Les délinquants

PRIMEUR
Sortie
Vendredi 3 novembre 2023

RÉSUMÉ SUCCINCT.
Román et Morán, deux modestes employés de banque de Buenos Aires, sont piégés par la routine. Morán met alors en œuvre un projet fou.

CRITIQUE
Élie Castiel

★★★★

Jeux

de braquage

et destins

singulièrement

croisés

Long, très long, un peu plus de trois heures. Et pourtant des ellipses, des fragments qui ressemblent à des coupes sautées (jump cuts), des références à une cinéphilie hexagonale des années 70, dont Robert Bresson et son magnifique L’argent est évoqué (générique final à l’appui).

Malgré ses 190 minutes, on tient le coup, on s’extase devant tant de prouesse dans l’écriture que dans la réalisation aussi ludique que dramatiquement structurée, un renvoi sans doute à ces maîtres du cinéma argentin comme Leopoldo Torre Nilsson où les plans gratuits n’existent guère.

Effectivement, aucune seconde de perdue, une pureté cinématographique qui n’a d’égale que cette correspondance avec le plan, une série de cadres ajustées sur mesure et que le ratio 1 :33 vient soutenir avec une verve proverbiale.

Il faut mettre les choses au clair.

Côté récit, détourner l’argent de la banque dans laquelle on travaille est une proposition simple, sauf lorsque les enjeux qu’elle couvre sont des déclarations  sur la nature même du cinéma. Et une intrigue originale pour accéder au but que l’un des protagonistes principaux s’est fixé.

Les années 70 ou l’âge des possibles, des changements qui s’opèrent dans les aspects de la vie, du moins dans l’Occident libre. Dans les tenues vestimentaires, le théâtre moderne, le cinéma, la littérature, la politique bien entendu.

[ … ] on soulignera l’interprétation hallucinante de Daniel Elías (Morán) et Esteban Bigliardi (Román), tous deux suspendus dans un jeu de quilles qui ne leur assure pas qu’ils sortiront indemnes. À moins que, ultimement, la liberté soit plus charitable que l’argent.

Film-tryptique, chacun des épisodes étalant sa propre structure, sa particularité singulière, son mode d’interprétation, son rythme, ses enchaînements. Sauf, et c’est dommage, le dernier, qui ne s’annonce pas et termine, d’une certaine façon en queue de poisson. À moins que celui par qui les troubles arrivent, chevauchant à l’horizon vers la toute fin, interpelle ces cowboys solitaires qu’on voyait dans les grands westerns d’une certaine époque.

Ce scénario kafkaïen est d’autant plus complexe qu’il participe de ce jeu de miroirs, de correspondances entre les différents personnages, de ce qui les sépare et, du coup, les unit. Ce sont des moments de pure grâce cinématographique à laquelle le cinéma contemporain ne nous avait pas habitué depuis longtemps.  Rodrigo Moreno fait indubitablement partie de ces cinéastes de la nouvelle « movida » argentine qui donne à ce cinéma national un nouveau souffle

Si Moreno, dans le prénom des rôles alloués, a recours à l’utilisation des anagrammes, c’est surtout pour les situer dans un énigmatique et sensationnel chemins de destins croisés.

D’autre part, on soulignera l’interprétation hallucinante de Daniel Elías (Morán) et Esteban Bigliardi (Román), tous deux suspendus dans un jeu de quilles qui ne leur assure pas qu’ils sortiront indemnes. À moins que, ultimement, la liberté soit plus charitable que l’argent.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation

Rodrigo Moreno

Scénario
Rodrigo Moreno
Direction photo
Alejo Maglio

Inés Duacastella
Montage
Karen Akerman
Manuel Ferrari
Nicolás Goldbart
Musique
Fabio Massimo Capogrosso
Francesco Di Giacomo

Rodrigo Moreno

Genre(s)
Drame
Origine(s)
Argentine / Brésil
Chili / Luxembourg
Année : 2023 – Durée : 3 h 10 min
Langue(s)

V.o. : espagnol; s.-t.f. ou s.-t.a.
The Delinquents
Los delincuentes

Dist. [ Contact ] @
Métropole Films
[ Mongrel Media ]

Diffusion @
Cinéma du Parc

Classement
Visa Général

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

Priscilla

PRIMEUR
Sortie
Vendredi 3 novembre 2023

RÉSUMÉ SUCCINCT.
Quand Priscilla rencontre Elvis, elle est collégienne. Lui, à 24 ans, est déjà une star mondiale.

