La danza nera
PRIMEUR
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Sortie
Mardi 16 mars 2021
SUCCINCTEMENT
Un impresario venu d’Amérique. Un poste politique à remplir. Un théâtre local, soi-disant fierté des habitants. Et une jeune danseuse, amoureuse d’une femme. Bref, la confusion la plus totale. Mais entre les mains de Mauro John Capece, un jeu-puzzle étonnant et détonnant.
CRITIQUE.
★★★★
texte
Élie Castiel
Dans le sillon du cinéma italien post-moderne, Mauro John Capece est une exception, une singularité se nourrissant de ses propres fantasmes et qui, de film en film, se forge un univers particulier issu d’un imaginaire sans limites. De sa filmographie dans le domaine du long métrage, nous avons vu Alieno, l’homme du futur / Alieno, l’uomo del futuro (2017), coréalisé avec Pierpaolo Moio, The Sculpture / La scultura (2015), premier film solo et SFashion (2015), tous les trois présentés au défunt Festival des films du monde de Montréal.
Depuis La scultura, une Muse, une sorte de déesse sortie de l’antiquité grecque ou romaine, ou les deux à la fois. Son nom : Corinna Coroneo, une appellation qui évoque la « couronne » qui lui sert d’arme la protégeant de toutes les agressions. La relation va plus loin, puisque la Coroneo le suit dans l’écriture des scénarios. Ça rappelle en quelque sorte les rapports qu’entretenait Jules Dassin avec Melina Mercouri, comme ceux d’un peintre et son modèle, mais ce dernier établissant constamment les règles du jeu.
Faire des films en dépit des formes
sournoises de l’inculture populiste
Une entrée en matière un peu longue sans doute pour expliquer ce nouvel opus, La danza nera (The Dark Dance), présenté dans plusieurs festivals à travers le monde, dont certains LGBT+. Justement, ce côté, pourrait-on dire « homosexuel » (Homme? Femme?) est plutôt suggéré dans les films de Capece, se perd entre les lignes – plus évident sans aucun doute dans Alieno, l’uomo del futuro – ne se manifeste pas, non pas par crainte, mais obsédé par la litote narrative, car tout simplement le cinéaste préfère que le spectateur utilise ses méninges, saisisse le sens de ses images en mouvement, abreuvées d’illustrations splendides, soit des paysages, des atmosphères, et encore plus particulièrement une architecture des lieux, comme dans le cas de son compatriote Michelango Antonioni. Ces éléments veulent tout dire et cachent des secrets, des thèmes, des signes particuliers. Des structures aux formes bizarres, avant-gardistes, froides et en même temps confortables, jouissant des avancées architecturales en vogue.
L’architecture, justement, la forme des lieux prennent une place prépondérante et c’est ainsi dans La danza nera, un thriller qui importe peu, un fil conducteur prétexte à autre chose. Un film d’amour irréalisable où le sexe n’est pas une preuve de fidélité, de dévouement ou de complicité affective, mais une constante biologique qu’on se plaît à satisfaire malgré les rapports charnels qui prouvent, du moins momentanément, le contraire.
Manola est danseuse – très belle séquence au début du film – elle aime ou du moins entretient une relation soi-disant sérieuse avec Soriana (magnifique Michela Bruni). Mais celle-ci n’est pas prête à avouer son lesbianisme assumé en privé à sa mère, Beatrice (excellente Giorgia Traselli dans quelques séquences mémorables). Corinna Coronea est indétrônable. Elle conquiert l’écran, le transperce d’un regard animalier, d’une sauvagerie d’amazone à la fois sensuelle et calculatrice. Elle est en possession de son personnage. Bruni n’essaiera nullement de la surpasser. Et Capece, en maître de gestes absolus, la contrôle dans son jeu, tout à fait efficace et prenant.
