Jeanne

SUCCINCTEMENT
En 1429, alors qu’elle s’apprête à mener la bataille de Paris, Jeanne est encore loin de se douter qu’elle marquera l’histoire : son emprisonnement par les Bourguignons, son procès à Rouen, les accusations de sorcelleries, puis sa condamnation au bûcher.

INÉDIT
EN SALLE

texte
Luc Chaput

★★★★

Une jeune fille traverse en diagonale la nef de la cathédrale d’Amiens et coupe ainsi le labyrinthe (1) au centre du plancher de ce lieu majestueux. Déterminée, elle fait fi des circonvolutions de la politique pour aller parler au roi (onctueux Luchini) qui la remercie rapidement. Le cinéaste français Bruno Dumont revisite la vie de Jeanne d’Arc après sa Jeannette en accentuant l’aspect singulier de ce parcours.

Tourné avec des moyens modestes dans sa région nordiste d’origine opposant la douceur vallonée des dunes de la Côte d’Opale à la grandeur de la cathédrale d’Amiens, le long métrage concentre une grande partie des deux dernières pièces de la Jeanne d’Arc de Charles Péguy publiée en 1897 et qui contient une vision socialiste. Le choix de la jeune Lise Leplat Prudhomme, déjà actrice dans Jeannette et âgée de dix-onze ans au moment du tournage, peut paraître étonnant mais Jeanne est souvent qualifiée d’enfant par ses interlocuteurs dans les dialogues de Péguy. L’interprétation de Lise, par sa modulation volontariste, est un des grands atouts de ce long métrage et confirme le choix étonnant de Dumont qui a d’ailleurs remarqué, comme d’autres avant lui, que la plupart des Jeanne de la trentaine des autres versions cinématographiques n’avaient pas autour de dix-neuf ans.

Vie et mort d’une enfant-prophète

Les pensées et les prières de la jeune fille sont plusieurs fois magnifiées par les chansons de Christophe dont la voix cristalline reprend les textes de Péguy en les enrobant d’une délicate musique. Le cinéaste cadre alors Jeanne à la hauteur normale opérant des gros plans vers le visage expressif de la jeune interprète. Dans une de ces séquences, Gilles de Rais (2) apparaît  de moins en moins flou au coin droit pendant que Jeanne énonce son tourment d’avoir connu la douleur d’être chef de bataille. Gilles de Rais l’avait auparavant semoncé en lui disant qu’elle ne savait pas parler aux soldats en leur faisant miroiter les avantages des pillages lors des prises de ville.

Un spectacle équestre filmé en plongée opposant des petits groupes de cavaliers français et anglais remplace les avancées, contournements et détournements des armées qu’il aurait été couteux et inutile de montrer à grands renforts de figurants ou d’images numériques.

Le décor grandiose, surchargé de la cathédrale d’Amiens, remplaçant le château moins orné de Rouen où s’est déroulé le procès de 1431, offre une équivalence architecturale aux discours tortueux des docteurs de loi. L’accord du sabre et du goupillon est mis en lumière entre autres dans les échanges entre Nicolas L’Oiseleur et Mathieu Bourat qui réprouve la procédure employée. Le contraste entre les stalles du chœur où siègent les inquisiteurs et assesseurs et la prestance évidente de Jeanne est mis en valeur par la mise en scène de Dumont à laquelle le directeur photo David Chambille apporte là comme partout ailleurs son soutien indéfectible.

Les pensées et les prières de la jeune fille sont plusieurs fois magnifiées par les chansons de Christophe dont la voix cristalline reprend les textes de Péguy en les enrobant d’une délicate musique.

L’emploi d’acteurs souvent non professionnels et issus de la région, même dans des rôles importants, se conjugue avec l’utilisation de vestiges de la Deuxième Guerre mondiale pour rendre plus patente la contemporanéité de la vie de cette enfant-prophète. Pour sa relecture désarçonnante par moments de la vie de Jeanne et de l’œuvre de Péguy, ce long métrage méritait amplement le prix Louis-Delluc qui lui a été attribué.

(1) Le labyrinthe dans une cathédrale permettait aux fidèles de faire un pèlerinage à l’intérieur par son parcours complexe vers un point central symbolique.

(2) Gilles de Rais (1405-1440), capitaine aux côtés de Jeanne, plus tard maréchal de France, condamné et exécuté comme tueur en série, est une des bases de Barbe-bleue.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Bruno Dumont

Genre(s)
Drame

Origine(s)
France

Année : 2019 – Durée : 2 h 17 min

Langue(s)
V.o. : français; s.-t.a.
Joan of Arc

Dist. @
[ KimStim ]
En collaboration avec le Cinéma Moderne

Classement
Non classé

En ligne
Vendredi 29 mai 2020 @
Cinéma Moderne

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.

★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]