RÉSUMÉ SUCCINCT. Un compositeur en proie au syndrome de la page blanche retrouve l’inspiration après une rencontre inattendue.
CRITIQUE Luc Chaput
★★★
Les
ressacs
de
l’amour
Sur une scène d’une salle de spectacle dans un décor minimaliste évocateur, une femme, après avoir séduit un homme, s’en débarrasse promptement.
Le titre de cet opéra contemporain est le même que celui du long métrage. Steven, le compositeur, en promenant son chien, se fait plus tôt, la réflexion à haute voix que tous les passants ont des histoires qui pourraient être des sujets d’opéra. Il ne croyait pas si bien dire. Le scénario de Rebecca Miller, fille du célèbre dramaturge Arthur Miller, réunit des êtres de divers milieux dans cette comédie romantique flirtant à certains moments avec le drame. Steven est marié avec sa psychiatre qui a une vie hyper rangée qu’elle nettoie avec ardeur dans un décor où domine le blanc. Des rues transversales et plus ou moins sales mènent Steven à rencontrer Katrina dont le prénom rappelle le fameux ouragan et qui est une marinier de Louisiane. Marisa Tomei illumine de tout son talent ce personnage qui aurait pu être casse-cou.
Une liaison thérapeuthique plutôt que matrimoniale.
La direction photo de Sam Levy, jouant sur les changements de cadre, fournit un bel écrin à cette exploration de certains lieux de la région new-yorkaise amenée par les sinuosités du récit.
L’amour entre deux adolescents, étudiants doués à une école secondaire, offre un contrepoint en apparence plus léger aux relations entre les adultes. Brian d’Arcy James réussit en quelques séquences à camper Trey, le beau-père de Thereza, employé tatillon du système judiciaire et féru de la guerre de Sécession. Le couple Magdalena-Trey a d’ailleurs quelques similitudes avec celui de Steven et Patricia. Peter Dinklage assoit avec subtilité les changements de ton qui meuvent son artiste pendant qu’Anne Hathaway rend plausible le parcours déconcertant de cette thérapeute.
La direction photo de Sam Levy, jouant sur les changements de cadre, fournit un bel écrin à cette exploration de certains lieux de la région new-yorkaise amenée par les sinuosités du récit. Au moins, deux mises en abyme, portées par la musique de Bryce Dessner, s’y retrouvent. L’ensemble, par son côté incongru, ne réussit pourtant pas à égaler le plaisir que procurait le précédent Maggie’s Plan.
FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation Rebecca Miller
Scénario Rebecca Miller Direction photo Sam Levy Montage Sabine Hoffman Musique Bryce Dessner
Rebecca Miller
Genre(s) Comédie dramatique Origine(s) États-Unis Année : 2023 – Durée : 1 h 42 min Langue(s) V.o. : anglais She Came to Me
Dist. [ Contact ] @ V V S Films [ Protagonist Pictures ]
RÉSUMÉ SUCCINCT. La rédemption par l’amour d’un baby-boomer désenchanté par une société délétère en perte de repères à Montréal.
Le FILM de la semaine
CRITIQUE Mario Patry
★★★★
Ce
qu’il
reste
de
nous
Le dernier opus du cinéaste oscarisé Denys Arcand, se présente comme une réflexion perplexe mais virulente à propos de la Cancel Culture et le phénomène Woke, sous la forme d’une comédie satirique, sans concession pour le politiquement correct. Un film signé par Denys Arcand est toujours une expérience philosophique. Arcand ne réalise pas seulement des films, il conçoit une « œuvre » qui s’explique par l’auteur lui-même! Rarement auparavant, il aura touché la cible avec autant de pertinence que de justesse.
Depuis 1962, en soixante ans, Arcand a signé une vingtaine de longs métrages. Au fil des ans et des films marquants qui jalonnent sa filmographie, il a acquis le statut de véritable « monstre sacré ».
Dans son dernier film, le scénario et la mise en scène prennent l’allure d’une partie d’échec – d’où le statisme apparent des personnages – dont il avance chacune des pièces avec une mécanique implacable savamment disposée sur l’échiquier. Jean-Michel Bouchard (Rémy Girard), un auteur reconnu et réputé mais oublié pas les médias mercantiles, qui vit une forme de « médiocrité heureuse » dans un centre pour personnes âgées, se voit confronté à la perte de tous ses repères dans une société profondément bouleversée, ou « la culture se résume au Cirque du Soleil et à Céline Dion », et qui sombre dans un désenchantement à tous les niveaux. Cela va de l’un de ses amis (Denis Bouchard) qui pratique le cyclisme quotidiennement, décédé d’un infarctus absurde dans la force de l’âge, qui laisse sa veuve éplorée (Guylaine Tremblay). À un voisin d’étage transgenre qui se fait rebaptisé « Steph », à l’envahissement tentaculaire du GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) qui correspond à une nouvelle Révolution Gutenberg, et où on élimine les livres de la bibliothèque par des jeux vidéo abrutissants, jusqu’aux militants souverainistes dont il partage la sympathie qui ne savent plus où donner de la tête, en pleine crise identitaire.
