Le mal canadien
(Deuxième partie)

Montcalm

notre

mensonge

historique

AVIS AUX LECTEURS
Cet article peut contenir des expressions, des mots, des faits relatés, qui peuvent heurter la sensibilité de certaines personnes. Il faut comprendre et admettre que l’homme du milieu du XVIIIe siècle était plus proche de l’empire gréco-romain que de notre époque ! Du reste, je tiens à remercier mon frère aîné, Réal, qui m’encourageait jadis à lancer ce brûlot.

texte
Mario Patry

Marquis de Montcalm (tableau)

« Si le hasard d’une bataille, c’est-à-dire une cause particulière, ruine un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille. »[1]
Montesquieu

« (…) les grandes découvertes sont bien plus le fruit d’une observation patiente de quelques faits dominants que le résultat d’un amoncellement de données hétéroclites et indigestes. »[2]
Michel Brunet

« Un champ si fertile soit-il ne peut être productif sans culture, et c’est la même chose pour l’humain sans enseignement. »[3]
Cicéron

« Le triomphe, la victoire sont pour les peuples ce que la gloire et l’argent sont pour l’individu… un poison sans remède (…) La France sera morte de sa victoire. »[4]
François Mauriac

«La culture est ce qui subsiste, quand on a tout oublié (et ce qui manque après) tout ce qu’on avait appris.»[5]
Ellen Key

Un petit peuple?
Pour paraphraser Guy Frégault, poser la question de la qualité de la langue, c’est poser un faux problème. C’est la masse des locuteurs d’une langue qui compte. «En histoire, c’est d’abord le nombre qui compte : premièrement, le nombre, deuxièmement, le nombre et troisièmement, encore le nombre. Ensuite, il est possible d’aborder d’autres questions»[6]. Il est permis de soulever toutefois une nuance. La notion de «petit peuple» s’avère  difficile à cerner. Qu’est-ce qu’un petit peuple?[7] Les Protestants en France ne représentent que 2 % de la population totale des 67,8 millions d’habitants. Ils contrôlent pourtant 60 % de l’économie de l’Hexagone! Il en va de même pour les Juifs aux États-Unis qui gèrent 80 % de l’industrie cinématographique avec une population maximale de 7,9 millions de personnes.

Constitué de 44 ha (0,439 km 2), le territoire du Vatican est le plus petit État du monde. Les résidents permanents sont au nombre de 825 habitants en 2019. Et pourtant… Depuis 1586, un peu moins de quatre siècles, le nombre des cardinaux est resté fixé à soixante-dix (70), mais l’expansion  continuelle de l’Église a déterminé Jean XXIII et Paul VI à augmenter ce nombre et à le rendre de plus en plus représentatif.[8] 183 en 2001 et 213 le 18 février 2012. Le nombre d’évêques, quant à lui, est passé de 3 714 en 1978 à 4 742 en 2003. Avec 407 262 prêtres en 2006, dont 271 091 prêtres diocésains et 136 171 prêtres religieux, pour un milliard et deux cent cinquante millions de baptisés. Il y avait 214 629 séminaristes, dont 113 044 grands séminaristes et 101 585 petits séminaristes. De 1964 à 2004, 69 063 prêtres ont quitté l’Église, et de 1970 è 2004, 11 213 ont repris.

