Medea

 

La « Médée » de David McVicar.

Entre le délire impuissant de

l’intemporalité et la magie

sauvagement puissante de la voix.

 

CRITIQUE.
[ MET Live on Screen ]

 ★★★★

texte
Élie Castiel

Début de saison au Met Opera sur Grand Écran
avec une œuvre presque inclassable, jamais
présentée auparavant. Le célèbre
Medea de
Luigi Cherubini. Quasiment sombré dans l’oubli,
d
éterré des
oubliettes par Maria Callas; à son
époque de gloire, entourant les grands débats
sur ce succès immédiat, conjuguant dans le
milieu jalousies, mauvaises langues, mais
surtout et avant tout, enthousiasme et déification,
à notre sens bien mérité, comme c’est le cas
dans beaucoup de milieux, celui du sport compris.

Essentiellement, la version-2022 du Metropolitan Opera est un défi (un challenge comme on aime bien dire de nos jours), une tentative, pour la grande cantatrice Sondra Radvanovsky d’atteindre cette perfection de la Callas, ce côté tragique qu’impose la tragédie d’Euripide, ce rapport entre le corps, l’esprit et la théâtralité du moment. C’est porter l’intrigue, d’une simplicité étonnante, à l’instar des tragédies antiques, au comble de la mémoire collective; le message étant le plus bel indice, mais inutile si mal compris, si la métaphore sociale des faits, nonobstant leurs controverses ou cruauté, n’est pas assimilée de la bonne façon.

« Io sono Medea »

Médée, c’est la femme libre. Médée, c’est la victoire contre la trahison. Médée, c’est la défaite d’un ordre patriarcal et par défaut, la faillite des rapports hommes-femmes. C’est enfin la libération de la corporalité féminine. Le reste, c’est une affaire de symboles, d’images et que, convaincu, Euripide, dans sa grande sagesse, avait déjà compris.

À l’inévitable ovation debout final (le standing ovation), des petits rectangles de papier et des fleurs tombent du haut du Met lorsque Radvanovsky se présente, sans compter sur les « brava » et autres cris d’approbation. Le but est donc atteint. Pour la soprano de 53 ans, c’est la consécration. Elle ne cache pas ses larmes, bien senties. La Callas est finalement conquise.

Mais l’est-elle vraiment?

Au début, lors d’un bref entretien avec la célèbre Joyce DiDonato, Peter Gelb, grand patron du Met, laisse échapper (par erreur, pas peu de souci, qui sait) que la production de Medea est un désir pour la cantatrice de jouer (et chanter) ce rôle. Sa réponse, un pourquoi pas démuni de questionnements à cet égard. On peut comprendre en tenant compte des grands antécédents de Radvanovsky qu’un refus est hors d’atteinte.

Comprendre la douleur de la trahison.

Une mise en scène de David McVicar, suivant ces règles relatives au nouveau siècle, consistant souvent, dans le cadre des œuvres classiques, à mélanger les époques, à (faussement) transcender les archétypes déjà établis. Le metteur en scène adulé établi le propos à l’époque de la Régence, du moins en ce qui a trait aux personnages autres que Médée. En même temps, une façon de rompre avec une Antiquité, peut-être trop envahissante à ses yeux. Mais dans la tragédie grecque, c’est justement la simplicité du décor, avouons-le, presque clinique, qui fait la différence, donnant aux propos toutes leurs particularités, l’auditoire s’empêchant de voir à droite ou à gauche le décor, ici, frôlant le zeffirellisme encombrant. Bien que les divers effets-miroirs demeurent d’une vigueur hallucinante.

Et, en contrepoint, une présence à part, celle de Médée sortie d’un monde barbare, pure sorcière diabolique pour un terrain social autre, accompagné de Néris (excellente Ekaterina Gubanov), elle prise entre deux réalités distinctes l’une de l’autre et qui, dans un sens, remplace le chœur grec, celui de la pensée intime autant de la principale intéressée que d’Euripide.

Entre les lignes, fiez-vous à ces rideaux de scène remplacés par une peinture du visage de Médée, sorcière diabolique, ne laissant échapper aucune controverse.

Mais que retient-on de cette Médée? D’une part, les délires du pouvoir qu’exprime Jason (comme toujours, très convaincant Matthew Polenzani), ses obligations familiales, sa trahison matrimoniale. Et puis la femme vengeresse, non pas par pure caprice, mais face aux sacrifices qu’elle a consenti à faire (comme tuer son propre frère Absyrtos à Colchide avant d’embarquer sur l’Argo) et surtout s’approprier (pour la Grèce) la fameuse Toison d’or.

Non pas la vengeance d’une femme exprimée par l’indicible, l’innommable, mais un discours social profondément intellectuel, une remise en cause de la société. Une libération de la femme, reprenant finalement conscience de ses droit fondamentaux.

