L du Déluge

Épais

brouillard

dans

le

néant

CRITIQUE.
[ Scène ]

★★★ ½

texte
Élie Castiel

Faut-il demeurer plus affable face aux scènes contemporaines, aux spectacles alternatifs, qu’il s’agisse de théâtre ou de danse? Impossible d’y répondre, c’est selon notre sensibilité, notre curiosité et plus que tout, notre notion du regard, plus exigeante dans le cas de la scène que dans celui du cinéma. L du Déluge interroge intelligemment notre perception des choses.

L’expérimentation est un processus créatif continuel où l’engagement sert de base aux futures propositions. Mais à force de se cramponner coûte que coûte dans ce contexte de tous les possibles, tant dans la mise en scène que dans le domaine de l’interprétation, des basculements peuvent surgir par-ci, par-là, laissant parfois un goût de redite, d’excès que la nature de ce type de convention permet.

Une histoire d’amour, comme dans la tragédie grecque. Ariane est amoureuse de… (nous n’avons pas vraiment saisi le nom de l’homme qu’elle aime : diction? prononciation? – allez savoir!)1. Un réfugié, un étranger, certes, un poursuivi, un exilé, provisoirement sans identité. L’interprète est parfaitement choisi et s’ajuste à la scène avec une aisance remarquable. Ariane, la femme racisée. Dans une des premières séquences, la meilleure sans doute, la plus poignante, la plus sentie et habitée – elle face à lui, lui face à elle; conservant la même pose, il recule de plus en plus. Durant ce temps, un brouillard, sans doute venu du temps et des dieux traverse le sol. Paysage dans le brouillard.

Face au décret des Dieux ou des Humains.
Crédit : @ David Wong

Le contexte géopolitique prend ainsi une ampleur démesurée et c’est bien ainsi puisque les temps nouveaux le réclament. Sur ce point, la proposition de Léger-Savard et Marilyn Daoust fonctionne à merveille. Elle happe  le côté sombre de notre monde, bouleversé, intense, un lieu ingrat où les frontières sont de plus en plus infranchissables, où la mixité des identités s’affichent allègrement, mais dans le même temps écrasée par les nombreuses revendications ségrégationnistes de certaines identités pas du tout préoccupées par l’ailleurs.

Ce qui s’annonçait comme un avenir commun entre l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud, toutes ces promesses deviennent de plus en plus assujetties à des impératifs aussi économiques que de rapports identitaires, qu’on croit menacés, propices à un changement de valeurs, de préoccupations, de mixités souvent le plus souvent mal accueillies.

Là où le bât blesse, c’est que dans la désinvolture excessive de la mise en scène. En dehors de la première partie, digne, noble, presque conservatrice (et pourquoi pas?), le reste se dirige partout, casse brusquement l’espace, le temps, accumulant des dérives, mais plus que tout, créant une cacophonie où il est impossible de savoir « où on est rendu ».

Encore une fois, une proposition courageuse, mais risquée dans le même temps, là où modernité et autres époques se courtisent sans cesse, là où l’humour corrosif des anciens orateurs se juxtaposent aisément à celui pince-sans-rire, cynique, de notre monde actuel, un monde qui s’en fiche de tout et de rien.

Le chœur grec, d’habitude composé de femmes, affirment ici sa mixité en incluant, selon les circonstances, un ou deux hommes (dont l’amoureux d’Ariane, dont on n’a pas encore bien saisi le prénom). Qu’importe, cet alter ego des deux amants (Elle et Lui) participe de ce rituel antique pour apaiser le courroux des Dieux qui semblent constamment troublés par l’incompréhension des Humains.

Encore une fois, une proposition courageuse, mais risquée dans le même temps, là où modernité et autres époques se courtisent sans cesse, là où l’humour corrosif des anciens orateurs se juxtaposent aisément à celui pince-sans-rire, cynique, de notre monde actuel, un monde qui s’en fiche de tout et de rien.