Une ergothérapeute rémunérée comme soutien affectif.
Mais l’action est centrée principalement sur un jeune groupe d’activistes politiques qui protestent contre une fresque murale historique représentant l’explorateur Jacques Cartier à la rencontre des Iroquois le 2 octobre 1535 à Hochelaga, œuvre majeure d’un peintre canadien du XIXe siècle, perturbant la quiétude de la directrice de l’établissement, Suzanne Francoeur (Sophie Lorain) qui oppose d’abord une courageuse résistance devant la pression médiatique corrompue par la rectitude politique, puis sa reddition face à la classe politique opportuniste devant les sondages, et enfin, sa rétrogradation suite à la pression d’un groupe adverse qui conteste l’éradication radicale de l’œuvre en question, ce qui lui coûte son poste par la même classe politique… elle qui ne jouit que d’un secondaire V.
« L’amour est le soleil qui fait éclore les fleurs de l’âme. » (Alphonse Karr)
Le film est un peu lent parce que contemplatif, centré sur le thème de la solitude du personnage principal qui rémunère une escorte, Flavie (Marie-Mai) pour assumer le rôle d’une ergothérapeute, ce qui suscite la jalousie de Suzanne, la directrice en question, et qui joue auprès d’elle un rôle crucial dans la réunification familiale mère-fille, dont la fille Rosalie Lecavallier-Francoeur (Charlotte Aubin) vient d’accoucher d’un jeune garçon appelé significativement Mathieu, le nom du premier évangéliste. La séquence finale, m’apparaît très bouleversante et nous fait assister à la rencontre amoureuse des deux principaux protagonistes, grâce à l’intermédiaire de l’escorte qui confie à son client que Suzanne lui a fait une véritable déclaration d’amour sans aucune équivoque à son sujet par une crise de jalousie hystérique.
Arcand insuffle à cette œuvre une signature très personnelle et très contemporaine, avec un magnifique fondu au noir, au milieu du film, comme pour nous signifier le basculement du destin du principal personnage, qui partage jusqu’alors sa vie monotone, entre un emploi à temps partiel d’archiviste à la Bibliothèque Nationale, et des promenades avec des réflexions en soliloque dans le cimetière Notre-Dame-des-Neiges, résigné à la mort inévitable et imminente.
Il ne faut donc pas se leurrer, il ne s’agit pas du testament cinématographique du cinéaste, mais gageons qu’il fera date et ne se démodera pas.
La distribution est aussi remarquable que la direction d’acteurs, composée par le trio de Rémy Girard, acteur fétiche et alter ego du cinéaste – il en est à sa septième participation avec Arcand — qui incarne son personnage avec brio, lui colle à la peau parfaitement et le campe avec justesse et candeur, lui attribuant une portée universelle. Sophie Lorain, très charismatique et au charme irrésistible, croque son personnage d’une directrice à la généreuse sollicitude pour ses résidents avec un aplomb parfaitement assumé et maîtrisé. Puis Marie-Mai, qui en est à sa première incursion au cinéma, crève l’écran au plus grand plaisir de ses admirateurs inconditionnels.
« L’obéissance aveugle en l’autorité est le plus grand ennemi de la vérité. » (Albert Einstein)
Arcand a confié des caméos à une kyrielle d’acteurs chevronnés et quelques rôles à de nouveaux venus, avec une agréable unité de ton. Le film, construit comme un lent crescendo, nous offre un long travelling avant sur les deux principaux protagonistes qui donne froid dans le dos.
Quelques précisons sémantiques sur le titre, bref, mais percutant comme un pavillon qui claque au vent. Le mot « testament » vient du latin testamentum, « testament », « témoignage », lui-même issu du grec διαθήχɳ/diathêkê, qui signifie « testament, contrat, convention, disposition écrite ». Le mot grec a donc un sens plus large que le mot latin, puisqu’il comporte la notion de contrat et d’engagement moral.
Aussi, certains préfèrent-ils le traduire par alliance. Il ne faut donc pas se leurrer, il ne s’agit pas du testament cinématographique du cinéaste, mais gageons qu’il fera date et ne se démodera pas.
