Oscars 2022. I

ÉVÉNEMENT.
[ Fictions ]

texte
Élie Castiel

   Cinq pays représentés dans la catégorie « Fiction » – Section « Courts/Moyens métrages ». Il incombe à chacun de nous de choisir le plus achevé car chacune des propositions reflète les dérives, les choix, les surprises, les aléas d’un monde en pleine mutation. Un 21e siècle qui affiche, en cette deuxième décennie, une sorte de malaise à la fois physique et existentiel. COVID-19 aidant et conflits territoriaux obligent, c’est à une société autre encore mal définie que nous nous dirigeons. Sans compter les dérives qui se disent « protectrices et sécuritaires » de nos identités et qui s’affichent à une vitesse incontrôlable. Si les films en question n’expriment pas nécessairement ces inquiétudes, il n’en demeure pas moins qu’ils les font sentir dans nos inconscients. Jamais individu n’aura été aussi sollicité dans son travail d’introspection.

Bilans

comportementaux

Ala Kachuu

ALA KACHUU (Take and Run)
Suisse / Kirghzistan 2020 – Maria Brendle
Le titre veut simplement dire « faire ses bagages ». Effectivement, c’est ce que souhaite Azim, que le système patriarcal unit avec les forces matriarcales la forçant à épouser un homme du village. Elle veut continuer à étudier et s’émanciper en ville. Quoi de plus naturel. Valeurs traditionnelles, coutumes ancestrales, la femme vue comme un objet qu’on manipule de tous côtés, ce sont là des thèmes archi-connus. Mais la réalisation rigoureuse, allant droit au but, ne reculant pas devant les obstacles, de Brendle, de plus que c’est tourné au Kirghzistan, rendent la proposition encore plus actuelle. Pour l’œil occidental, un désorientation presque totale. Un mode de vie qui se perd dans la nuit des temps et s’impose. Deux mondes qui s’affrontent. Et une mise en situations qui ressemble à un sport de combat. Alerte. ★★★

THE DRESS (Sukienka)
Pologne 2020 – Tadeusz Lysiak
Elle est de petite taille, et Anna Dzieduszycka campe le personnage de Julka avec une élégance impitoyable, secouant du coup les malaises d’une société polonaise urbanisée d’aujourd’hui où tous les coups sont permis. Le cinéaste, dont c’est ici, le troisième court métrage, n’y va pas de main morte. Il s’emploie à nous faire découvrir un courant social qui, contrairement à ce qu’on veut nous laisser croire, imbus de religiosité, définit pourtant ses propres règles du mieux qu’il peut. Les hommes sont, en général, portés par le sexe. Vite consommé, vite oublié. Cette désaffection de la relation affective n’est pas unique. Elle s’étend sur la planète alors que les exigences de la vie professionnelle se font de plus en plus intrusives. Mais il est surtout des « nouvelles » relations hétéronormatives entre hommes et femmes, un sentiment de malaise, de malentendus, d’impossibilités de nommer les choses, des normes qui s’établissent de plus en plus. Le résultat : une solitude des plus épaisses, tristes, que la mise en scène de Lysiak illustre magistralement. ★★★★

The Dress

On My Mind

ON MY MIND
Danemark 2021 – Martin Strange-Hansen
Henrik veut chanter une chanson pour sa femme. Il faut que ce soit aujourd’hui, il faut que ce soit maintenant. C’est une question de vie, de mort et de karaoké. Une belle idée que Strange-Hansen met en images avec le plus grand soin accordé aux gros plans. Car c’est la détresse psychologique de cet anti-héros du quotidien qui demeure le point central de ce court métrage. Et lorsqu’on constate la teneur de l’interprétation de Rasmus Hammerich, totalement absorbé par son personnage, on ne peut rester de bois. Un film simple, radical dans le sujet qu’il aborde, et plus que tout, assemblé morceau par morceau avec un sens inouï de la continuité. Regarder à l’horizon pour comprendre que la vie continue, c’est sans doute la clé contre la souffrance de l’absence, tristesse et la douleur. ★★★ ½

THE LONG GOODBYE
Grande-Bretagne / Pays-Bas 2021 –  Aneil Karia
Riz (Ahmed) passe une journée tranquille avec sa famille, alors qu’une marche d’extrême droite est diffusée à la télévision. Le défilé finit par arriver devant sa maison. Et c’est la débâcle, rupture violente que Karia filme avec une caméra totalement écervelée, en manque de contrôle, au diapason des personnages qui ne savent plus comment réagir. Un message direct : la poussée de la droite dans nos sociétés. Cette partie de la population qui pense que « c’était mieux avant », lorsque « nous étions entre nous » et que l’enfer, c’était les autres. Riz Ahmed a coscénarisé le film avec Karia. Il garde son prénom dans le film. Une fiction, pourtant. Mais fort probablement pour signifier qu’entre l’imaginaire et le réel, les lignes de démarcation s’effritent de plus en plus et bien plus que cela, tendent à se métamorphoser en quelque chose d’indéfinissable, comme si nos propres vies étaient en constante surveillance et surtout en état d’alerte, de mise en garde. Dommage qu’un argumentaire final vient alourdir le propos initial. ★★

Please Hold

PLEASE HOLD
États-Unis 2020 – KD Davila
La vie d’un jeune homme est soudainement et inexplicablement déraillée, alors qu’il se retrouve à la merci d’une « justice » automatisée. La jeune cinéaste américain  d’origine mexicaine signe un premier court métrage au rythme de son époque, au diapason d’une société hyperbranchée dans les méandres néfastes de la technologie, de l’immédiateté, de ces drones qui deviendront bientôt les nouvelles forces de l’ordre. Le slogan « l’ordre et la sécurité du monde » ou plutôt « est » et non pas « et ». La mise en scène est intentionnellement ludique et permet à l’excellent Erick Lopez, de parfaire le jeu de ce jeune homme parmi la foule (next door guy ou encore le Joblo de service que tout le monde aime bien). Les écrans sont parmi nous. Ils ne ressemblent plus à ceux qu’on a connus. Algorithmes, données, cela ressemble de plus en plus à des moniteurs d’institutions médicales où on diagnostique votre état  de santé. À notre avis, une des plus belles et lumineuse propositions de courts métrages de fiction dans la très prochaine course aux Oscars. ★★★★

Diffusion @
Cinéma du Parc
Dès le vendredi 25 février 2022

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]