En quelque sorte, une série d’idées éparses, parfois saugrenues, trop nombreuses, trop disjonctées, manipulées par un enthousiasme délirant de la part des participantes et des deux participants. Et dans ce jeu d’identités parallèles, à bien observer, la diversité des genres s’imposent au grand jour, s’affiche sans compromis, face aux autres, face à elle-même, s’assurant qu’elle est incontestablement impossible à déloger.

1 Le prénom est Mazloum. Gros mercis à Sarah Desjeunes Rico (une des interprètes) qui nous l’a rappelé, en plus d’avoir apprécié cette critique.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Création
Gabriel Léger-Savard

Marilyn Daoust

Mise en scène
Gabriel Léger-Savard

Marilyn Daoust

Assistance à la mise en scène
Ariane Brière

Scénographie
Janine Jafaar

Interprètes
Leila Donabelle Kaze, Rasili Botz

Claudia Chan Tak, Laura Côté-Bilodeau
Sarah Desjeunes Rico, Simon Fournier
Charbel Hachem, Karina Iraola
Marie-Pier Labrecque, Janie Lapierre
Mireille Métellus, Gabriel Poulin

Concept-Chœur : Slowan Tavakol

Éclairages : Joëlle LeBlanc

Costumes : Audrée Juteau Lewka

Musique : Joël Lavoie

Durée
1 h 40 min

[ Sans entracte ]

Auditoire suggéré
Déconseillé aux jeunes enfants

Diffusion & Billets
@ La Chapelle
Jusqu’au 06 décembre 2022

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

 

 

Fables.
Compagnie Virginie Brunelle

 

La

force

soutenue

de

la

résilience

 

CRITIQUE.
[ Danse ]

★★★★

texte
Élie Castiel
Une étrange sensation nous envahit, entre la douceur du geste, son
impulsion, son agressivité et la volupté des corps nus dont on
retient, le plus naturellement du monde, la primauté  des origines.

Dans Fables, titre on ne peut plus évocateur, le nu intégral, autant chez les danseuses que chez les danseurs, n’est pas une proposition visant à séduire l’œil, à susciter le désir, mais du coup, provoquant dans le regard, une sorte d’enchantement face au néant, au rien, à l’apathie de notre époque, à ces récits qui nous sont racontés au fil du temps, alimentant dans le même temps chorégraphie et théâtralité, une des composantes de plus en plus utilisée en danse moderne.

La chorégraphe québécoise Virgine Brunelle n’est pas dupe lorsqu’elle clame tout haut « Abordant une thématique engagée sur le féminisme, ce processus m’a permis de cultiver mais surtout de légitimiser mes sensations et mes expériences comme femme. Cette œuvre met alors en scène mes observations des douleurs, des combats, de la force tranquille et de la résilience des femmes. » Pas mieux que ses mots pour dire de quoi il s’agit dans cette œuvre qui souligne sans doute, avec le temps, son côté « mythique ». La femme, sujet de toutes les discussions et celle qui nourrit le plus souvent les scènes contemporaines.

Les paradoxes du comportement.
Crédit : @ Vanessa Fortin

Des paradoxes tout au long du spectacle : explosions de joie ou de révolte, de sensualité ou de rejet, de rapport hommes-femmes ou de gestes de solitudes, d’agressions ou de soutien. L’équipe de 12 danseuses et danseurs (6+6) participent de cet étrange rituel que seul l’art chorégraphique peut créer. Il y a comme un refus de la danse classique, comme si ses paramètres ne correspondaient plus aux temps nouveaux et leur présence ne faisait que nuire.

Dans un sens, il s’agit d’une nouvelle morale qui s’installe dans l’univers de la danse. Virginie Brunelle participe admirablement bien à cette tendance incontournable.

Une sorte de révolution en matière de danse qui se perpétue de plus en plus. La beauté diaphane, voire artificiellement créée des chorégraphies d’un autre temps est placée aux oubliettes. Avec Fables, nous avons affaire à une nouvelle vitalité, une forme de structure narrative qui, soutenue par une chorégraphie renouvelée, subversive, rebelle, guerrière, participe de cet engouement pour le message sociopolitique.

