CRITIQUE.
[ Musique ]
★★★★
texte
Élie Castiel
Paul Kunigis, première moitié de la soixantaine, conserve une voix suave, sensuelle, conforme aux codes inscrits dans tout spectacle professionnel. Dans ces 11 plages d’une durée totale d’un peu plus de 40 minutes, on s’en aperçoit. Comme si le temps n’avait pas d’âge. Yallah (2021) est son nouvel album.
Il y a, dans le rythme de Kunigis, du Paolo Conte de la belle époque, pour sa voix parfois granuleuse et en même temps résonnante, mais conservant néanmoins une certaine distance, non pas pour se démarquer, mais pour que son chant ne l’emporte pas sur la musique. Pour garder une harmonie entre ces deux formes de la représentation.
La douceur
du temps qui passe
Klezmer, jazz, rythme oriental, tonalités d’un certain blues nouvelle vague. Paul Kunigis invente sa propre musique, s’entoure d’artistes qui la comprennent et collaborent avec eux dans des spectacles. Montréal est une plaque tournante, le lieu des possibilités. Il y a aussi Paul, l’Homme, le Citoyen du monde. Sa double appartenance (père Juif, mère Catholique) le place dans un univers privilégié où la reconnaissance de l’un et de l’autre est une sorte de modus operandi tout à fait normal qui lui ouvre les portes de la connaissance de l’autre, pierre fondatrice de son style musical.
Sa famille s’installe en Israël où il fréquente l’école française, catholique. Bien entendu, il apprendra l’hébreu. Langue qui inaugure la première plage de son nouvel album Yallah, qui veut dire non seulement En avant, mais également avancer, s’arrêter pour continuer. Une nuance que la langue arabe (puisqu’il s’agit d’un mot arabe) est remplie de doubles-sens qui alimentent l’expérience humaine.
Troubadour de l’âme? Poète d’un temps qui n’existe plus? Amoureux, autant des femmes que de la musique? De l’art qu’il pratique? Peut-être bien que oui. En fait, oui.
Et pourtant, c’est chanté en hébreu, façon originale d’annoncer la paix entre deux peuples qui se confrontent depuis des décennies. Sa voix, dans cette pièce musicale, est précise, éclatée sans trop se disperser. Dix autres chansons suivent, majoritairement chantées en polonais, je suppose – où il s’éclate par ces mots est-européens qui nous semblent étranges, mais diffusent une sorte de poésie de la parole – Certaines chansons sont en français.
Un français avec un accent qui lui donne sa fraîcheur, son originalité et plus que tout son regard sur l’aventure de l’amour. C’est dans Canal St. Martin. On devinera la jolie voix accompagnatrice de Julie Rousseau dans les pistes 4, 9 et 10. Dans l’une d’elle, la chanteuse n’hésite pas à lui rappeler que sa présence, ses caresses, son dévouement amoureux et toutes les intrigues d’une relation lui manquent. Il parle des migrations dans l’émouvant Lampedusa. Son message, comme dans toutes les chansons, n’est pas direct. Il faut savoir l’écouter et lire entre les lignes. C’est dans la nature de tout métissage dans le domaine de l’art.
Troubadour de l’âme? Poète d’un temps qui n’existe plus? Amoureux, autant des femmes que de la musique? De l’art qu’il pratique? Peut-être bien que oui. En fait, oui.
Tout compte fait, un nouvel album séduisant après le succès d’Exodus, lancé en 2006. Il y a déjà 15 ans. Pour une certaine génération, ce n’est pas trop long. Pour aujourd’hui, cela fait une éternité. Mais Kunigis suit la vie à son propre rythme, ne compte plus le temps. Pour qui voudra bien l’entendre.
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