Tu me manques

P R I M E U R
Numérique

Sortie
Mercredi 04 mai 2021

SUCCINCTEMENT
Après le suicide de son fils Gabriel, Jorge se rend de la Bolivie à New York pour confronter Sebastián, l’ami de cœur de Gabriel, qu’il tient responsable de cette tragédie.

CRITIQUE.
[ Sphères LGBT ]

texte
Élie Castiel

★★★

Quelques courts, quelques longs métrages pour Rodrigo Bellot, réalisateur colombien, pouvant s’estimer chanceux de tourner des films à thématique gaie dans une cinématographie nationale plutôt restreinte. Mais la tentative n’a d’égale que la détermination de quelqu’un qui persiste et signe, ne baissant jamais les bras.

À moins de faire fausse route, c’est notre première incursion, au Québec, dans l’univers de Bellot. Une personnalité à part dans la mouvance du cinéma LGBT, dans son ensemble, destiné au circuit festivalier, situé dans le cercle des intimes et, bien entendu, propre à la communauté gaie. Mais son film, en Bolivie, est sorti dans le circuit commercial.

Toujours est-il que Tu me manques, titre intentionnellement français (essayez de deviner la raison en visionnant le film) s’ajoute à la nouvelle tendance de ce genre vers le drame sentimental, voire même le mélodrame. La vie amoureuse des personnages de même sexe devient dans le parcours cinématographique queer, une tendance dominante. Des récits de rencontres, d’amours voluptueuses, de ruptures, d’éclats familiaux; et dans un contexte latino-américain, les propositions ne sont d’autant plus courageuses qu’il est question d’un continent où le machisme continue de régner dans tout son éclat et que vingt ans depuis le début du nouveau siècle, les choses n’ont pas vraiment évolué.

Une mise en abyme livrée à elle-même

Pour raconter les raisons du suicide d’un des deux partenaires dans une relation amoureuse homosexuelle, nous sommes devant une réalisation qui utilise la mise en abyme en l’incrustant dans le milieu du théâtre. D’une part, le suicidé reprend symboliquement vie grâce aux atouts que procure l’art, le personnage prenant physiquement forme chez une vingtaine d’intervenants qui lui ressemblent comme s’il s’agissait de frères jumeaux ; de l’autre, les pièges de la relation sont exacerbés par la venue du père de la victime, voulant comprendre le geste de son fils.

Des récits de rencontres, d’amours voluptueuses, de ruptures,…

À cet égard, la grande surprise du film est d’avoir eu recours à l’immense acteur argentin Oscar Martínez. Un jeu sobre, dramatique à souhait, jouant la carte du double personnage avec une ferveur attachante et qui demeure mystérieuse jusqu’au dénouement.

À qui s’adresse le film de Rodrigo Bellot? Nous sommes en droit de nous poser la question puisque le cinéma LGBT ne s’adresse presque jamais à un public hétérosexuel qui, même si de plus en plus tolérant face à la diversité sexuelle, ne s’intéresse guère à ces récits, aux fameuses « amitiés particulières », pour ne pas citer Peyrefitte. Le fameux syndrome du « Don’t Ask Don’t Tell » Dans ce contexte anémique, si Tu me manques a récolté quelques prix, ce ne sont pour ainsi dire que des accolades entre membres de la même famille cinématographique.

Si Bellot se répète, comme certains critiques l’ont mentionné, ce n’est qu’une question de continuité dans son cheminement cinématographique. Soit qu’il persévère dans cette voie, se donnant ainsi une mission queer face à sa profession. Soit qu’il s’adapte à la mouvance généraliste comme l’ont fait les Visconti, jusqu’à un certain point Pasolini et plus proche de nous, Ozon.

À partir de sa propre pièce, Bellot construit une fiction cinématographique à partir d’un registre qu’l connaît à fond. Et c’est sans doute l’un des reproches qu’on peut lui attribuer. Mais toutes proportions gardées, c’est déjà quelque chose d’accompli.

Mais tout est clair dans Tu me manques (en espagnol, « Te hecho de menos ». Le cinéma direct, horizontal, allant droit au but, celui que ne laisse pas aux spectateurs le soin de deviner, de se faire un opinion, est l’un des plus critiqués par les temps qui courent. La dynamique participative est aujourd’hui de rigueur, notamment dans le cinéma exigeant.

Bellot, sur ce point, rejoint le rang des cinéastes à message(s), malheureusement trop axés sur la parole. Ici, les mots prennent une place quasi démoniaque, pédagogique. On ne cesse de parler, comme si les silences qui valent souvent mille mots ne comptaient plus.

L’interprétation de Fernando Barbosa (Sebastián) est complexe tout en demeurant prévisible. Bel acteur tout à fait à l’aise face à l’objectif de la caméra, il laisse passer le courant. Mais lui aussi, jouant un double jeu, à l’instar de Martínez, là où le présent et le proche passé se réinventent pour faire de ce récit une sorte d’antidote contre les préjugés. À partir de sa propre pièce, Bellot construit une fiction cinématographique à partir d’un registre qu’l connaît à fond. Et c’est sans doute l’un des reproches qu’on peut lui attribuer. Mais toutes proportions gardées, c’est déjà quelque chose d’accompli.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Rodrigo Bellot

Scénario
Rodrigo Bellot
[ d’après sa propre pièce ]

Direction photo
Noah Greenberg

Montage
Rafael Bergamaschi

Musique
Julia Kent

Genre(s)
Drame sentimental

Origine(s)
Bolivie
États-Unis

Année : 2019 – Durée : 1 h 50 min

Langue(s)
V.o. : anglais, espagnol / s-t.a.
I Miss You
Te echo de menos

Dist. [ Contact ] @
[ Dark Side Pictures ]

Classement (suggéré)
Interdit aux moins de 13 ans

Diffusion 
VsD @
Diverses plateformes numériques [iTunes et al. ]

DVD @
 Points de vente usuels [ Amazon et al. ]

ÉTOILES FILANTES
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★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]