J’offre ces chiffres parce que l’Église catholique, apostolique et Romaine, demeure le seul corps social constitué à survivre à la Conquête britannique de 1760 au Canada. La France va poursuivre son «œuvre» colonisatrice en matière religieuse jusqu’au début des années 1960. D’où les «sacres» comme jurons, qui furent répandus chez les Canadiens, d’abord attaché à leur culte papiste, mais qui les a en même temps opprimés. Aucun épisode de la Conquête du Nouveau Monde n’égale en puissance dramatique la chute soudaine et brutale de l’Empire Français en Amérique du Nord en 1760. La défaite de 1759 a complètement désaxé notre peuple. C’est dangereux l’orgueil blessé! Ce qui est certain, c’est que les Canadiens dissimulent depuis le 13 septembre 1759, la rancœur sous le masque d’une parfaite indifférence. L’esprit Canadien d’alors, sous une verve sarcastique, cache son désespoir grandiose, d’où l’expression consacrée qui nous est propre : «C’est encore  une défaite!»  ou l’expression de mon père, «Cela ne peut pas être pire!» Le Québec est un pays qui a connu l’humiliation de deux siècles et demi d’occupation militaire, politique, économique, culturelle, avec toutes les conséquences qu’une telle tragédie comporte, ainsi vouées aux vicissitudes historiques, avec son spectacle de désintégration sociale et de débilité chronique, avec par surcroît un taux exceptionnellement élevé de suicides et un taux de nuptialité et de natalité très bas après 1966, une fois que l’Église eut perdu son emprise sur la population.

La capitulation de Montréal en 1760

La France cédait presque toutes ses possessions américaines et indiennes (voir le Canada et l’Inde) et conservait  les îles de la Guadeloupe pour le sucre et Saint-Pierre et Miquelon[9] pour la pêche : l’Angleterre possédait désormais le Premier Empire colonial. Mais la portée de ces événements échappa totalement aux contemporains. Disons que l’élite (le clergé et les seigneurs) accepta la Conquête, mais le peuple l’a complètement oublié. Lorsque j’ai participé en tant que consultant en Histoire sur la mini-série Marguerite Volant, quand j’expliquai à l’un de mes frères que le récit se déroulait à l’époque de la Conquête, il resta interloqué en me posant ingénument  la question suivante : «Quelle Conquête?!!…» Un jour, Bernard Derome, le chef d’antenne de la société de Radio-Canada, en décrivant les exactions de la guerre en Bosnie Herzégovine, se plut à mentionner que le Canada avait eu la chance d’être épargné par les affres de la Guerre… Voilà qui en dit bien long! Michel Brunet avait bien raison d’écrire ceci : «Très souvent, des thèmes de propagande deviennent ainsi pour les générations suivantes des vérités historiques. Que vaudrait une histoire de la IIIe République Française écrite par les déclarations des propagandistes nazis et de leur collaborateur français à l’époque de l’occupation allemande de la France? Au Canada français, l’occupant britannique avait tout intérêt à discréditer l’œuvre colonisatrice de la France dans la vallée du Saint-Laurent. Les classes dirigeantes de la société canadienne au moment de la Conquête, obligée de collaborer avec les administrateurs britanniques, se laissèrent convaincre que l’ancienne métropole avait failli à sa tâche. Elles conservaient, d’ailleurs, un très mauvais souvenir de l’administration Bigot (…)»[10] Évidemment, une nuance s’impose, l’on ne peut comparer le régime nazi d’Adolph Hitler qui a exterminé six millions de Juifs avec le gouvernement britannique dont la présence fut  relativement douce pour les Canadiens. Ils respectaient les nouveaux «Sujets».

Plus haut, l’auteur est encore plus explicite : «Les conquérants britanniques et leurs propagandistes – conscients ou inconscients – ont toujours prétendu que la Conquête avait apporté la liberté et la prospérité. Note 10 : Toute la propagande du conquérant tournait autour de ces deux thèmes, voir plus haut, pp. 20- 22. Les historiens eux-mêmes s’y sont laissés prendre.»[11] N’est-ce pas innocent de souligner qu’en France, l’occupant allemand s’est vu évincé rapidement. Alors qu’au Canada, l’occupant britannique, lui, est resté au pays… L’armée d’occupation britannique elle-même ne va lever l’ancre que le 11 novembre 1871, soit plus d’un siècle après la Guerre de Sept ans! Sauf à Halifax, qui constitue le premier bastion et le dernier rempart de l’emprise britannique en Amérique du Nord. En effet, Cornwallis y établit 2 567 colons allemands le 21 juin 1748, après la désastreuse opération navale de la France en novembre 1746 du duc d’Anville qui n’augurait rien de bon pour la Guerre de Sept ans! Le premier journal «Canadian» y fut publié dès le 23 mars 1752, la Gazette d’Halifax. 7 000 colons anglo-américains vont s’établir plus après 1755 pour occuper les terres des Acadiens déportés.

