Tár

P R I M E U R
[ En salle ]
Sortie
Vendredi 21 octobre 2022

SUCCINCTEMENT.
La vie de Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, se désagrège au moment où elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie nº 5 de Mahler.

COUP de ❤️
de la semaine.

CRITIQUE.
★★★★ ½

texte
Élie Castiel

 

Points

de

non-retour

 

Entre 1992 et son récent long métrage, Tár, seulement 11
réalisations, dont huit courts sujets ou productions
pour
la télévision; un premier long métrage,
In the Bedroom /
Sans issue (2001), suivi de Little Children /Les enfants de chœur
(2006), tous les deux favorablement accueillis.

Pause, pour ensuite proposer 16 ans plus tard, sans doute son meilleur film de long format, une oeuvre puissante tant pour ses qualités formelles indéniables que pour sa structure narrative des plus inusitées.

Film d’auteur, c’est incontestable, évoquant d’une certaine façon un certain Michelangelo Antonioni, sans s’apparenter à sa structure ni à son style. Mais, admettons, à ses personnages qui passent et s’effacent, ses lieux où leur architecture compose à elle seule une sorte de fil conducteur à une intrigue en forme de biographie rêvée, quasi fantomatique, mise en images, dans Tár, par ces divers rêves que traverse Lydia, pour sa cause, d’être la plus grande cheffe d’orchestre de l’heure, ne cachant point son orientation sexuelle (important de le dire puisque… – évitons d’en dire trop sur le récit), égocentrique sans ça elle n’aurait pas réussi à atteindre un si haut niveau de perfection; exigeante (elle enseigne son métier à des jeunes férus de musique classique qui rêvent de faire carrière); elle vit des relations un peu, parfois très, chaotiques avec les autres. Et pourtant, une certaine sensibilité qu’on n’ose pas lui attribuer, un sens de l’humour particulier, mais efficace, du moins pour celles et ceux qui savent lire entre les lignes.

Ajuster le corps et l’esprit.

Film abouti sur tous les aspects, en dépit des personnages qui disparaissent à l’improviste, comme ça, comme si de rien n’était (ou presque), comme celui de Francesca Lentini (très efficace Noémie Merlant).

Les lieux se confondent entre Berlin et New York. À Julliard, établissement par excellence des expressions artistiques, Cate Blanchett manifeste un tour de force dans l’art de l’interprétation; un de ses élèves quittera la salle avec un sans-gêne hallucinant – conflit générationnel sans doute à une époque actuelle où ce qu’on appelle l’autorité (au lieu plus grande « connaissance ») est malmenée. On pense comme ça, à Maria Callas lorsqu’elle enseignait l’art lyrique à la même époque, dans la même institution. Mêmes réactions? Mêmes états d’âme?

Mais Tár, par petites doses bien mesurées, succombe à la tentation de remettre les pendules à l’heure. Un personnage parlera de James Levine (il l’appelle Jimmy, pour les intimes) et de sa destitution pour cause de… Et, en filigrane, très vite mentionné, de Plácido Domingo. C’est incroyable, semble dire (espérons que je ne trompe pas) Todd Field, comment les carrières autrefois glorieuses s’estompent au moindre soupçon. Plus que soupçon.

Grâce aux décors de Marco Bittner Rosser, aux images diaphanes pour certaines situations de Florian Hoffmeister, cette œuvre brise aventureusement avec l’esprit de rachat, préférant une fin brillamment inattendue, en contrepoint avec le reste du film et qui, malgré son côté emblématique, semble une possible issue, une porte de sortie que Todd Field se permet d’ouvrir pour un monde offrant d’autres possibles.

Idem pour Lydia Tár qui accepte les contrecoups de sa destinée. On ne dit pas plus. Comme tous les univers culturels, qu’il s’agisse de l’art lyrique, de la littérature, du cinéma, de la musique en général ou autres modes d’expression, chacun est régi par ses propres règles. Et les journalistes-critiques, ceux qui ont une certaine influence sur le public (j’espère que c’est encore le cas) exigent aussi leurs propres conditions. Du moins, les influents.

Dans Tár, le monde des maestri (maîtres de musique) est illustré à coups de détails qui paraissent parfois pittoresques mais qu’il faut prendre au sérieux. Plutôt que de banaliser le temps, le cinéaste le contrôle avec l’arsenal ultime, le plan; le nourrit d’éléments aussi discursifs que de style aussi controversés que capricieux. Entre la forme et le fond, une sorte de complicité parfois tacite, soudain perméable, même dans les parties rêvées, pour Lydia, des cauchemars qui contrastent avec sa personnalité explosive et règlementée selon ses principes.

Lydia a aussi recours à la loi insoutenable de ce que représente privilégier quelqu’un au détriment d’un autre, même si cet autre fait partie depuis des lustres de son univers. La « cancel culture » (culture d’annulation) dans sa forme la plus cynique. Impitoyable, fidèle à un 21e siècle qui ne répond de rien.

Même si c’est faire semblant.

Tár est un film impitoyable, féroce, sans doute, l’un des plus belligérants de l’année en termes de constat social sur un univers méconnu par la plus grande partie de la société. Un univers clos, autoproclamant son caractère élitiste,  ignorant en quelque sorte la part d’humanité qui réside chez chacun des individus qui composent ce milieu – sauf pour les musiciennes et les musiciens qui souvent, en pâtissent.

Réussir à tout prix, accepter les faveurs. Trahir pour ensuite conquérir. Mais lorsque ces nombreux interstices sont peuplés de mauvaises intentions, l’écart entre l’éthique et son contraire ne deviennent qu’une seule entité.

Nina Hoss, remarquable sur toute la ligne. Et Blanchett, parfaite. Prête, il faut croire, pour les prochains Oscars. Cette cheffe d’orchestre n’utilise pas le bâton comme la grande majorité de ses collègues, mais comme une arme à double tranchant. Une façon comme une autre de mieux contrôler l’insoutenable subjectivité  du temps.

Grâce aux décors de Marco Bittner Rosser, aux images diaphanes pour certaines situations de Florian Hoffmeister, cette œuvre brise aventureusement avec l’esprit de rachat, préférant une fin brillamment inattendue, en contrepoint avec le reste du film et qui, malgré son côté emblématique, semble une possible issue, une porte de sortie que Todd Field se permet d’ouvrir pour un monde offrant d’autres possibles.

Comment ne pas succomber à la beauté radieuse, diabolique, ensorcelante de Cate Blanchett. Entre son personnage et elle-même, une juxtaposition courageusement narcissiste.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Todd Field

Scénario
Todd Field

Images
Florian Hoffmeister

Montage
Monika Willi

Musique
Hildur Guðnadóttir

Todd Field, cinéaste.
Intégrer un monde dont on parle peu.

Genre(s)
Drame

Origine(s)
États-Unis

Année : 2021 – Durée : 2 h 38 min

Langue(s)
V.o. : multilingue; s.-t.a. /
Version française
Tár

Dist. [ Contact ] @
Universal Pictures

Classement
Visa GÉNÉRAL

Diffusion @
Cineplex

[ Salles VIP : Interdit aux moins de 18 ans ]

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]