Le genou d’Ahed

P R I M E U R
[ En salle ]
Sortie
Vendredi 1er avril 2022

SUCCINCTEMENT.
Y, cinéaste israélien, arrive dans un village reculé au bout du désert pour la projection de l’un de ses films. Il se jette désespérément dans deux combats perdus : l’un contre la mort de la liberté dans son pays, l’autre contre la mort de sa mère.

le FILM
de la semaine.

CRITIQUE.

★★★★

texte
Élie Castiel

C’est vraiment comme s’il était question de deux films en un seul, deux voix qui ultimement, en fin de parcours, s’étreignent méchamment en sachant très bien que ce Genou d’Ahed, de Nadav Lapid – parmi les brebis galeuses du nouveau cinéma israélien – auteur, entre autres, du brillant Synonymes / Milim Nirdafot (2015), suscite intentionnellement la controverse, autant auprès des Juifs israéliens et surtout de ceux de la diaspora, enclins, eux, et en majorité, à défendre une image positive d’Israël, en grande partie pour contrecarrer ce nouvel antisémitisme percutant et malicieux en provenance de plusieurs parties du monde occidental qui, soyons honnêtes, nous ont pris par surprise.

Une première partie, où on suit la trajectoire de Y (alter ego du réalisateur) qui poursuit des auditions pour son prochain film, au sujet de la détention d’une jeune Palestinienne qui aurait giflé un soldat israélien. La suite, sans commentaires… Premier épisode où les tractations relatives à l’obtention des budgets ne sont pas une mince affaire, en raison bien entendu du sujet traité. Mais passons.

Assez pour que Nadav Lapid puisse s’exclamer haut et fort dans une deuxième partie où il ne va pas de main mort au sujet de certaines attitudes des dirigeants. Si d’une part, on peut être d’accord avec quelques-unes de ses diatribes, force est de souligner que son traitement narratif à « une voie », situe Israël comme le seul démon dans toute cette affaire. On a l’impression qu’il a des comptes à rendre.

Mise en abyme à

multiples résonnances

Seule démocratie au Moyen-Orient, Israël a sans aucun doute beaucoup de chemin à faire pour normaliser les relations avec ses voisins. Comment faut-il prendre les récents accords avec certains pays arabes? C’est là une autre histoire qui transparaît indiciblement dans le film.

Lapid s’en prend aux envolées, voire errances de l’État qu’il soupçonne de procéder à des déguisements factices autorisés; Dans son discours, il ne va pas avec le dos de la cuillère, prenant presque personnellement certaines de ses revendications. Il documente ses propos, comme le cas en 2018, lorsque le ministère de la culture lui avait demandé de signer un document stipulant qu’il ne fallait pas aborder certains sujets non autorisés par les autorités. Ça se passait dans une petite localité, loin de la grande ville où il devait répondre aux questions de l’assistance après la présentation d’un film. Que pensez-vous qu’il est arrivé?

Il arrive des moments où la vulnérabilité jaillit comme un éclair.

Farce, fable, allégorie, dénonciation trop appuyée. N’empêche que ce que Lapid dénonce, comme d’autres cinéastes israéliens l’ont fait avant lui et certains, peu par contre, le font aujourd’hui, ne peut être oblitéré du discours social ou politique mondial. Le confort dans l’indifférence est une maladie qu’il faut soigner et ne mène nulle part. Mais Lapid a-t-il totalement raison?

À Cannes,  il a obtenu le Prix du Jury, ex-aequo avec Memoria de l’idolâtré taiwanais Apichatpong Weerasethakul. Peut-on questionner cette double récompense? À moins qu’il ne s’agisse, dans le cas de Lapid, d’un geste politiquement idéologique. En toute franchise, ce n’est guère impossible.

Il y a surtout une mise en scène : narcissiste, intentionnellement imparfaite, jouant avec les formes du plan comme s’il s’agissait de rapports de pouvoir incongrus avec le personnage central, tant avec le cinéaste lui-même, comme si présence fantomatique se faisait sentir.

Lorsque à genoux, posant ses bras proche du coup de la représentante culturelle (excellente Nur Fibak, dans un premier rôle à l’écran), elle ne sachant point sur quel pied danser, mais montrant un visage expressif d’une beauté radieuse, Y (parfait Avshalom Pollak exploitant avec ferveur son faux cynisme), fiévreux, finalement vulnérable, montrant dans ce geste dramatique le visage de la douleur intérieure, comme si ses discours passés étaient soudainement devenus des revendications involontaires face à la complexité sociopolitique du pays.

À Cannes,  il a obtenu le Prix du Jury, ex-aequo avec Memoria de l’idolâtré taiwanais Apichatpong Weerasethakul. Peut-on questionner cette double récompense? À moins qu’il ne s’agisse, dans le cas de Lapid, d’un geste politiquement idéologique. En toute franchise, ce n’est guère impossible.

N’est-ce pas là dynamique psychologique d’Israël? Malgré les tentatives de réussite et d’images positives rapportées en Occident, le pays n’a pas vraiment trouvé la paix intérieure. Certes, c’est un chemin à deux voies, le plus souvent insurmontables, mais seule et unique possibilité de se dégager de cet imbroglio qui se perd depuis la création de l’État.

Lorsqu’il est filmé en train de débattre sur l’état des lieux de son pays, Y (Lapid) le fait avec une expression qui ressemble à de la caricature. C’est sans doute la seule façon qu’il a trouvé. Si une chose est vraie, pourtant, Pollak, dans le rôle principal, se met corps et âme dans la peau et le cerveau du cinéaste, captant les déconvenues qui l’accablent. Lapid a tourné ce film peu de temps après le décès de sa mère, monteuse de ses films. Ce départ l’a-t-il influencé?

Néanmoins, quelle que soit notre opinion sur le sujet abordé, pas une mince affaire, la rectitude politique a toujours fait du mal aux individus car elle refuse la justice et le progrès. Aujourd’hui, plus que jamais.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Nadav Lapid

Scénario
Nadav Lapid

Direction photo
Shai Goldman

Montage
Nilli Feller

Musique
[ Artistes variés ]

Genre(s)
Drame

Origine(s)
France / Israël

Allemagne

Année : 2021 – Durée : 1 h 50 min

Langue(s)
V.o. : multilingue; s.-t.a. ou s.-t.f.
Ahed’s Knee
Ha’berech

Dist. [ Contact ] @
[ Kino Lorber ]

Classement suggéré
[ En attendant que le Répertoire

des films classés soit fonctionnel ]
Visa GÉNÉRAL
[ Déconseillé aux jeunes enfants ]

Diffusion @
Cinéma du Musée
Cinéma du Parc

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]