L’angle mort

PRIMEUR
Sortie
Vendredi 28 août 2020

SUCCINCTEMENT
Bien qu’il ne s’en serve pas beaucoup, Dominick Brassan a le pouvoir de se rendre invisible, mais faisant de son pouvoir un secret vaguement honteux, qu’il dissimule même à sa fiancée, Viveka. Et puis , un jour…

FILM
de la semaine.

texte
Élie Castiel

★★★★ 

En duo, parfois entourés d’autres coréalisateurs, on doit à Patrick-Mario Bernard et à Pierre Trividic le moyen métrage Ceci est une pipe (2001), vu la même année à Image+Nation et présent dans plusieurs festivals LGBT, suivi, entre autres, de Dancing (2003), où ils sentent encore le besoin d’explorer le thème de l’homosexualité.

Avec L’autre (2008), ils passent vers une narration hétéro, sans doute pour exprimer que les émotions, les rapports hommes/hommes, femmes/femmes ou hommes/femmes n’ont rien à voir avec leurs orientations sexuelles. Cette démocratisation des diverses manifestations de la sexualité est justement la force de leur réalisations, trop rares par les temps qui courent.

L’insaisissable

Dans le cas de L’angle mort, les héros ou plutôt anti-héros sont Noirs ou issus de l’immigration, exposant ainsi une marginalité autre. Comme le personnage d’Elham (qui nous dira ce que signifie son prénom), mené avec un force de persuasion par la toujours éclatante Golshifteh Farahani. C’est le cas aussi d’un des copains de Dominick, qui partage lui aussi son étrange pouvoir ; Richard (magnifique Sami Ameziane) traînant quasi en permanence un visage otage de la soumission, entre la terreur, la tendresse et la stupéfaction.

Et il y a aussi Viveka, que la silhouette blanche d’isabelle Carré rend crédible – on dira du personnage qu’elle a toujours préféré les Noirs – raison sociopolitique à l’appui, du moins selon un des individus lors d’une réception.

Détails narratifs de la part du couple Bernard/Trividic pour parler de la différence, ici, culturelle, quoique bien intégrée dans un Paris où le visible et l’invisible permettent une confrontation entre le dit et le non-dit, entre la fusion et le (dé)partage, entre le collectif et l’individuel, voire même entre le pouvoir de céder et celui de résister.

Dominick n’est pas très à l’aise avec ce pouvoir, inné sans doute, de se rendre invisible – on ne saura jamais d’où ça vient ; peu importe – C’est justement son désir d’appartenir à une certaine normalité qui le mène à lutter contre son obsession.

Film atypique, diablement risqué, magnifiquement insaisissable, L’angle mort suscite autant le désarroi que l’admiration. Par sa mise en scène, visible autant qu’absente, faisant du royaume de la nuit son port d’attache. Un Paris nocturne qu’on ne voit que très rarement, échappé de tout attrait touristique, entrant dans les béatilles de ces vies inusitées, prises entre la réalité et la « science-fiction imaginée », sans être encombrante.

Trop rares, disons-le de nouveau, Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic séduisent avec une fable mi-fantastique mi-sociale sur un homme qui a le pouvoir de se rendre invisible, questionnant pour ainsi dire l’image en mouvement et les possibilités qui lui échappent.

Et pourquoi cette invisibilité ? Pour fuir ce quotidien où les images envahissantes nous rendent perplexes, nous rongent, nous détruisent parfois, et plus que tout, emportent avec elles notre simple désir de socialiser. Autrement dit, nous déshumanisent.

Un film difficile malgré certains attraits. Il nous permet de comprendre que la création cinématographique n’est pas un acte démocratique, mais un exercice de création, voire même de style, inusité, individuel, intentionnellement torturé, surprenant, où seule compte l’imaginaire de l’artiste. Le reste, ça n’a pas d’importance.

Le corps nu – parties arrière comme avant – de Jean-Christophe Folly, par ailleurs d’un naturel aussi stupéfiant que candide, n’est que l’image du corps incarné, sans attirail, comme dans la création du monde. Effectivement, L’angle mort est un film touchant, triste, mélancolique, là où les ressorts de l’âme nous échappent, nous contraignent à mieux saisir nos instincts, notre perception du monde.

Un film difficile malgré certains attraits. Il nous permet de comprendre que la création cinématographique n’est pas un acte démocratique, mais un exercice de création, voire même de style, inusité, individuel, intentionnellement torturé, surprenant, où seule compte l’imaginaire de l’artiste. Le reste, ça n’a pas d’importance.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Patrick Mario Bernard

Pierre Trividic

Genre(s)
Drame fantastique

Origine(s)
France

Année : 2019 – Durée : 1 h 45 min

Langue(s)
V.o. : français  ; s.-t.a.

Blind Spot

Dist. @
FunFilm

Classement
Tous publics
[ « Déconseillé » aux jeunes enfants ]

En salle(s) @
Cinéma du Parc

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]