Et il y a Franco Nero, qu’on n’avait pas vu depuis des lustres. On le reconnaît, son visage n’a pas changé. Son rôle (l’imprésario) ne compte que quelques scènes, mais dans un discours prenant, il rappelle aux spectateurs, sans vraiment le dire, qu’il a déjà eu une carrière honorable et récolté des grands succès. Face à un public dans un débat social ou politique peut-être, il se confesse et en quelque sorte condamne un cinéma qui a oublié les comédiens qui l’ont jadis marqué, qui les a oubliés. Mais il y a surtout, dans ce personnage, l’idée de l’Amérique, là où les rêves peuvent se réaliser. De retour en Italie, la possibilité pour lui de reconstruire, culturellement, une parcelle de son pays d’origine. Que se passe-t-il vraiment dans la tête de Capece?
Dans une brève image, on verra le réalisateur. Un moment unique puisqu’avant tout, son film est une méditation sur le métier de cinéaste, sur la possibilité de continuer à faire des films, sur les efforts qu’on doit parfois faire pour s’en tenir à des genres déjà établis, malgré soi, le thriller politique dans ce film en question, et pourquoi pas? Mais surtout, c’est un film sur la liberté dont peuvent jouir certains réalisateurs, conscients néanmoins qu’elle n’est pas totale et qu’elle doit s’ajuster à plusieurs facteurs hors de notre contrôle.
En exergue, dans le générique du début, le réalisateur insiste pour dire que le film est un hommage, entre autres, à Pier Paolo Pasolini. Sans doute que oui, par la présence d’une protagoniste (Manola) venue de nulle part pour semer le chaos (Teorema, sans doute) pas comme on l’entend, mais pour faire en sorte que la fiction puisse se réaliser. Tout est dans le scénario de Mauro John Capece et de Corinna Coroneo, deux têtes pensantes qui, loin d’imaginer un récit à la va-vite, structurent la pensée, schématisent les espaces de tournage selon des principes arrêtés et, mine de rien, construisent un univers qu’on ne retrouve chez aucun autre cinéaste italien.
Si l’hommage à Pasolini est présent, c’est dans l’âme-même du film, dans sa démarche artistique, dans les rapports qu’elle engendre entre les rôles particuliers. Et au bout du compte, il y a, dans La danza nera, une atmosphère d’enferment, glauque, viscérale aussi et qui demeure pour ainsi dire séduisante malgré sa sévérité.
Dans une brève image, on verra le réalisateur. Un moment unique puisqu’avant tout, son film est une méditation sur le métier de cinéaste, sur la possibilité de continuer à faire des films, sur les efforts qu’on doit parfois faire pour s’en tenir à des genres déjà établis, malgré soi, le thriller politique dans ce film en question, et pourquoi pas? Mais surtout, c’est un film sur la liberté dont peuvent jouir certains réalisateurs, conscients néanmoins qu’elle n’est pas totale et qu’elle doit s’ajuster à plusieurs facteurs hors de notre contrôle.
Et somme toute, réaliser que le cinéma peut souvent être une expérience redoutable, capricieuse, un acte banal qui ne se laisse pas toutefois manipuler. Mauro John Capece et sa complice de toujours, Corinna Coroneo, l’ont parfaitement compris. Toute cette histoire est le résultat d’un populisme qui asphyxie tout sur son passage, notamment l’art et la culture. L’Italie n’en est pas exempte. Mais tourner est avant tout un acte de résistance.
Et le film non plus puisque sa sortie « en salle » est devenue, selon nos sources, victime d’une situation mondiale incontrôlable.
NB : Les photos sont une gracieuseté de Odflix Communications.
FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Mauro John Capece
Scénario
Mauro John Capece
Corinna Coroneo
Images
Mauro John Capece
Alessandro La Fauci
Montage
Demetra Diamantakos
Boris Kaspovitz
Musique(s)
Davide Verticelli, Gianluigi Antonelli
Vronski Bélizaire, India Czajkowska
Origine
Italie / Canada
Année : 2020 – Durée : 1 h 41 min
Langue(s)
V.o. : italien ; s.-t.a.
The Dark Dance
Dist. [ Contact ] @
[ Odflix Communications ]
Diffusion @
VSD – Cinémas Guzzo
Classement (suggéré)
Interdit aux moins 16 ans
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]