay Leela Bhansali

Scénario
Sanjay Leela Bhansali

Direction photo
Sudeep Chatterjee

Montage
Rajesh Pandey

Musique
Ankit Balhara, Sanchit Balhara
Sanjay Leela Bhansali

Sanjay Leela Bhansali.
Un regard introspectif pour consolider la mise en scène.

Genre(s)
Drame biographique

Origine(s)
Inde

Année : 2021 – Durée : 2 h 34 min

Langue(s)
V.o. : hindi; s.-t.a.

Ganga from Kathiawadi

Dist. [ Contact ] @
Imtiaz Mastan

Classement
Interdit aux moins de 13 ans

Diffusion @
Cineplex
[ Salles VIP : Interdit aux moins de 18 ans ]

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]