Naissance de l’Historiographie Canadienne
Il y aurait, en  effet, une étude exhaustive et comparative à rédiger sur la Naissance de l’Historiographie Canadienne, tant du côté français qu’anglais. Il y eu, bien sûr, François Xavier Garneau, né le 15 juin 1809 à Québec et décédé le 3 février 1866 (dans la même ville), qui a publié son Histoire du Canada depuis sa fondation jusqu’à nos jours, sous l’Édition de la Librairie Crémazie, de 1845 à 1848, rééditée et augmentée en 1852 puis en 1859, et qui a connu un vif succès avec des rééditions en 1882, 1913, 1920, 1928 et 1944, qui a été la «Bible idéologique» du Canada français pendant un siècle, jusqu’à la double création de l’Institut d’histoire et de géographie à l’Université Laval, le 27 novembre 1946, puis celle de l’Institut d’histoire de l’Amérique française à l’Université de Montréal qui voyait le jour le 10 novembre 1947 sous les auspices du chanoine Lionel Groulx. Il y eu quelques membres des communautés religieuses, qui ainsi, ont assuré la transition au XIXe siècle comme l’abbé Jean-Baptiste Ferland (1805-1866), Benjamin Sulte qui publie une imposante Histoire des Canadiens-français de 1608 à 1880, Montréal, Wilson, 1882-1884, 8 volumes. Puis vint l’Abbé Henri-Raymond Casgrain (1831-1904) qui a publié une excellente étude sur Montcalm et Lévis, en 2 volumes, Québec, Demers, 1891, réédités en France même sous le titre de Guerre du Canada : 1756-1760, Tours, Maison Alfred Mame et fils, 1899, 400 pages, qu’Émile Salone en son temps estimait comme «le livre définitif sur la Guerre de Sept ans en Amérique». Mais c’était sans compter sur le travail prodigieux de Thomas Chapais (1888-1846) qui enseigna à l’Université Laval, et qui publia une étude approfondie sur Le Marquis de Montcalm : (1712-1759), Québec, J.P. Garneau, 1911, 696 pages, qui demeure utile encore aujourd’hui.

 Montcalm à cheval, le jour de la
Bataille des Plaines d’Abraham.

Notre premier véritable historien professionnel à avoir complété une thèse de doctorat à la Sorbonne en 1919, est nul autre que Gustave Lanctot, né le 5 juillet 1883 à Saint-Constant et décédé le 2 février 1975 à l’âge de 91 ans, à Montréal. Son Histoire du Canada en 3 volumes (janvier 1960-1964) est entrée elle-même dans l’Histoire. Puis vint enfin la génération des Maurice Séguin, Guy Frégault, Michel Brunet et plus tard Louise Deschênes de l’École nationaliste de Montréal, à laquelle on peut rattacher aussi Cameron Nish. À Québec, Marcel Trudel inaugura le premier cours d’histoire du Canada avec trois étudiants en 1947. Il quitta pour l’Université d’Ottawa en 1964 où il compléta sa brillante et longue carrière spécialisée sur le début du Régime français. Fernand Ouellet, Jean Hamelin et Jacques Mathieu se sont aussi démarqués. Puis, il y a l’École de Trois-Rivières avec Jacques Lacoursière, Denis Vaugeois et Jean Provencher, puis Marie-Hélène Bizier qui ont créé la revue Nos Racines : L’Histoire vivante des Québécois (1979-1983) en 144 fascicules, dans les années 1980. L’on ne peut passer sous silence le travail monumental de quelques ethnologues, comme Robert-Lionel Séguin, Luc Lacoursière et Robert Lahaise. Ils sont tous excellents mais partagent le même défaut que leurs confrères français, c’est-à-dire, qu’ils sont franchement franchouillards (au sens canadien du terme) avec le chauvinisme, l’étroitesse d’esprit, le pusillanime et  la ringardise. Il faut bien admettre qu’ils ont tous commis quelques erreurs de discernement, mais les Français aussi partagent le même travers. Nous leur devons à tous et à toutes une immense dette de reconnaissance et de gratitude pour le mérite d’avoir défriché le sentier sinueux de l’Histoire officielle. Leur principal défaut, c’est de répugner à consulter la minutieuse exactitude avec laquelle l’administration française écrit tout, en consommant des rames de papier. Ce qui constitue, un grave manquement au code de déontologie de l’Historien qui se doit de «faire parler les silences de l’Histoire» selon l’expression de Michelet, ainsi, de rétablir la vérité. «En admettant même qu’une tête bien faite échappe au narcissisme intellectuel si fréquent dans la culture littéraire, dans l’adhésion passionnée aux jugements du goût, on peut sûrement dire qu’une tête bien faite est malheureusement une tête fermée. C’est un produit d’école.»[12] Une tête bien faite à l’Université est souvent, en effet, un esprit fermé, dépourvu de la moindre compétence intellectuelle avec un sens critique. «La compétence est simplement l’aptitude à découvrir au moins quelques éléments de signification dans une pratique.»[13] 