CRITIQUE
Élie Castiel

★★★ ½

 

Une déconstruction

de l’image

iconographique

 

Dans son nouveau film, Sofia Coppola ne tire pas intégralement une adaptation du livre de Priscilla Presley et de Sandra Harmon, Elvis and Me, mais s’en inspire. Pour mieux entreprendre la mise en scène qu’elle imagine, pour se donner plus de libertés face à des personnages issus de la mémoire culturelle collective, icônes mondiales. Pour faire en sorte que l’imagerie pensée s’adapte à un idée autre qu’on peut se faire du sujet en question.

Surtout, avec, d’une part, la noble intention d’en faire une œuvre au diapason des  films qu’elle a précédemment tournés, de l’autre, présenter les personnages principaux selon une nouvelle approche.

Justement, est-ce possible lorsque le sujet en question fait partie de la presse « People », de concevoir quelque chose d’original? Pari gagné pour Coppola, fébrile devant une proposition en or, mais consciente qu’elle pourrait dans le même temps s’avérer casse-gueule.

Un regard entre la pudeur angélique et l’envie de céder.

Il y a, dans l’approche coppolaienne un effet de distanciation face aux personnages emblématiques de Priscilla et d’Elvis, le King, qui jouit alors d’une réputation mondiale, en est conscient et profite de cette reconnaissance.

Les deux protagonistes de cette histoire d’amour entre une jeune fille de bonne famille, pas encore 18 ans, et le chanteur de renommée mondiale paraissent fantomatiques, traversant l’espace comme des individus envahis par temporalité qui semble arrêter la durée. Lui surtout, pris entre les tournées, les flirts, pour la plupart, consommés, les belles paroles dites à Priscilla qui ne croit pas, jusqu’à un certain point, ce qui lui arrive.

Jusqu’au mariage où le film devient un drame matrimonial avec les conséquences qu’on connaît. Mais pour Coppola, pas question de céder au drame sentimental en usage dans la plupart des films. Elle opte, au contraire pour une stylisation de l’image (couleurs vaguement pastel, contrairement à Marie-Antoinette, par exemple). Une esthétique qui, en même temps, épouse les fluctuations psychologiques des évènements. Par exemple, le piano tout de blanc vêtu dans la grandiose demeure de Presley, deviendra noir à la fin du film.

Et dans tout cet ensemble quasi surréaliste, parfois presque réel, entre le rêve éveillé et la sensation d’un paraître imaginé, jaillit une sensationnelle et triste nostalgie.

Je vous épargne les détails, mais quelque chose à observer. Car le film est construit de petits détails par-ci, par-là, tel, dans le même temps qu’une biographie qui évite à tout pris (même si la cinéaste cède par choix personnel plus que par souci de mise en scène) le côté romancé.

Une œuvre ample dans sa structure, pas tout à fait fidèle à l’écrit de Priscilla Presley et de Harmon, en harmonie avec l’idée que Coppola se fait du cinéma.

Un médium où l’image subjective et l’objective peuvent faire bon ménage, complices.

Et dans tout cet ensemble quasi surréaliste, parfois presque réel, entre le rêve éveillé et la sensation d’un paraître imaginé, jaillit une sensationnelle et triste nostalgie.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation

Sofia Coppola

Scénario
Sofia Coppola. D’après Elvis and Me,
de Priscilla Presley et Sandra Harmon
Direction photo
Philippe Le Sourd

Montage
Sarah Flack
Musique
Phoenix
Sons of Raphael

Sofia Coppola

Genre(s)
Drame biographique
Origine(s)
États-Unis
Année : 2023 – Durée : 1 h 53 min
Langue(s)

V.o. : anglais & Version française
Priscilla
Dist.
[ Contact ] @

Entract Films
[ Elevation Pictures / A24 ]

Diffusion @
Cineplex

 

Classement
Visa Général

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

Seeker
@ CTD’A

| ARTS
de la Scène |

CRITIQUE
[ Théâtre ]
Élie Castiel

★★★★

Et si l’espace

détenait une part

philosophique?