Dans un sens, il s’agit d’une nouvelle morale qui s’installe dans l’univers de la danse. Virginie Brunelle participe admirablement bien à cette tendance incontournable.

Et soulignons l’extraordinaire apport musical diversifié de Philippe Brault aussi bien que le bouleversant doigté de Laurier Rajotte au piano transcendant magiquement l’instant.

FICHE ARTISTIQUE PARTIELLE
Chorégraphie
Virginie Brunelle

Interprètes
[ par ordre alphabétique ]

Nicolas Bellefleur, Sophie Breton
Julien Derradj, Chi Long
Milan Panet-Gigon, Ernesto Quesada Perez
Marie Eve Rixhon, Peter Trosztmer
Lucie Vigneault, Evelyn Yan

Musique : Philippe Brault

Au piano : Laurier Rajotte

Éclairages : Martin Labrecque

Dramaturgie : Nicolas Berzi

Costumes : Elen Ewing

Son : Joël Lavoie, Samuel Thériault

 

Production
Danse Danse

Durée
1 h 05 min

                                                      [ Sans entracte  ]                                     

Diffusion & Billets @
     [ En salle et en Webdiffusion ]
Place des Arts
 [ Théâtre Maisonneuve ]

Jusqu’au 03 décembre 2022

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

Ciseaux

Fusions

d’appartenance

texte
Élie Castiel

CRITIQUE.
[ Scène ]

★★★ ½

Elles assument leur lesbianisme avec tout le naturel du monde. Bien plus, elles construisent un univers non pas parallèle, mais incrusté dans la multitude sociale. Revendications, actes subversifs, humour corrosif, retour à l’Histoire LGBTQ+, nouveau vocabulaire utilisé par les nouvelles générations : de LGBT, on passe à queer – en anglais, le mot veut dire « bizarre, étrange et autres succédanés, ou encore ersatz pour les intellos ». À un moment, il y a longtemps, mais pas si longtemps que ça, il constituait une insulte émanant des hétéros anglophones souffrant encore d’un manque de reconnaissance de la diversité sociale et sexuelle. Ensuite, une réappropriation du « terme » par la mouvance homosexuelle. Le tour est joué. Le vrai sens, l’original de queer a changé rapidement de terrain social.

Queer ou l’altérité, queer ou s’exprimer différemment tout en reconnaissant que tous les êtres humains partagent les mêmes sentiments. Gai, lesbienne, trans, qu’importe : queer définit toutes ces différences.

Ciseaux expose ainsi un cours de sexologie, particulièrement destiné aux nouvelles générations de lesbiennes. Recours à des archives (en formats vidéo dont la qualité (en grains) de la pellicule procure, chez certaines et certains, une nostalgie sidérante, particulièrement chez celles et ceux de tous ces combats, manifestations et autres actes subversifs contre une « police » militarisée des années de contestations où tout paraissait possible.

Derrière leur humour inévitable (sans quoi Ciseaux aurait été trop dur à avaler), drôle, railleur, Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau reproduisent les grands moments du centre-ville gai/lesbien de la métropole – cartes de la ville à l’appui. La salle, remplie à craquer réagit, se reconnaît dans cette ambiance survoltée où tous les coups sont permis, toutes les accusations sont les bienvenues.

Mais les artistes prennent toujours leurs distances avec la facilité du geste vulgaire. Déjà, le titre de la pièce est on ne peut plus persuasif, plus que symbolique, allant droit au but, même (plus que) suggéré dans une séquence ou les deux pairs de ciseaux se rassemblent, disons, amoureusement. Plus clair que ça, tu meurs. Mais dans ce geste anodin, un cri de désespoir, une affirmation de soi, une réappropriation de sa physicalité.

On a recours aux marionnettes, aux jeux d’enfants, aux décors kitchs, à tous ces accoutrements qui réchauffent le cœur et l’esprit. C’est festif (comme le programme l’indique), libérateur, mais surtout constitue un cri de révolte face à une société qui, malgré les apparences, est encore, en (grande) partie, homophobe et lesbophobe.

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