J’ai toujours eu l’intuition et la conviction intime que Montcalm avait été assassiné jusqu’au jour où j’ai  eu la confirmation, suite à des recherches assidues et patientes aux Archives nationales du Québec au Pavillon Casault de l’Université Laval, vers 1990.

Montcalm
De Iesus Ben Panthera, nous ne disposons que de quatre Évangiles canoniques et quelques Évangiles apocryphes, mais du Marquis de Montcalm, nous avons l’héritage de quelques portraits en buste et tableaux d’époque, d’un journal et d’un recueil de lettres, qui n’ont pas toutes été publiées dans leur intégralité. Et sa correspondance épistolaire privée n’a jamais fait l’objet de publication. Nous disposons de lui, un immense trésor de plusieurs dizaines de témoignages, dont  certaines demeurent pratiquement inédites. Nous allons essayer d’en retracer quelques-unes pour le réhabiliter et lui rendre justice enfin, plus de 310 ans après sa naissance le 28 ou 29 février 1712, au château de Candiac, près de Nîmes. Il fut assassiné à Québec le 13 septembre 1759, dans des circonstances encore mal éclaircies, auxquelles nous allons tenter d’apporter quelques éléments de réponse. Mais je préviens le lectorat que je ne vais pas divulguer toutes mes sources, les réservant pour une publication ultérieure.

Dès l’âge de raison, à sept ans, j’ai rédigé et mis en scène un petite pièce de théâtre sur Louis-Joseph, Marquis de Montcalm, seigneur de Saint-Véran, de Candiac, de Gozon, etc., dont la généalogie remonte au XIIIe siècle, personnage que j’ai toujours estimé comme le plus grand héros de l’Histoire Canadienne, et que j’ai découvert par l’intermédiaire d’une figurine polychrome de porcelaine, trouvée dans une boîte de thé Red Rose… Il y avait aussi Louis Buade de Frontenac, Samuel de Champlain, Jacques Cartier, etc. J’ai toujours eu l’intuition et la conviction intime que Montcalm avait été assassiné jusqu’au jour où j’ai  eu la confirmation, suite à des recherches assidues et patientes aux Archives nationales du Québec au Pavillon Casault de l’Université Laval, vers 1990.

Même après sa promotion à titre de lieutenant général, suite à la brillante victoire de Carillon le 8 juillet 1758, Montcalm aurait très bien été dans son intérêt de poursuivre sa carrière en France, mais il choisit plutôt de rester en Canada afin de défendre ses protégés jusqu’à l’issue de la Guerre.

Montcalm à cheval, blessé.