 

David Boutin (Lomond).
Une tentative d’échapper au délire.
Crédit : Valérie Remise

Reprise d’une œuvre incontournable dans la salle intime du CTD’A, lieu où les effets miroirs en termes de créations scéniques québécoises se manifestent à un rythme ininterrompu. Seeker, après le succès en 2021, est reprise deux ans plus tard. Pièce de résistance par son contenu, inusité, et sa mise en scène, espace dramatique exigu oblige, épousant un minimalisme de circonstance.

L’épure et rien d’autre si l’on en juge par le travail effectué par Justin Laramée, au diapason avec le texte de Marie-Claude Verdier. Pour décor, située dans un futur éloigné, quelque chose comme un vaisseau spatial où le principal protagoniste, Lomond – brillant David Boutin qui mérite plus de présence sur scène comme au cinéma – interroge les devis techniques et intellectuels d’un tel mandat.

Et puis, avec la présence de son ex-femme, se livrent tous les deux à un discours sur la nécessité de partager une vie, même si un enfant est né de cette union. Sur ce plan, Karine Gonthier- Hyndman domine son personnage de Niamh avec un calme rassurant, dominant la situation, femme de son époque.

Tenir pendant une heure sans lâcher prise est un acte de contrition, non pas pour revenir à une quelconque divinité, mais à se reprendre soi-même, à se départir de ces multiples questionnements sur le travail qui les attend, notamment dans le cas de Lomond.

La première partie est faite de cris d’angoisses, de pulsions incontrôlables, de doutes passagers. D’incapacité de vivre dans un tel environnement.

Pour Marie-Claude Verdier, une odyssée dans un monde futuriste qui choisit le discours pour établir des idées de fond, qui nous échappent, certes, par leur caractère technique, le jargon lié à la science-fiction.

Et pourtant une idée simple : partager les souvenirs des autres que cette étrange météorite lilliputien proclame; étrange juxtaposition entre le terrestre et la planète rouge.

David Boutin (Lomond) et Karine Gonthier-Hyndman (Niamh).
Même dans un ailleurs éloigné, la nécessité du couple se remet en question.
Crédit : Valérie Remise

Seeker se penche surtout sur l’angoisse de l’inconnu, la peur du vide qu’il peut procurer. Ne pas savoir ce que cette mission tente de résoudre ou du moins ne pas saisir toutes les nuances.

Le jeu d’éclairages de Martin Labrecque participe de cet environnement particulier. Autant la scène que la disposition de la salle constituent un jumelage considérable. L’espace de jeu ressemble à une cage de verre et les spectateurs d’un côté ou de l’autre, des sortes de jurés habilités à mener un procès.

Moment de théâtre intellectuel, pièce sans concessions, expérimentale par sa forme, mais d’une étonnante énergie humaniste que le recours à la philosophie rend encore plus prenante.

L’amour est sans doute absent dans ce couple en rupture depuis quelque temps, mais indirectement, l’affectif qu’on peut encore ressentir, même froidement, se laisse découvrir à travers quelques simples gestes, expressions du visage, sans doute quelques mots jetés çà et là. Face ou face ou de dos, les deux protagonistes assistent activement à une joute existentielle qui ne peut prédire qu’elles seront les conséquences. Pendant ce temps, la mission doit rendre des comptes.

Moment de théâtre intellectuel, pièce sans concessions, expérimentale par sa forme, mais d’une étonnante énergie humaniste que le recours à la philosophie rend encore plus prenante.

FICHE ARTISTIQUE
Texte
Marie-Claude Verdier
Mise en scène
Justin Laramée

Assistance à la mise en scène
Jacinthe Nepveu
Interprètes
David Boutin

Karine Gonthier-Hyndman
Madeleine Péloquin

Scénographie & Accessoires
Odile Gamache

Éclairages
Martin Labrecque
Environnement sonore
Andréa Marsolais-Roy

Durée
1 h

[ Sans entracte ]

Diffusion & Billets @
Centre du Théâtre d’Aujourd’hui
[ Salle Jean-Claude-Germain ]
Jusqu’au 25 novembre  2023

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

1 89 90 91 92 93 345