Image+Nation 2020 [ Première partie ]

MANIFESTATION
[ Documentaires ]

texte
Élie Castiel

Pourquoi commencer notre couverture d’I+N 33 par les « Documentaires » plutôt que les « Fictions », catégorie plus prisée par les spectateurs? Pour une simple raison : c’est dans le réel que le cinéma LGBT produit le plus et peut se permettre d’être distribué dans de plus larges réseaux de diffusion. Mondialement, dans le domaine de la fiction, y compris dans un Québec – sauf peut-être dans le cas des courts métrages qui, en quelque sorte, demeure souvent des autoproductions – qui, en apparence, se distingue par son ouverture aux diverses sexualités, le cinéma demeure un art, dans son ensemble, hétéronormatif, certains diront même patriarcal. Dans ce domaine, le Québec, notamment au sein des institutions subventionnaires, une refonte dans le domaine des scénarios est à faire; dans la mesure où ils tiennent la route, les scénarios à thématique LGBT devraient faire partie des heureux élu(es) pour la mise en œuvre des longs métrages.

Affirmer le droit de cité

A Worm in the Heart

Du lot des films visionnés (en ligne), nous avons retenu les cinq documentaires qui nous ont semblé, soit innovateurs, soit questionnant le vécu LGBT avec une vision actuelle du monde, et plus que tout, offrant un espace vital pour une communauté qui, du jour au lendemain, pourrait s’effriter sans crier gare dans un monde de plus en plus tourné vers la droite.

Paul Rice, dans l’excellent A Worm in the Heart, nous conduit dans une Russie actuelle où la droiture et l’homophobie sont galopantes. Peut-on être gai ou lesbienne ouvertement, même dans les grandes villes comme Moscou ou Saint-Pétersbourg? La réponse est simple. Par le biais d’entrevues avec des personnes clés qui se penchent sur la question, nous découvrons une société qui s’est ouverte au monde occidental, tout en chérissant cependant les bonnes vieilles traditions conservatrices. Dans un sens, comme dans une grande partie d’autres pays du monde, l’homosexualité peut «s’exercer » du moment où on se laisse pas prendre. Même si dans l’ensemble le documentaire en question épouse les formes classiques, on apprécie des moments où les espaces filmés entretiennent des choix chromatiques au diapason des personnes interviewées. Ton austère, lutte constante, revendications malgré l’attitude des autorités et une population agressive face à la question.

Fabulous

Le premier moyen métrage d’Audrey Jean-Baptiste, Fabulous, nous conduit dans le monde de la danse Vogue (Paris Is Burning – 1990 – de Jennie Livingston et de bonne mémoire). Le maître-d’œuvre du studio de danse, Lasseindra Ninja, transgenre extraordinaire qui donne à sa réalité sexuelle ses lettres de noblesse. Entre la caricature assumée, le drag spectaculaire, l’extase de jouer avec les genres, tous ces codes du comportement sont exploités avec un goût prononcé pour l’affirmation. Et ça se passe en Guyane française. Et les étudiant(es) fervent(es) adeptes du genre affirment leur complicité, remettent consciemment en question le machisme ambiant d’une société hétéronormative qui a du mal à accepter les nouveaux codes sociaux. La seule arme pour ces nouveaux combattants, l’affirmation totale du corps, espace individuel de tous les possibles.

Army of Lovers in the Holy Land

Ils ne sont que trois aujourd’hui dans le groupe rock suédois Army of Lovers – Alexander Bard, Jean-Pierre Barda et Dominika Peczynski – Du lot, Barda, de parents Juifs algériens, demeure la tête pensante, l’étoile, par ses accoutrements outranciers, son homosexualité indifférente aux attaques, son charisme époustouflant sur scène et des répliques assassines selon les circonstances. C’est outrageant, fabuleux, je-m’en-foutiste et lorsque le principal intéréssé nous conduit en Israël où il fait son Aliyah, le plan est émouvant, l’émotion nous remplit l’âme et plus que tout, l’artiste assume sa différence le tout naturellement du monde, même en Terre sainte. Ça donne Army of Lovers in the Holy Land.

Du lot des films visionnés (en ligne), nous avons retenu les cinq documentaires qui nous ont semblé, soit innovateurs, soit questionnant le vécu LGBT avec une vision actuelle du monde, et plus que tout, offrant un espace vital pour une communauté qui, du jour au lendemain, pourrait s’effriter sans crier gare dans un monde de plus en plus tourné vers la droite.

De la Canadienne Sarah Fodey, Sex, Sin & 69 c’est le fameux Bill de P.E. Trudeau décriminalisant l’homosexualité qui est remis en question. On peut être d’accord que ça n’a été qu’un début, que le temps a montré que les choses n’ont pas assez changé et que les luttes sont constantes. La forme du documentaire classique se laisse voir sans ennui, particulièrement dû aux propos cohérents, recherchés et prenant un recul avec les époques en question. Pour les spectateurs d’une certaine génération, un rendez-vous avec leurs propres récits, leur propre histoire et, à travers les mots des intervenant(es), leur parcours individuel, à travers le temps, d’une réalité gaie incrustée dans un contexte global hétéronormatif. Selon le cas, le résultat peut être bouleversant.

Sex, Sin & 69

Et finalement, Si c’était de l’amour, de Patric Chiha. Ils sont quinze jeunes danseurs, d’origines et d’horizons divers. La caméra les filme lors des

répétitions de Crowd, une pièce de Gisèle Vienne inspirée des raves des années 90, sur l’émotion et la perception du temps. Entre parties du spectacle en répétition, propos intimes dont certains frisent l’indiscrétion et des discours philosophiques sur Crowd, le travail de gestation se concrétise de plus en plus.

Si c’était de l’amour

Et de la part de Chiha, réalisateur, une image trompe-l’œil, imaginative, d’une abstraction ayant recours à la sensualité du corps et du geste, sans raccourcis, mélangeant amoureusement les genres de la représentation. Chiha ou la culture queer dans tous ses états, quasi à son paroxysme le plus jubilatoire. Pour aujourd’hui et pour demain. Sans aucune condition.

Image+Nation 33
En ligne
Jusqu’au 06décembre 2020

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