Dès lors, j’ai pris la mesure de me faire parvenir à peu près tout ce qui existait d’archives concernant Montcalm grâce à l’aide précieuse d’un ami Historien, Maurice Ratelle, qui était rattaché au Ministère d’Énergies et Ressources au Gouvernement du Québec, avec une spécialité en Affaires autochtones. Il a eu la patience de photocopier ces archives en triple exemplaire, l’une pour le Gouvernement, l’une pour lui, et l’une pour moi! J’ai par la suite eu la chance de rencontrer le descendant matrilinéaire du Marquis, en la personne du baron Georges Savarin de Marestan, lors de la première projection publique du film documentaire de Jacques Godbout, Le sort de l’Amérique (O.N.F., 81 minutes et 28 secondes)[14], le 6 septembre 1996, au cinéma Charest de Québec, avec lequel je me suis lié d’amitié et échangé une correspondance épistolaire, puis par courriel. Mais cela ne s’arrête pas là, j’ai aussi eu le privilège et l’honneur de rencontrer, grâce à Magalie de Marignane, les descendants de la famille de Montcalm de Saint-Maurice vivant à Paris, à l’occasion d’une petite cérémonie organisée lors du 250e anniversaire de la mort de Montcalm, qui eut lieue à la Ville de Québec, en compagnie de Jacques Lacoursière, qui s’est conclue à la chapelle des Ursulines par une messe commémorative, avec une visite à l’endroit même où Montcalm a été enseveli dans un trou de bombe perpétré par l’armée britannique. Voilà pour la petite histoire. Maintenant, laissons la place au principal acteur des événements qui nous concernent tous.

Il faut préciser dès le départ que Montcalm  représente pour l’histoire Canadienne un «cas à part» puisqu’il fut longtemps considéré comme «un grand indésirable…» Le gouverneur du Canada depuis 1755, le Marquis de Vaudreuil ne jugeait pas opportun ni nécessaire de recevoir un remplaçant au baron de Dieskau, fait prisonnier le 8 septembre 1755, date qui augurait mal, puisque c’est aussi la date de la reddition de Lévis à Montréal en 1760 devant Amherst. Le premier État-major expédié en Canada a été décimé presque au complet. Le baron Jean-Armand de Dieskau, maréchal de camp a été fait prisonnier et blessé le 8 septembre 1755 à William Henry. Le chevalier de Rostaing, colonel et ancien capitaine du Régiment du Roy a été tué le 8 juin 1755 d’un coup de canon dans le combat de l’Alcide, par l’armada de Boscawen. Le chevalier de Montreuil, Aide major général, capitaine réformé de Piedmont infanterie a été plus chanceux, il a survécu et a fait souche au Canada. B.F. Bernier, premier aide de camp de Dieskau, a été fait prisonnier le 8 septembre 1755, et revint à Québec à la fin de juin 1758, pour assister et remplacer Doreil. Il a joué un rôle important durant le Régime militaire en tant qu’interprète et traducteur. D’Hélincourt, second aide de camp de Dieskau, a été tué sur l’Alcide. Doreil, commissaire des guerres en chef s’est lié d’amitié avec Montcalm qu’il connaissait déjà. De Gravé, second commissaire des guerres, a été tué aussi sur l’Alcide. Enfin, La Rochette, secrétaire de Doreil a fait souche en Canada en mariant la fille de René-Nicolas Levasseur, le constructeur naval à Québec, depuis 1731. Du Moulin, Geofroy et Daquiton, les trois ingénieurs ont été capturés sur l’Alcide et le Lys, dont la nouvelle parvint à Québec le 16 août 1755 seulement.

Dessin de l’auteur représentant la Bataille des Plaines d’Abraham.

