Zebrina. Une pièce à conviction
CRITIQUE.
[ THÉÂTRE ]
texte
Élie Castiel
★★★ ½

PHOTO @ Yves Renaud
Et ici, il domine le spectacle, ce verbe, plutôt le mot, sans répit, quitte à quelques mouvements silencieux sur scène qu’on perçoit à peine. Et pour Emmanuel Schwartz, « une pièce à haute concentration » en raison d’un texte qui va dans tous les sens, d’un thème à l’autre, d’un territoire géographique à une pensée philosophique ou théologique, du travail d’un bibliothécaire amoureux de son métier (je sais exactement de quoi il s’agit – vous avez compris) et qui, pendant un peu plus de 90 minutes passe comme par un tour de magie au thème de l’errance, et plus particulièrement celui du « Juif errant », cette histoire sans fin malgré la promulgation d’un jeune pays toujours en conflit avec son voisin (colonisé) et la réaction des autres que suscite cette question à travers le monde.
Mais avant cela, le seul personnage sur scène parle d’un certain Yehoshua, devenue Jésus, suivant la langue grecque de l’époque. Ses déboires, son arrestation, son sacrifice ultime. Et puis, d’autres sujets qui s’entrecroisent et nous désorientent. Fâcheuse situation pour Emmanuel Schwartz qui doit composer avec d’énormes contraintes.
Et au commencement
fut le verbe…
Pandémie oblige, réduisant le nombre de places assises à 160 alors que le TNM en contient 850, la grande partie des médias était conviée à voir la pièce en ligne, chacun chez soi. Après quelques complications quasi inextricables et énervantes avec un système d’accès, nous rejoignons finalement la salle à partir de notre écran d’ordinateur. Mise en perspective sobre de la part de Lorraine Pintal qui, pour rendre l’atmosphère moins contraignante, n’a pas oublié de rappeler aux convives privilégiés de déballer les bonbons avant le début du spectacle. Petits rires assurés pour confirmer que nous sommes vraiment de retour à une forme imprécise de normalité.
… un texte dramaturgique d’une grande complexité, quasi inadaptable ni au théâtre ni au cinéma. Mais entre les mains de François Girard, que l’on connaît pour ses réalisations et ses mises en scène risquées, et à observer de près, on prend soudainement conscience que ce qui se passe sur scène, malgré les nombreux coq-à-l’âne, les petits tours de prestidigitation qu’il faut savoir capter, constitue un discours intellectuel sur l’état du monde…
Et puis, Zebrina. Une pièce à conviction où Schwartz, ici « l’homme sans nom », brillante idée du dramaturge américain Glen Berger qui, avec Underneath the Lintel (en français, « Sous le linteau », privilégie le personnage sur scène comme un représentant de l’Humanité, parlant en son nom à travers les mythes, les légendes, les religions et les livres (sources de la mémoire et de l’Histoire), témoignant de notre présence sur Terre.
Ce qui équivaut à un texte dramaturgique d’une grande complexité, quasi inadaptable ni au théâtre ni au cinéma. Mais entre les mains de François Girard, que l’on connaît pour ses réalisations et ses mises en scène risquées, et à observer de près, on prend soudainement conscience que ce qui se passe sur scène, malgré les nombreux coq-à-l’âne, les petits tours de prestidigitation qu’il faut savoir capter, constitue un discours intellectuel sur l’état du monde et la «solitude sur terre». Chose que l’on sait déjà mais qu’il faut savoir rappeler de temps à autre pour qu’on n’oublie pas.

PHOTO @ Yves Renaud
Et Emmanuel Schwartz, le comédien. Encore une fois, seul sur scène, face à un métier qu’il adule sans condition. On dirait qu’il n’est né que pour ça. Mais dans le même temps, et cela me paraît encore plus important et pertinent par les temps qui courent, il y ici un Schwartz qui, finalement, entre en contact direct et privilégié avec ses propres origines. Sur ce point, l’écriture de Berger (qui cherchait lui aussi ses racines à travers le personnage du bibliothécaire) et la discrétion et la générosité louable de Girard rendent la pièce encore plus percutante. Comme si les éclairages d’un blanc faussement aveuglant, plutôt mystique, au-dessus de la scène ressemblaient au linteau évoqué dans le titre original de la pièce, ici, une sorte de soutien moral profondément humaniste.
Le TNM ouvre donc la saison avec un récit grave, austère, fracassant nos (fausses) valeurs établies, nous forçant à bien réfléchir sur notre devenir.
AVIS
Le spectacle sera présenté en anglais au Centre Segal des arts de la scène à Montréal en décembre 2020 et au Centre national des arts d’Ottawa en janvier 2021.
ZEBRINA. UNE PIÈCE À CONVICTION
Texte
Glen Berger
Traduction
Serge Lamothe
d’après Underneath the Lintel
Mise en scène
François Girard
Assistance à la mise en scène & Régie
Élaine Normandeau
Distribution
Emmanuel Schwartz (le bibliothécaire)
Décor & Accessoires
François Séguin
Éclairages
Alain Lortie
Costume
Renée April
Musique
Alexander MacSweeney
Vidéo
Robert Massicotte
Conseillère en diction
Marie-Claude Lefebvre
Production
Théâtre du Nouveau Monde
En coproduction avec le Centre Segal des arts de la scène
& le Théâtre français du Centre national des Arts (Ottawa)
Durée
1 h 38 min
[ Sans entracte ]
Théâtre du Nouveau Monde
Jusqu’au 27 septembre 2020
ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]