Mademoiselle Agnès
@ Théâtre du Rideau Vert

CRITIQUE
[ SCÈNE ]

Élie Castiel
★★★★

Rapports

démentiellement

étriqués

Déjà présenté en 2022 au Prospero, le Rideau Vert clôture la saison 2023-2024 avec une pièce jubilatoire, grave et démente, parcourant la trajectoire du comportement humain avec autant de cynisme que de mordant. Tout le monde il est gentil, s’il en est capable ; tout le monde il est méchant, aucun problème dans ce domaine.

Un début fracassant où le monologue exprimé par Sylvie Drapeau atteint autant de moments de paroxysme que de joutes physiques. C’est à partir de ce moment, et nous n’en sommes qu’à l’entrée en matière, que le récit de Rebekka Kricheldorf prend son envol pendant près de deux heures. Nous ne dirons rien de l’intrigue, question que vous la découvriez vous-même. La pièce traite cependant de thèmes qui se perdent dans la nuit des temps. La dramaturge allemande, en adaptant à sa façon Le misanthrope de Molière, fait l’état des choses du monde actuel, à l’instar du dramaturge français, brillant observateur de son époque. Rien n’a vraiment changé au cours des siècles.
Il s’agit d’une pièce jubilatoire, insensée, caustique, quelques paroles grossières, des vérités qui blessent, d’autres qui nous ramènent à l’ordre. Pas pour très longtemps.

Cette Mademoiselle Agnès, dans son mépris de l’Être, a sans doute raison, quoique ça devient pour ainsi dire une obsession; et puis, les autres, des masques que l’on porte quotidiennement. Des masques qu’on retire le bon moment venu. Des conventions, des règles du comportement, en fait, aucune règle… de fausses promesses, quelques bons sentiments provisoires ou selon les circonstances, et des mensonges, des trahisons, des déconvenues. Guide parfait de survie. Simplement, la vie.

Est-ce prévu dans l’écriture de Kricheldorf ? Toujours est-il qu’on assiste à quelques ruptures de ton, bien plus à des faux raccords qui font que le texte ne tient pas la route par moments ; Ainsi va la mise en scène, comme si Louis-Karl Tremblay avait saisi la définition parfaite de ce que veut dire « adaptation ». Nous assistons à un vrai bordel dramaturgique ; soudain, comme par enchantement, le sérieux reprend ses droits et tout repart sur la bonne voie. Sauf erreur, puisque le reste continue dans le royaume de la déraison.

Est-ce dû à la présence du personnage d’Elias, « il » ou « elle », entre les deux, non binaire, campé par une Nathalie Claude formidable, créant des personnages entre le spectacle de foire, le grand-guignol et les règles stricts de la disciplie camp.

Dans la tête de Kricheldorf et l’imaginaire de Louis-Karl Tremblay, une sorte de symétrie, de dialogue complice, de vision commune quant aux préceptes brillamment  contrôlés de cette pièce ambitieuse et bigrement risquée.

Sans vraiment l’être, Mademoiselle Agnès semble une pièce queer, apportant au geste, au mouvement, à la corporalité, à l’atmosphère d’ensemble quelque chose associé à l’univers LGBTQ. C’est aussi burlesque qu’affolant.

Dans la tête de Kricheldorf et l’imaginaire de Louis-Karl Tremblay, une sorte de symétrie, de dialogue complice, de vision commune quant aux préceptes brillamment  contrôlés de cette pièce ambitieuse et bigrement risquée.

Nos rapports sociaux, incluant les plus intimes, sont ainsi illustrés dans ses retranchements les plus excessifs. Nous sommes tous coupables. Aucun innocent. La sincérité est-il juste un mot dans le dictionnaire ?

Et puis, cette demoiselle Agnès, elle nous touche, nous désoriente, nous sommes du même avis qu’elle et par moments, lui en voulant pour s’être senti obligée de cracher tant de venin.

La saison se termine au TRV, malgré les apparences, sur une véritable leçon de morale, dans le vrai sens du terme.

FICHE ARTISTIQUE PARTIELLE
Mise en scène & Adaptation
Louis-Karl Tremblay

Assistance à la mise en scène
Andrée-Anne Garneau

Distribution
Sylvie Drapeau, Éric Bernier
Stéphanie Cardi, Luc Chandonnet
Natalie Claude, Félix Lahaye
Tracy Marcelin, Ariane Trépanier

Éclairages
Robin Kittel Ouimet
Costumes
Karine Galarneau
Décors
Louis-Karl Tremblay

 

D

Durée
1 h 50 min
[ Sans entracte ]

Public (suggéré)
Déconseillé aux moins de 13 ans

Diffusion & Billets @
Théâtre du Rideau Vert
Jusqu’au 1^er juin 2024

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]