Le 18 juillet 1755, Louis XV pose un geste dramatique en rappelant son ambassadeur sans prendre congé, le duc de Lévis de Mirepoix. Le 21 décembre 1755, Louis XV dresse un ultimatum au roi Georges II d’Angleterre, qui déclare la guerre le 18 mai 1756. Le 9 juin 1756 suivant, Louis XV déclare officiellement la guerre à l’Angleterre. La Guerre de Sept Ans a été déclarée suite à une escarmouche de frontière lors de l’affaire Jumonville, tué le 28 mai 1754 et par les représailles françaises avec la prise du fort Necessity, défendu par le colonel Georges Washington le 3 juillet 1754, en Ohio, pour la prise de contrôle du commerce des pelleteries. Willem (ou William) Anne  Van Keppel, 2e comte d’Albemerle – né le 5 juin 1702 à Whitehall Palace (Londres) est décédé durant ses fonctions d’ambassadeur à Versailles (1749-1755), le 22 décembre 1754 à Paris. Il sera inhumé le 21 février 1755 è Grosevenor Chapel sur South Audley, à Londres. Gaston-Pierre-Charles de Lévis Lonagne, marquis puis duc de Mirepois, quant à lui, est né le 2 décembre 1699 à Belleville (Lorraine) et est décédé le 24 septembre 1757 à Montpellier, à 57 ans. Ambassadeur extraordinaire à Londres, il a été nommé duc de Mirepoix le 25 septembre 1751 et fait Maréchal de France le 24 février 1757 par Louis XV.

Scupture de François-Xavier Garneau

Le sort du second État-major expédié en 1756, fut un peu plus heureux. Le 11 mars 1756, Montcalm reçoit sa commission de maître de camp avec 25 000 livres tournois, plus 12 000 livres pour l’entretien de son personnel.  Lévis, brigadier, reçoit 18 000 livres tournois d’appointement, Bourlamaque, colonel, 12 000 livres tournois. Bougainville (qui est bilingue), premier aide de camp de Montcalm, est désigné le 15 mars 1756, dont le frère est un protégé de la Marquise de Pompadour, avec 2 700 livres tournois. Le 21 mars 1756, lors du  départ de Versailles, s’adjoint à cette équipe, De la Rochebeaucour, second aide de camp de Montcalm, avec 2 700 livres tournois. Marcel, troisième aide de camp qui joue le rôle essentiel de secrétaire de Montcalm, reçoit 600 livres tournois. Doreil, le commissaire ordonnateur en titre, touche 6 000 livres tournois supplémentaires pour la perte de ses bagages, en sus de ses 12 000 livres tournois. M. de Montreuil, en tant qu’aide major général, reçoit 6 000 livres tournois. Deux ingénieurs, Lombard des Combles et Désandrouins, 4 000 livres chacun. Le départ prévu pour le vendredi 2 avril de Brest est remis au 3 avril vers 16 heures 30. Montcalm, descend à la petite ferme du Cap Tourmente, de la frégate La Licorne, le 10 mai 1756, alors que le printemps est précoce. Le personnel de Montcalm se résume à Estève, second secrétaire, Joseph, écuyer, Saint-Jean, cuisinier, La Tuque, barbier, La Roche-Vernet, valet et Beauchois, domestique, tous à la charge du Marquis de Montcalm. Celui-ci a toujours été perçu, surtout par l’école historique nationaliste de Montréal comme un «impérialiste attardé» alors qu’il n’avait ni désiré ni souhaité cette nomination et qu’il a spontanément pris fait et cause pour les Canadiens qu’il venait défendre. Il devait cette promotion en fait à son épouse, qui était la petite nièce de Jean Talon, premier intendant du Canada. Angélique Talon du Boulay, née le 15 septembre 1709 à Paris dans la paroisse de Saint-Sulpice et décédée le 28 février 1788 au château de Candiac s’opposa vivement à cette promotion et en voulue à sa belle-mère d’avoir encouragé son fils à relever ce défi honorifique. La cérémonie nuptiale eue lieue à Paris dans la nuit du 2 au 3 octobre 1736, il avait 24 ans et elle, 27. Ce fut un mariage de raison qui devint un mariage d’amour. Ils auront dix enfants ensemble dont quatre seulement vont se rendre à l’âge adulte.

