Patricia Mazuy, l’échappée sauvage

Glissements

progressifs

du

mouvement

RECENSION.
[ Cinéma ]

★★★★

texte
Élie Castiel

Le déraillement perpétuel dont il est souvent question dans cet essai en forme d’entretien sur l’œuvre atypique de Patricia Mazuy ne constitue-t’il pas le geste, le mouvement incessant au cinéma, ou au contraire son arrêt total, une sorte de paralysie provisoire à laquelle les personnages dans les films de la cinéaste française sont provisoirement condamnés, le temps de reprendre leur souffle et restituer le cours de leurs actions.

 Peaux de vaches.
Le déraillement du plan.

L’introduction de Gabriela Trujillo, auteure et dirigeante de la Cinémathèque de Grenoble participe de cette exigence à situer l’œuvre post-courts sujets de Mazuy dans un cursus cinématographique original, où même les influences sont magnifiées, transcendées, faites de clins d’œil subtils, intimes, qu’on saisit à peine. Car le reste émerge d’une imagination hors du commun.

Du vrai cinéma d’auteure dans le cas de la signataire de Peaux de vaches (1989), dont on s’en souvient de la démarche libre, inusitée, plongeant le cinéma hexagonal dans une sorte d’oasis cinématographique qui annonce la nouvelle décennie, mais encore mieux propose de nouvelle formes, une esthétique particulière. Non pas en philosophant l’image, en ayant plutôt recours à une sorte de naturalisme réinventé.

Trujillo indique que Mazuy travaille aussi avec des grands, comme Raoul Coutard à la direction photo, où Jean François Stévenin et Sandrine Bonnaire comme interprètes. Plus tard, pourquoi pas Isabelle Huppert en Madame (Marquise) de Maintenon, épouse de Louis XIV (improbable Jean-Pierre Kalfon en magnifique roi Soleil). C’est dans Saint-Cyr (2000).

 

Saint-Cyr.
Le regard fixé sur les spectateurs

Lorsque l’auteure déclare à propos de Mazuy que « … son cinéma refuse toute réponse univoque à la question du mal et de la folie qui dévorent le monde. Si le monde déraille, autant qu’il le fasse avec la grâce du grand cinéma. » (p. 22), c’est bien dans la continuité de l’œuvre mazuyenne qu’il il est question. Les rapports entre mensonge et vérité, entre douceur et délire, entre conscience et cécité, comme dans, on suppose, son tout dernier film, Bowling Saturne (2022), encore inédit ici. Un rapport au cinéma comme expression fondamentale de la conscience, de l’indicible, des rapports de force, de la vie.

Dans la plus grande partie du livre, Rocaboy et Mével s’entretiennent avec Mazuy qui, par ses réponses étoffées, participent à un véritable cours de cinéma : projet, scénario, production, tournage, montage, choix des personnages et des comédien(nes). Pour les lecteurs/trices, une entrée privilégiée dans un univers qui leur échappe, trop pris par le produit final – idem lorsqu’on rédige un livre ou on fait une critique. Parler du processus de création (production d’un film ou écriture), c’est entrer dans un monde privilégié dont on ressort parfois aussi comblé que, selon les circonstances, désolé.

Ce qu’on retiendra surtout de cette aventure, c’est bel et bien que le cinéma de Patricia Mazuy refuse d’obtempérer le moment, le faisant absolu, séduit par la grâce et la rigueur des plans, participe aussi de ce besoin viscéral de se projeter dans d’autres réalités transcendantes pour mieux saisir la vraie, celle qui nous anime quotidiennement. Même si pour cela, il faut inventer des personnages naviguant, parfois sensuellement, dans les sphères troublantes, inquiétantes, du rapport entre le bien et le mal.

Bowling Saturne

Gabriela Trujillo, Séverine Rocaboy, Quentin Mével
Patricia Mazuy, l’échappée sauvage
(Collection « Face B »)

Levallois-Perret (France) : Playlist Society, oct. 2022
144 pages
[ Non illustré ]
ISBN : 979-1-0960-9859-0
Prix suggéré :  

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