Martin Eden
PRIMEUR
Sortie
Vendredi 05 mars 2021
SUCCINCTEMENT
Un concours de circonstances pousse Martin Eden, un pauvre marin sans éducation formelle, à s’instruire à force de détermination et à exercer le métier d’écrivain.
COUP DE CŒUR
de la semaine.
★★★★
texte
Élie Castiel
Il est de la classe prolétaire, fier marin; il traverse les mers et accumule les conquêtes féminines. Il est vulgaire, parle le langage des couches sociales ouvrières. Jusqu’à sa rencontre, après un incident digne des grands romans en raison de sa simplicité narrative, avec la fille de la famille Corsini, issue de la haute bourgeoisie. Il voudra devenir comme eux, apprendre à écrire, à discuter, à développer les bonnes manières, à cotôyer les grands de ce monde.
Un beau sujet de livre et de transposition à l’écran. Entre le cinéaste et son coscénariste Maurizio Braucci un beau travail d’écriture, à la frontière de l’épique, une sorte de saga intimiste qui se conjugue à la première personne.
Marin d’eau trouble
Martin Eden ou l’ascension du prolétariat à la bourgeoise. Mais pas la bourgeoisie économique qui réunit ces propriétaires terriens, ses assoiffés du pouvoir, ses magnats de la finance. Au contraire, la possibilité d’entrer dans le monde des créateurs, des écrivains.
Et la fiction nous mène en terrains jusque-là inconnus du protagoniste, sorte d’Ulysse à la conquête de territoires vierges. Oui, il est atteint de mots, de paroles, de phrases, de poésie écrite, mais découvre du coup la politique, les injustices sociales, les méfaits de la politique environnante.
Martin Eden n’est plus le marin d’eau douce où chaque arrêt se transforme entre le plaisir d’exister les extases de la chair. Luca Marinelli est un acteur formidable. Il est grand, svelte, charismatique, beau, attire les regards. Il le sait et demeure convaincu que c’est un bon tour que lui a joué le destin. Son personnage de Martin Eden est organique, plus énergique que dans la réalité. Foudroyant.
L’évolution psychologique, physique, émotionnelle et avant tout intérieure du protagoniste est d’une logique impitoyable. Le cinéaste, après l’inédit Bella e perduta (2015) signe ici un second long métrage d’une grande finesse qui évoque un certain cinéma italien d’une autre époque et dont on perd la trace à mesure que le temps passe. Il y a du Bertolucci, quelque chose des Taviani aussi si on voit de plus près. Quelque chose qui a à avoir avec ce qui est difficile à filmer parce qu’il s’agit de sensations, de mouvements intérieurs liés à l’âme, à l’existence. D’où ces séquences qu’on ne dévoilera pas, mais qui s’intègrent particulièrement bien à des univers parallèles. Film d’auteur? Bien sûr que oui. Mais dans le même temps, un récit classique qui ne dément pas son horizontalité, sa chronologie bien codée, le destin de fin de parcours impossible à défier. Et c’est ainsi qu’on arrive à comprendre ces changements si rapides dans la vie du protagoniste. Comme au cinéma, où tout est possible.
Martin Eden, nom prédestiné pour signifier un « paradis » sans doute perdu. Changer sa condition sociale est-il possible dans le monde tel que nous le concevons? Pietro Marcello laisse cette question suspendue.
Et une histoire d’amour, avec les codes du drame romantique, voire même sentimental, qui frôle Visconti, De Sica, et pourquoi pas, sans vraiment s’en rendre compte, fidèle sans doute à une magnifique tradition italienne qui consiste à célébrer ses artistes, dans ce cas, ces cinéastes qui ont marqué l’Histoire du cinéma transalpin. Une cinématographie bourrée de talents et notamment d’œil ethnographique face à l’individu.
Quelle est l’époque dont il est question. Le 20e siècle est évident, mais il y a quelque chose, à l’intérieur de cette étendue de temps, d’anachronique et qui, par magie, ne semble pas affecter la continuité. Martin Eden est en quelque sorte de toutes les époques. Un grand romantique à l’esprit rebelle, poète inconditionnel, amoureux des femmes, une en particulier, mais…
Un film d’amour, certes, mais aussi d’aventures, de périples de l’existence, d’où ces images d’archives de périodes différentes qui se juxtaposent les unes dans les autres. Comme un album de l’histoire d’une civilisation.
Martin Eden, le marin d’eau douce qui se retrouve dans une mer agitée, c’est aussi une histoire de l’Europe, une histoire qui se déroule entre l’hier et un aujourd’hui un peu lointain.
Martin Eden, nom prédestiné pour signifier un « paradis » sans doute perdu. Changer sa condition sociale est-il possible dans le monde tel que nous le concevons? Pietro Marcello laisse cette question suspendue.
FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Pietro Marcello
Scénario
Pietro Marcello
Maurizio Braucci
D’après le roman de Jack London
Direction photo
Alessandro Abate
Francesco Di Giacomo
Montage
Fabrizio Federico
Aline Hervé
Musique
Marco Messina
Sacha Ricci
Son : Stefano Grosso
Genre(s) : Drame
Origine(s)
Italie / France
Allemagne
Année : 2019 – Durée : 2 h 09 min
Langue(s)
V.o. : italien, français ; s.-t.f. ou s.-t.a.
Martin Eden
Dist.
[ Cinema du Parc ] @
Kino Lorber
Classement
Tous publics
En salle(s) @
Cinéma du Musée
Cinéma du Parc
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]