Même après sa promotion à titre de lieutenant général, suite à la brillante victoire de Carillon le 8 juillet 1758, Montcalm aurait très bien été dans son intérêt de poursuivre sa carrière en France, mais il choisit plutôt de rester en Canada afin de défendre ses protégés jusqu’à l’issue de la Guerre. Il faut savoir que tout opposait le gouverneur du Canada, le Marquis de Vaudreuil, le premier à être né au pays, à Montcalm qui était français, dans leurs caractères, dans leur vision de la guerre et de l’avenir de la colonie. Montcalm a toujours servi de «bouc émissaire» désigné pour flatter l’amour propre des Canadiens, comme étant le principal responsable de la célèbre Bataille des Plaines d’Abraham, et donc, de la perte de la Nouvelle-France par la métropole. En réalité, la vérité des faits historiques s’avère infiniment plus complexe et presque méconnue par les historiens eux-mêmes.

Premièrement, Montcalm demeure le plus grand héros de la Guerre de Sept ans et du milieu du XVIIIe siècle, qui fut le premier grand conflit mondial à mobiliser les cinq continents connus de l’époque (l’Europe, l’Asie, l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, et l’Afrique; l’Océanie sera découverte plus tard et l’Antarctique demeure encore inhabitable), et a provoqué plus d’un million de morts, tant chez les civils que les militaires. Montcalm est, en effet, le seul général à connaître quatre victoires écrasantes consécutives lors de ce conflit, soit le 14 août 1756 à Chouagen /Oswego, le 9 août 1757 à William Henry, le 8 juillet 1758 à Carillon et le 26 juin 1759 à Beauport, ce qui fait de lui, le plus brave et brillant homme de guerre depuis Turenne jusqu’à Napoléon!

Le premier mythe à renverser repose sur le nombre des effectifs de l’époque. Montcalm était un commandant en chef d’un État-major incluant pas moins de 6 416 hommes, soit huit bataillons d’infanterie de troupes de terre de 550 soldats et officiers chacun, et 2 279 soldats et officiers de troupes franches de la marine répartis en 40 compagnies – 403 officiers et 9 127 soldats présents au Canada, selon une estimation qui ne tient pas compte des recrues pour remplacer les blessés et les décès sur le champ de bataille ou dans les Hôpitaux… à laquelle il faut ajouter que cette redoutable armée peut compter sur le service de la milice (crée le 3 avril 1665) dont le nombre s’élève à 15 912 hommes au dernier total réparti en 165 compagnies, mais 13 738 soldats et officiers en incluant Louisbourg, 4e port en importance en Amérique du Nord, dont 2 711 recrues et volontaires étrangers. Et cela est sans tenir compte de la Louisiane et de différents corps expéditionnaires, pour un grand total de 16 738 soldats et officiers, sans parler des matelots. En effet, au 10 décembre 1754, il y avait 37 compagnies de troupes franches de la marine en Louisiane, soit 1 264 fusiliers et de 412 officiers, auxquels allaient se joindre le bataillon d’Angoumois le 29 avril 1762 jusqu’en juillet 1763, qui regroupait 446 soldats et 35 officiers pour un total de 481 hommes, commandés par le marquis de Frémur. Et la France avait distribué plus de 200 000 fusils à silex durant 150 ans, parmi les autochtones, dont 50 000 guerriers pour le seul Canada.