Un effet-miroir suprenant.

Si la version-cinéma de Pier Paolo Pasolini (avec Maria Callas) laissait exprimer sans entraves tout le caractère tribal et ensorcelant de la tragédie antique, la version-Met de McVicar est un mélange des genres.

On en sort enthousiasmés d’une part par le très bonne participation au pupitre de Carlo Rizzi, affable, adroit, la voix puissante et habitée de Sondra Radvanovsky, son côté tragique qui puise aux sources callasiennes, par envie, par défi, par pur désir? Mais aussi, déçus de ce changement d’époque qui nuit en quelque sorte à la crédibilité originale du récit euripidien. Chose bizarre, à l’entracte, aucune entrevue avec Radvanovsky. Pourquoi? On peut comprendre ce refus de se compromettre face à ce rôle, ce besoin de se protéger. Mais…

Et puis, la musique, brillante, entre le romantisme consommé et la robustesse, l’énergie du drame, de la tragédie annoncée, prise entre deux pôles d’attraction qui divise les parties complexes de l’existence humaine.

Finalement, la Médée de Maria Callas, son ombre n’aura pas sombré dans l’oubli. Elle reste, pour l’instant, et on suppose fort longtemps, la trajectoire incontournable d’une vie.

NB : En 2005, à Lisbonne, la soprano grecque Dimitra Theodossiou reprend le rôle. Voci opéra complet ici.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Musique
Luigi Cherubini

Au pupitre
Carlo Rizzi

Mise en scène
David McVicar

Interprétation
Sondra Radvanovsky (Médée)

Janai Brugger (Dircé), Ekaterina Gubanov (Néris)
Matthew Polenzani (Jason), Michel Pertusi (Créon)

Costumes
Doey Lüthi

Lumières
Paule Constable

Réalisation-cinéma
Gary Halvorson

Rediffusion @ cineplex
Samedi 12 novembre 2022

Classement
Déconseillé aux jeunes enfants

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

Festival international du
film francophone de Namur

ÉVÉNEMENT.
[ En Présentiel ]

texte
Luc Chaput

Des biens acquis

et

du bien vivre

Ce festival a tenu sa 37e édition du 30 septembre
au 7 octobre. En plus de Namur, ville où siège le
Parlement wallon, des projections ont eu lieu dans
d’autres villes de Belgique. Comme l’an dernier,
une section gérée par Festivalscope donnait l’accès
aux journalistes pour certains films.
Suite

Le mal canadien
(Deuxième partie)

Montcalm

notre

mensonge

historique

AVIS AUX LECTEURS
Cet article peut contenir des expressions, des mots, des faits relatés, qui peuvent heurter la sensibilité de certaines personnes. Il faut comprendre et admettre que l’homme du milieu du XVIIIe siècle était plus proche de l’empire gréco-romain que de notre époque ! Du reste, je tiens à remercier mon frère aîné, Réal, qui m’encourageait jadis à lancer ce brûlot.

texte
Mario Patry

Marquis de Montcalm (tableau)

« Si le hasard d’une bataille, c’est-à-dire une cause particulière, ruine un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille. »[1]
Montesquieu

« (…) les grandes découvertes sont bien plus le fruit d’une observation patiente de quelques faits dominants que le résultat d’un amoncellement de données hétéroclites et indigestes. »[2]
Michel Brunet

« Un champ si fertile soit-il ne peut être productif sans culture, et c’est la même chose pour l’humain sans enseignement. »[3]
Cicéron

« Le triomphe, la victoire sont pour les peuples ce que la gloire et l’argent sont pour l’individu… un poison sans remède (…) La France sera morte de sa victoire. »[4]
François Mauriac

«La culture est ce qui subsiste, quand on a tout oublié (et ce qui manque après) tout ce qu’on avait appris.»[5]
Ellen Key

Un petit peuple?
Pour paraphraser Guy Frégault, poser la question de la qualité de la langue, c’est poser un faux problème. C’est la masse des locuteurs d’une langue qui compte. «En histoire, c’est d’abord le nombre qui compte : premièrement, le nombre, deuxièmement, le nombre et troisièmement, encore le nombre. Ensuite, il est possible d’aborder d’autres questions»[6]. Il est permis de soulever toutefois une nuance. La notion de «petit peuple» s’avère  difficile à cerner. Qu’est-ce qu’un petit peuple?[7] Les Protestants en France ne représentent que 2 % de la population totale des 67,8 millions d’habitants. Ils contrôlent pourtant 60 % de l’économie de l’Hexagone! Il en va de même pour les Juifs aux États-Unis qui gèrent 80 % de l’industrie cinématographique avec une population maximale de 7,9 millions de personnes.Suite

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