Obscuro Barroco

Evangelia Kranioti

SUCCINCTEMENT
Itinéraire onirique, sur fond de carnaval, de bacchanales et de manifestations, de deux protagonistes opposés : un clown introverti et un travesti flamboyant. Dans l’obscurité euphorique des festivités, les dédales de Rio de Janeiro servent de théâtre à une exploration mouvante des processus de métamorphose, de réflexions sur la question du genre et de revendications pour l’égalité des droits.

CRITIQUE.
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Texte.
Élie Castiel

★★★★

Le premier plan du film, magique, majestueux, plongée à vol d’oiseau en mouvement panoramique sur Rio de Janeiro, Brésil – sans doute la ville la plus interdite du monde, pour ses nuits chaudes, ses excès, sa joie de vivre, mais aussi pour les dangers que courent les marginaux, les laissés-pour-compte, les gais, les lesbiennes et encore plus les travestis et les transgenres – est suivi d’un court mouvement en contre-plongée de la forêt, deux plans parallèles comme métaphore de la transformation d’un territoire vierge en ville cosmopolite où tout semble permis.

Les protagonistes de ce film qui utilise, qu’on le veuille ou pas, certains codes du mondo movie, genre injustement tant vilipendé par la critique officielle et peu représenté dans les ouvrages sur le cinéma-culte, s’expriment avec frénésie, essentiellement dans les séquences du carnaval, mais également grâce à l’excellent montage de Yorgos Lamprinos, qui parallélise les situations comme si le documentaire se faisait fiction et vice-versa.

Métamorphoses carnavalesques

Mais aussi dans l’intimité, comme c’est le cas de la regrettée Luana Muniz (1961-2017), transgenre extraordinaire qui commente le film (elle devient ainsi, scénario incarné) en transformant cette condition sociale comme s’il s’agissait d’un culte païen, prescrit par les Dieux et non pas par les préceptes des fois monothéistes. C’est alors qu’on saisit la signification du préambule du film, avant que le titre n’apparaisse sur l’écran. Sexe indéfini (transitoire peut-être) et vieille dame adepte du vaudou se touchent les mains tel une déclaration de rapprochement, mais plus encore, refusant la normalité en plaçant le corps dans une sphère qui se situe entre l’idée qu’on se fait de la vérité absolue et le mythe.

Elle-même grecque, il n’est pas surprenant que Evangelia Kranioti, la cinéaste qui, d’ailleurs, a un visage de tragédienne, ait puisé aux sources lointaines de l’hellénisme fondateur. Il y a, dans Obscuro Barroco, un incessant va-et-vient entre la contemporanéité, ses (anti)mythes rélégués aux calendres grecques et une proposition lumineuse qui constitue le point central du film.

Le charnel n’a jamais été aussi proche de l’âme, sans honte, sans gêne; les corps bougent ce temps de fête où tout est accepté. L’être refuse les tabous, le social est en délire, la police guette néanmoins et la cinéaste tourne elle-même ces images en essayant de tout capter sur son passage. Car après la « débauche », le silence (comme le dit un policier à Muniz). Avant cela, elle dira que si Rio de Janeiro était une personne, un être vivant, cette ville serait un travesti.

Inspirée par le roman à une voix de Clarice Lispector, Água Viva (The Stream of Life), Evangelia Kranioti présente une thèse par voie d’images en mouvement qui, inconditionnellement, unit le cycle éternel de la vie et la joie de l’abandon.

Kranioti a bien saisi ce commentaire. L’espace urbain est présenté selon une proposition cinématographique qui unit amoureusement essai filmique et corporalité. Ces corps sans voile font couler l’intimité de la sueur, le masculin et le féminin s’intègrent comme par magie. Le carnaval est un état d’esprit qui est en fait une métamorphose ou bien encore une allégorie faite de bruits, de sons, de couleurs, de costumes, de paillettes, tout un arsenal de la physicalité qui rompt avec le quotidien.

Et comment ne pas souligner la présence de ce Pierrot lunaire, sorti de nulle part, perdu dans l’espace rabelaisien de la nuit carnavalesque, le visage sérieux, l’air ahuri, se demandant sans doute pourquoi Rio est aussi contrastée, libre… et en même temps tentaculaire lorsque la nuit vient. Inspirée par le roman à une voix de Clarice Lispector, Água Viva (The Stream of Life), Evangelia Kranioti présente une thèse par voie d’images en mouvement qui, inconditionnellement, unit le cycle éternel de la vie et la joie de l’abandon.

FICHE TECHNIQUE
Réalisation
Evangelia Kranioti

Image
Evangelia Kranioti

Montage
Yorgos Lamprinos

Son
Jérôme Gonthier

Evangelia Kranioti

Avec
Luana Muniz

Narration
Luana Muniz

Origine(s)
France
Grèce

Année : 2018 – Durée : 1 h

Langue(s)
V.o. : portugais ; s.-t.a.

Obscuro Barroco

Producteur(s)
Evangelia Kranioti

Contact @
Tropical Underground
[ Paris – FRANCE ]

Diffusion @
YouTube [ En vente ou en prêt ]

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]