La chair de Julia

CRITIQUE.
[ Scène ]

★★★★ ½

texte
Élie Castiel

Étrange titre que La chair de Julia. Aussi bien parler de son corps, de son esprit, de son imagination, de son être en tant que femme et comédienne; un voyage dans le temps après une quinzaine d’années d’absence. Théâtre et télévision, et au cinéma, ne l’avions pas vue évoluer admirablement dans Les beaux souvenirs (1981) de Francis Mankiewicz, ou encore dans Mourir à tue-tête (1979) ou Salut Victor (1989), tous les deux d’Anne-Claire Poirier?

Dans ce projet théâtral d’une grande originalité, une tribune, comme s’il s’agissait d’une profession de foi. Comme si du coup, alors que les années passent, il fallait coûte que coûte renouer avec la scène, ces quelques dernières années secouée par un vent de « relève » et de « diversité » incontrôlable. Les hasards du facteur sociopolitique et culturel sont ainsi faits.

Il fallait que cette pièce se fasse puisque La chair de Julia, en plus de s’affirmer comme un spectacle tenant de la magie et du miracle, s’organise en véritables tours de prestidigitation d’autant plus organiques qu’ils s’inscrivent dans une logique de conciliation avec soi-même.

Au premier rang de l’Esquisse, salle intime d’une chaleur humaine incontestable (ce soir-là, c’est ma première visite), la proposition de Julie Vincent, bien que se situant dans le passé, paraît d’autant plus essentielle et urgente qu’elle dresse le portrait d’un certain état des lieux de la scène québécoise post-Covid. Où en sommes-nous? Dans quel état d’esprit prévoir la suite? Sur qui compter dans cette faune créative non seulement de plus en plus exigeante, mais qui se reproduit à une vitesse incontrôlable.

Moments de la vie d’une femme

Marionette en quête de personnage.
Crédit : Olivier Hardy

Disons-le aussi sans ambages : l’offre dépasse de (très) loin la demande. Le talent est là, certes, mais pas toujours. En assistant au spectacle de Vincent, nous sommes en mesure de mettre en contexte plusieurs décennies du parcours québécois en termes de création. Vincent, sur scène, est toujours radieuse, raconte l’Histoire (avec un grand H) dans un esprit serein, l’âme en paix malgré des événements graves qui se sont déroulés jadis dans la sphère publique et culturelle. Elle fait « la » clown, la femme forte, la comédienne engagée. Son visage se détend et prend soudain des formes plus tendues, mais pas trop; pour qu’on puisse continuer à l’admirer.

Des souvenirs, selon notre tranche d’âge, qui accentuent cet élément de nostalgie, d’un temps qui a tenu à évacuer le passage des ans. Jamais génération comme celle de l’après-guerre n’a été aussi résistante à la vieillesse, au temps qui passe, aux années qui s’en vont à rythme foudroyant. Vieillir n’est pas une option. Et pourtant!

Julie Vincent se raconte, nous raconte en quelque sorte et offre un spectacle d’une imagination sans bornes. Simplement magique!

Sans le dire, Julie Vincent l’exprime ans en sous-entendus, en variations de mise en scène qui tiennent de l’astrologie, et prenons le risque de dire de la cabale, de la féérie de ces marionnettes menées admirablement bien par Paola Huitron, conceptrice de ces protagonistes inventées, gardant un respect et en même temps établissant avec « Julie » une complicité à la fois salutaire et désintéressée.

La mise en scène de Julie Vincent et Philippe Soldevila puise aux sources de la création libre, totale, sans condition, dégagée des codes qui embastillent ou plus encore, enchaînent. La scénographie de Rodolphe St-Arneault investit et appuie l’espace scénique avec une volonté de fer. Ces bagages d’un autre temps où s’amoncellent les souvenirs, les objets d’une autre époque et qui, pour la circonstance, constituent autant de perles précieuses qui définissent le souvenir et la mémoire du temps. C’est du jamais vu. Pour la simple raison que Vincent se donne corps et âme à un projet qui se réalise comme par miracle, comme si le temps agissait en sa faveur, le temps de lui redonner une seconde chance, pour que le public ne demeure pas indifférent, car comme c’est souvent le cas, il oublie vite.

Julie Vincent se raconte, nous raconte en quelque sorte et offre un spectacle d’une imagination sans bornes. Simplement magique!

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Julie Vincent

Mise en scène
Julie Vincent

Philippe Soldevila

Assistance à la mise en scène
Camila Forteza

Interprètes
Julie Vincent

Julie Vincent
Crédit : Monique LeBlanc

Marionnettes et Marionnettiste
Paola Huitron

Scénographie / Éclairages / Accessoires
Rodolphe St-Arneault

Dessins
Julie Vincent

Concept sonore et piano
Michel Smith

Costumes
Erica Schmitz

Production
Singulier Pluriel
&
Sortie de Secours

Durée
Environ 1 h 40 min

[ Sans entracte ]

Diffusion @
Théâtre de l’Esquisse
Jusqu’au 30 mai 2022

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]