RÉSUMÉ SUCCINCT. Un jour, Angela et son amie Katherine disparaissent dans les bois avant de refaire surface quelques 70 heures plus tard sans le moindre souvenir de ce qui leur est arrivé. Dès lors…
CRITIQUE Élie Castiel
★★★
L’âme
du
mal
Pourquoi un titre de critique aussi déconcertant, voire même interrogatif? Pour la simple raison qu’à un certain moment le penchant du mal est expliqué par un des personnages du film, mais les paroles passent presque inaperçues, comme si au fond, David Gordon Green comptait sur les faits et gestes, même ceux imputés aux forces occultes, suffisants pour qu’on s’aperçoive que cette notion se perd dans la nuit des temps et nous revient sans cesse.
Une longue entrée en matière à Port au Prince (Haïti), filmée, entre autres, à Santo Domingo (République dominicaine), deux touristes afro-américains dont la femme, Sorenne (Tracey Graves, au jeu annonciateur), est enceinte; un tremblement de terre et Victor, le mari (jeu très compétent de Leslie Odom Jr.) est forcé de choisir entre la mère ou l’enfant à naître. Treize ans plus tard, aux États-Unis, on comprendra que la survivante est la fille née.
Et puis, l’escapade dans les bois de deux jeunes amies d’école, très complices – Katherine, la blanche, et Angela, l’afro-américaine. Les deux interprètes totalement inscrites dans leurs rôles respectifs – dont on ne comprendra jamais les motifs de cette étrange incursion.
À défaut de construire un bel exemple de film d’horreur (surtout ne pas comparer avec l’original, remarquable exemple du cinéma de genre friedkinien), Green, pourtant habitué à cette catégorie de cinéma, opte de préférence pour la mise en images – gros plans, plans rapprochés, comme si les personnages presque parfois touchant la caméra devaient se détacher de nous afin qu’on ne puisse pas décrypter ce qui se cache à l’intérieur de leur âme et leurs pensées. Ces mouvements inhabituels sont dus aussi à la caméra versatile de Michael Simmonds (au parcours varié) qui pointe son objectif comme une sorte de lance de combat.
Une question de mimiques pour épater la galerie.
Si l’auteur de Pineapple Express (2008), définitivement son film-culte, n’est pas très clair dans son regard sur la foi (ici, chrétienne), force est de souligner qu’il prend un malin plaisir à décortiquer les rituels de l’exorcisme qu’il a bien appris du film original, quoique le caricaturant à l’extrême.
Cette fois, nouvelle époque oblige, l’exorciste est une femme (qui, plus jeune, voulait entrer dans les ordres, mais…) à laquelle se joint une horde de personnages (parents des deux filles possédées), gens d’église et un jeune exorciste des Ordres qui avait auparavant reculé, ses supérieurs ayant insisté que les petites soient d’abord envoyées aux soins psychiatriques. Mais vu les circonstances, il accepte .
Les enjeux de le version-Green, si calqués plus ou moins sur ceux de L’exorciste (1973), grand succès planétaire, n’en demeure pas moins presque identiques, mais du coup, le jeune réalisateur propose un cinéma d’épouvante actuel – utilisation, par exemple, des écrans vidéo. Voulait-il susciter l’intérêt du jeune public d’aujourd’hui, alors qu’une très large partie de ce même public a déjà vu l’original et parfois à maintes reprises et qu’il reste gravé dans leur mémoire.
Il en résulte film hybride qui hésite entre une hommage à l’œuvre originale et une nouvelle tentative d’aborder le sujet. The Exorcist: Believer demeure néanmoins un « bon » film, ne serait-ce que par l’envoûtement discret qu’il procure même s’il ne sait pas toujours où se diriger.
Green joue sur les quelques silences, les atmosphère lugubres où jaillit, sans qu’on s’y attende, une atmosphère sensuelle, impossible à déchiffrer. Et même dans les dialogues, ils sont parfois intentionnellement chuchotés, une sorte de distanciation entre le corpus du film et le regard – en anglais, le mot gaze est plus puissant et renferme plus de significations.
Il en résulte film hybride qui hésite entre une hommage à l’œuvre originale et une nouvelle tentative d’aborder le sujet. The Exorcist: Believer demeure néanmoins un « bon » film, ne serait-ce que par l’envoûtement discret qu’il procure même s’il ne sait pas toujours où se diriger.
On annonce deux autres parties à ce premier film d’une trilogie. Que pourra-t-on inventer d’original cette fois-ci?
FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation David Gordon Green
Scénario David Gordon Green David Satler Direction photo Michael Simmonds Montage Timothy Alverson Musique Amman Abbasi David Wingo
David Gordon Green
Genre(s) Épouvante Suspense Origine(s) États-Unis Année : 2023 – Durée : 2 h 11 min Langue(s) V.o. : anglais & Version française L’exorciste : Le croyant