Rencontres internationales du documentaire de Montréal
MANIFESTATION
[ RIDM 2020 ]
texte
Luc Chaput
L’esprit du lieu
Dans une assemblée entre de nouveaux investisseurs et des habitants de Porto Rico, les discussions s’échauffent et montrent le fossé agrandi par le désastre causé par l’ouragan Maria en septembre 2017 et aggravé par l’incurie gouvernementale locale et par la politique de Washington à l’égard de ce protectorat. La réalisatrice Cecilia Aldarondo parcourt, dans Landfall, son île dans tous les sens, en montrant les diverses facettes de cette prise de conscience du drame et de ses solutions. L’emploi de cartes et d’archives permet de donner, aux gens peu au fait de la situation dont au premier chef le président Trump, un cours rapide et enlevé sur cette grande île des Caraïbes. C’est par cette attention à l’esprit du lieu que plusieurs films présentés à la 23e édition des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) nous ont permis de mieux appréhender le monde pas seulement aux prises avec une pandémie.
C’est par cette attention à l’esprit du lieu que plusieurs films présentés à la 23e édition des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) nous ont permis de mieux appréhender le monde pas seulement aux prises avec une pandémie.
Des quidams se rendent aux bureaux de l’hôtel de ville de Boston. Dans cet endroit à l’architecture moderne brutaliste, ils sont traités comme des citoyens, des individus par une administration consciente des différences et dirigée par Martin J. Walsh, un maire verbomoteur tel que le réalisateur nous le présente à plusieurs reprises tout au long de ce métrage de plus de 4 heures 30. Frederick Wiseman, à l’approche de ses 90 ans, revisite donc, dans City Hall, sa ville natale de Boston dans plusieurs des aspects de sa diversité géographique, économique, culturelle auxquels une structure administrative doit répondre par l’application de lois et de règlements, par des aides ciblées et par des rencontres. Accompagné d’une petite équipe comme à l’habitude. Wiseman furète de-ci de-là, ne pose aucune question, regarde, écoute et enregistre de nombreuses heures. Il passe d’ordinaire ensuite un an au moins chez Zipporah Films à visionner et monter ces bouts de films dans une mosaïque dont le sens se découvre au détour d’une phrase, d’un plan. Ici certaines références directes au président Trump montrent bien que, dans cette capitale et métropole du Massachusetts, la notion de service public est encore choyée. (Voir aussi sur Érudit, mon article dans Séquences il y a plus de vingt ans sur ce cinéaste aux nombreux chefs d’œuvre).
L’offre importante en ligne cette année comprenait une quarantaine de courts et moyens métrages dont quelques-uns auraient pu tout aussi bien se retrouver au Festival du film sur l’art (FIFA). Ainsi Tension Structures, de Feargal Ward et Adrian Duncan, à partir de l’œuvre d’un ingénieur allemand plutôt oublié, Heinrich Gottfried Gerber, visite le plus souvent de l’intérieur des édifices de divers types dont la beauté a été en partie créée par ces oppositions entre poussée et retenue qui, lorsque mal calculées, peuvent avoir des conséquences fâcheuses et mêmes meurtrières. Des photos de la Guerre des Six Jours ou de mai 1968 ou prises en Irlande du Nord ont acquises déjà à leur publication une valeur de témoignage et depuis une plus iconique pour certaines d’entre elles. Dans Histoire d’un regard, la réalisatrice française Mariana Otero met à plat les planches contact de Gilles Caron, photojournaliste disparu trentenaire il y a 50 ans cette année après une carrière fulgurante. Cette découverte d’un artiste de l’instant est approfondie par exemple par la relecture, avec l‘aide d’un historien français de cette guerre de 1967, du parcours du reporter et des angles de prises de vue dans cette Jérusalem millénaire. La fraction de seconde de capture de l’image rend compte du basculement de l’histoire et de ses répercussions sur les murs et les personnes qui les habitent.
Jomari, un jeune manillais vient de perdre son meilleur ami, l’adolescent qui le soutenait pendant que sa mère est en prison. Ce Kian Lloyd delos Santos a été tué dans une de ses actions de répression du commerce de la drogue qui se sont multipliées depuis que le président Dutertre, au discours général similaire à celui de Trump, a déclaré la guerre à ce fléau et ainsi permis de multiples exactions et morts inutiles et souvent inexpliquées. La réalisatrice Alyx Ayn Arumpac suit donc le travail de dirigeants d’une petite entreprise funéraire et d’une organisation de défense des droits humains dans cet état des lieux d’une métropole aux prises avec plus de 30 000 meurtres en quelques années dus métaphoriquement aux mauvais esprits des lieux aux formes changeantes qui donnent le titre Aswang à ce long métrage. Le jury de la compétition long métrage a eu raison de décerner son grand prix à cette plongée dans un univers multiforme et dérangeant qui nous informe par sa désarçonnante beauté sur un coin de notre astre bleu.
Nous reviendrons au cours de l’année qui vient sur d’autres films québécois, canadiens ou d’ailleurs tels Prière pour une mitaine perdue de Jean-François Lesage ou L’Indien malcommode, de Michelle Latimer lors de leurs sorties, nous l’espérons, en salle.