J’accuse

INÉDIT
[ DVD ]

SUCCINCTEMENT
Du point de vue du Colonel Picquart, nommé à la tête du contre-espionnage, l’Affaire Dreyfus qui déchira la France, provoquant un véritable séisme dans le monde entier. 

CRITIQUE.

texte
Élie Castiel

★★★★ ½

Nul doute que le titre de cet article est chargé de signification, notamment tenant compte de tout le scandale causé par la sortie, en salles, dans quelques pays en dehors des États-Unis et du Canada, sans compter les 12 nominations aux César, dont 3 Prix – réalisateur, adaptation, costumes – Nous savions que le film ne passerait pas au Québec pour des raisons sociales locales évidentes n’ayant aucun rapport avec le sujet. Nous l’avons quand même visionné en support DVD (disponible sur Amazon, en Europe, et sur Amazon.ca à un prix exorbitant). Notre curiosité dépassait la teneur du phénomène public.

Leur mea culpa?

Est-ce à reculons que je signe cette critique? Aucunement. Par les temps qui courent, le sujet dépasse la portée du scandale privé dont il est question. Je compatis totalement avec les victimes, je saisis l’importance de se déchaîner contre les agresseurs durant ces décennies d’impunité face à des gestes abusifs envers les femmes et surtout du « silence social » dans la presque totalité des cas;  mais de l’autre côté on ne peut reculer devant l’œuvre d’un cinéaste accompli. Et aussi, s’il fallait évincer tous les « hommes » non publics coupables d’écarts de conduite envers ces non consentantes, un pourcentage peut-être non négligeable d’entre eux serait poursuivi en justice, sans parler de plusieurs artistes dans diverses disciplines d’autres époques de l’Histoire. Il arrive que parfois, après réflexion, je puisse souscrire contre cette nouvelle dictature victimaire qui écrase tout sur son passage, sans teintes ni nuances.

J’accuse n’est pas seulement l’adaptation du roman An Officer and a Spy (2013) de Robert Harris, mais une autocritique du réalisateur controversé. Par le biais de l’Affaire Dreyfus, Polanski prend le risque de tourner malgré les accusations pesant contre lui, d’où sa présence furtive dans le film, vu comme un soupir de soulagement, timide, quasi indicible, qui non seulement sert de rachat, mais également le place dans une position embarrassante, face aux spectateurs, au sujet entamé, à l’art risqué de la réalisation. Par la même occasion, et ce n’est pas la première fois (The Pianist / Le pianiste) l’homme controversé prend de plus en plus conscience de la contamination de l’antisémitisme ambiant actuel, une pandémie sociale qui se perd dans la nuit des temps et dont ne parle pas souvent.

Les tenants et aboutissants du Cas-Dreyfus sont sans doute nourris de quelques raccourcis, de faits plus ou moins véridiquement prouvés, mais n’empêche que Polanski assume sa condition de metteur en scène pour signer une œuvre libre, affranchie, provoquant le spectateur à jeter un second regard autant sur l’affaire en question que sur le signataire du film.

L’antisémitisme de Georges Picquart est volontairement atténué par Polanski, plaçant l’officier et plus tard l’homme politique français au rang des héros. Autant Dreyfus que son ardent défenseur subiront un destin provisoire aux résonnances napoléoniennes (Île du Diable pour le premier, le second, écroué à la Santé, en quelque sorte, une île marginale dans la ville). La fiction, ici, se juxtapose à l’Histoire comme si les images en mouvement et la réalité ne formaient qu’une.

Mais J’accuse est également une remise en perspective de l’Affaire Polanski, un cas social dont le principal concerné prend l’audacieux pari de mettre en parallèle avec la question dreyfusienne. C’est là sa gageure, une sorte de coquetterie, d’auto-absolution, pour qu’on en finisse une fois pour toutes avec cette inculpation qui dure depuis des décennies. Roman Polanski devient son propre avocat et peut se compter heureux d’avoir convaincu des comédiens de renom de tenir des rôles dans son film. On soulignera la présence lumineuse de Jean Dujardin, jouant différentes cordes avec aplomb, comme rarement auparavant. La proposition tient debout.

Il y a aussi une mise en scène qui évoque parfois le thriller à la Costa-Gavras (Z, L’Aveu…) et dont le montage de Hervé de Luze (The Ghost Writer / L’écrivain fantôme, 2010, également de Polanski) réussi à apaiser la lourdeur malgré une durée d’un peu plus que deux heures. J’accuse semble naviguer, malgré les traits dramatiques du récit, dans une mer calme. Choix arbitraire éclairé, prouvant qu’il faut réfléchir avant de juger.

En quelque sorte, pourrait-on mettre en cause Roman Polanski d’avoir jeté la pierre sur ses accusateurs en leur infligeant son propre mea culpa? Film de gauche? Film de droite? Film manipulateur? Non, film tout court.

Dans une séquence au Louvre, Jean-Alfred Desvernine, officier de police spécial dans cette affaire (Bruno Bonnard, remarqué dans le très beau Les Misérables, de Ladj Ly ) dit à propos de la statue d’Apollon qu’il s’agit d’un faux, ce à quoi Picquart répond que c’est une copie et que ce n’est pas pareil. Passage anodin sans doute, mais entérinant par là-même la pensée du réalisateur : les zones grises entre la culpabilité et le rachat, l’amour du métier en dépit de tout, mais au-delà, un cri du cœur lancé à la société civile qui ne pardonne pas.

En quelque sorte, pourrait-on mettre en cause Roman Polanski d’avoir jeté la pierre sur ses accusateurs en leur infligeant son propre mea culpa? Film de gauche? Film de droite? Film manipulateur? Non, film tout court. Et une parenthèse : comment ne pas signaler la présence du grand metteur en scène algérien Mohammed Lakhdar Hamina (rôle de Bachir), du classique Chronique des années de braise / Ahdat sanawovach el-djamr (1975), un  hommage amical de la part de Polanski en même temps qu’un tendre coup d’œil à un cinéma qui fut.

Toute forme de racisme est intolérable et n’est jamais justifiée selon les codes civils de la majorité des sociétés. Quant à J’accuse, son sujet intrinsèquement pérenne affirme une fois de plus que dans l’Histoire tourmentée de l’Humanité, demeure ad vitam aeternam l’idée que « l’antisémitisme est un déshumanisme ».

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Roman Polanski

Genre(s)
Drame historique

Origine(s)
France / Italie

Grande-Bretagne / Pologne

Année : 2019 – Durée : 2 h 12 min

Langue(s)
V.o. : français

J’accuse

Dist. @
[ Gaumont ]

Classement
[ Tous public ]

En DVD @
Amazon.fr
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ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]