Fantasia 2020 [ Deuxième partie ]

ÉVÈNEMENT
[ FICTIONS ]

texte
Luc Chaput

Trois amis sont passagers dans un train pour Hiroshima début août 1945. Ils y rencontrent une troupe de théâtre de cette ville. Ayant franchi un espace-temps, ils connaissent la catastrophe à venir et tentent de la changer. C’est par ce triturage des codes de l’art filmique que Nobuhiko Obayashi termine en beauté sa carrière et livre son œuvre testamentaire Labyrinth of Cinema (Umibe no eigakan kinema no tamatebako). L’une des missions d’un festival de films est de nous faire découvrir de nouveaux regards mais aussi de remettre en lumière des cinéastes peu connus qui ont changé certaines modalités de ce langage universel qu’est le cinéma.

Nobuhiko Obayashi et les autres

Devenu célèbre dans son pays en 1977 avec House (Hausu), Obayashi était déjà connu dans des cercles plus restreints pour ses courts métrages dont Émotion (1966), dans lequel il donne un coup de chapeau à Roger Vadim tout en reprenant certaines idées de Norman McLaren entre autres. Son passage par la publicité où il donne libre cours à sa fantaisie dans des courts mettant notamment en vedette Charles Bronson, lui donne une meilleure assise financière et lui permet de diriger une plus grande équipe de collaborateurs qui le suivront dans ses différentes entreprises subséquentes. Voir ou revoir Hausu sur DVD permet d’admirer la facilité avec laquelle Nobuhiko utilise tous les trucs de prises de vue, de montage ainsi que d’opposition entre décors surchargés et mince interprétation dans une mise en images détonante d’une comédie d’horreur imaginée à prime abord par sa fille Chigumi.

Labyrinth of Cinema

Comme le Suédois Roy Andersonn qui, après de nombreuses années dans le film publicitaire, sort en 2000 Chansons du deuxième étage (Sånger från andra våningen) une vision grisâtre satirique de son pays et de son histoire, Labyrinth constitue le chant du cygne de cet homme qui revisite encore une fois l’histoire du Japon et surtout de sa ville natale d’Oromichi dans la préfecture d’Hiroshima. La tragédie des Hibakusha avait directement frappé ses amis et il leur rend hommage dans ce long métrage. À l’occasion de la dernière projection dans un cinéma de quartier, des spectateurs se retrouvent sur l’écran à participer de diverses façons à l’évolution de plusieurs genres cinématographiques qui se bousculent, se conjuguent et s’opposent dans un maelström d’informations sur l’histoire du Japon depuis le shogunat. Le cinéaste cite des poèmes et des pièces de théâtre dans un édifice de trois heures , quelquefois brinquebalant, qu’il a monté avec dextérité peu de temps avant sa mort en 2020.

Crazy Samurai Musashi

Encore une fois, après plusieurs essais cinématographiques réussis comme ceux d’Inagaki et d’Uchida, un autre réalisateur japonais revient sur le célèbre samouraï Miyamoto Musashi, de son nom réel Shinmen Bennosuke (1584-1645), personnalité vénérée comme escrimeur, philosophe et codificateur du bushido. Dans Crazy Samurai Musashi (Kyō Musashi), le concepteur et directeur de cascades et de combats Yuji Shimomura s’attelle à rendre perceptible l’exploit mythique de Musashi qui aurait envoyé ad patres, le même jour, 588 combattants d’un même clan. Les combats individuels du héros face à chaque soldat de cette horde plutôt désordonnée sont filmés dans des angles répétitifs montrant la pugnacité athlétique de l’acteur Tak Sakaguchi. L’entreprise finit par lasser et par ressembler, malgré de beaux moments, à ces films de super-héros dont l’issue est calibrée d’avance même si les effets spéciaux ici semblent peu nombreux.

Trois amis vieillissants tentent de comprendre les circonstances de la mort de leur vénérable professeur de Kung Fu. Le réalisateur américain d’origine vietnamienne Quoc Bao Tran favorise les échanges entre ses trois principaux acteurs par une

The Paper Tigers

mise en scène simple mais juste. Il rend compte du passage du temps par la recréation de séquences en vidéo de formats plus anciens et se permet d’ironiser sur les variances des écoles de ce sport de combat. Les séquences pugilistiques chorégraphiées par Sam Looc sont plus réalistes qu’à l’accoutumée décrivant aussi les effets sur la santé de ses hommes un peu moins dans la force de l’âge. The Paper Tigers constitue donc un exemple d’une œuvre tournée amicalement avec peu de moyens à Los Angeles et qui offre un 90 minutes de petit plaisir cinéphile.

Patrick et Markus, deux policiers différents par leur allure, leur éducation et leur emploi d’origine arrivent dans un bourg excentrique pour enquêter sur la disparition de deux sœurs. Le cinéaste allemand Christian Alvart revisite le grand succès espagnol récent d’Alberto Rodriguez La isla mínima (Anatomie d’un double crime / Marshland) en déplaçant l’intrigue en 1992 peu de temps après la chute du Mur. Les paysages hivernaux de Freies Land (Free Country) prennent une teinte grisâtre et lugubre dans ces quadrillés entre eau et terre vus du ciel. Les allégeances anciennes continuent à triturer les valeurs morales dans ces lieux où les commérages masquent un détournement du regard. L’interprétation habitée des deux acteurs rend la fin d’un certain monde plus perceptible dans la chair d’un des protagonistes. Alvart s’est ainsi élégamment réapproprié par plusieurs touches le discours du film hispanique. Ce site reviendra sur d’autres films vus dans ce festival à l’occasion de leurs sorties.

Il serait donc souhaitable qu’une rétrospective d’Obayashi ait lieu dans la prochaine année à la Cinémathèque québécoise avec, possiblement, l’aide de la Japan Foundation.