Mais, il faut bien l’avouer, cette guerre, dans laquelle la France s’est engagée à reculons et qui était impopulaire dans l’opinion publique, désavantageait la métropole parce que depuis la Bataille de la Hougue, du 2 et 3 juin 1692, qui opposait Anne de Cotentin, comte de Tourville contre Edward Russel, qui loin d’être un désastre, cette perte provoqua le désintérêt de la France pour la marine, durant la guerre de la ligue d’Augsbourg (le 17 mai 1689, l’Angleterre déclara la guerre) et donna lieu au massacre de Lachine dans la nuit du 4 au 5 août 1689, avec 200 victimes et 120 prisonniers. Voilà l’effort de guerre de la France en Amérique du Nord durant la Guerre de Sept Ans. «C’est pure calomnie que de représenter Louis XV et ses ministres comme abandonnant volontairement, légèrement, l’Acadie et le Canada», écrira Robert Rumilly (L’Acadie anglaise 1713-1755, Montréal, Fides, 1983, p. 202.) Il faut se rappeler continuellement que nous sommes en plein milieu du XVIIIe siècle, alors que la population mondiale s’élève à 830 millions d’habitants. Cela équivaut à un effort de guerre de plus de 160 000 soldats et officiers d’aujourd’hui, alors que la Nouvelle-France compte à peine 100 000 locuteurs francophones (voir supra) sans inclure les esclaves nègres (sic) et panis et les sauvages domiciliés (sic).

… il faut savoir qu’il n’y a pas eue, suivant une mensonge historique colporté par les Canadiens, de «défaite» de la bataille des Plaines d’Abraham, puisque l’armée française demeurait maître de la capitale! Il y eu bien 650 morts et blessés de part et d’autre, mais cela n’entraînait pas la reddition de la citadelle de Québec. Et aussi, il n’y pas eu de «victoire» de Lévis à Sainte-Foy, le 28 avril 1760, puisque la Ville de Québec demeurait aux Anglais.

Fernand Braudel déclara que la Guerre de Sept ans et la perte de son premier empire colonial pour la France, représente la dernière intervention militaire française sur la scène internationale (sic!) in l’Actualité, «Le Pape de la Nouvelle Histoire»; portrait, février 1986, p. 118. Ce qui est totalement et radicalement faux! C’est oublié que la France apporta la victoire et la liberté lors de la Guerre d’indépendance Américaine, alors qu’elle fournit à la jeune République 47 989 officiers, soldats et marins qui ont été engagés dans les opérations tant terrestre que maritime, alors que Washington ne réunit jamais plus de 38 000 soldats, sans parler que la France consentit aux États-Unis d’Amérique un prêt de 26 millions de dollars de l’époque entre 1777 et 1782, dont seulement la somme de 4 533 333 dollars a été effectivement remboursée par le gouvernement américain.[15]

Deuxièmement, il faut savoir qu’il n’y a pas eue, suivant une mensonge historique colporté par les Canadiens, de «défaite» de la bataille des Plaines d’Abraham, puisque l’armée française demeurait maître de la capitale! Il y eu bien 650 morts et blessés de part et d’autre, mais cela n’entraînait pas la reddition de la citadelle de Québec. Et aussi, il n’y pas eu de «victoire» de Lévis à Sainte-Foy, le 28 avril 1760, puisque la Ville de Québec demeurait aux Anglais.

Autopsie de la bataille

Bataille du Fort Carillon

Maintenant, et c’est ici que le bât blesse, Montcalm était situé profondément à l’arrière du bataillon de Royal-Roussillon, premier arrivé et dernier à se retirer du champ de bataille, qui se déroula vers 10 heures du matin fatidique du jeudi 13 septembre 1759, par un temps d’éclaircie après quelques nuages de pluie fine, alors que le général essayait, en vain, d’endiguer les fuyards (des miliciens canadiens pour la plupart) à revenir au front. Donc, il ne se trouvait pas au front. Il s’agit d’ailleurs de deux grenadiers (près des remparts de la ville) qui ont accueilli le général blessé pour le maintenir en selle et lui permettre de retraiter par la porte Saint-Louis. Ce qu’il faut  retenir, c’est que Montcalm a reçu un coup de fusil dont la balle, et le détail est assez important, lui a traversé le rein et qui est sortie par l’aine (entre le haut de la cuisse et le bas du ventre). Il s’en est suivi une hémorragie interne et externe avec une péritonite aiguë dont il est décédé moins de 18 heures plus tard, vers les 5 heures de la nuit. Or, les fusils à silex de l’époque – que ce soit le brown bess britannique des «tuniques rouges» (brown bess and red coat) ou le mousquet d’ordonnance des Français – avaient une portée mortelle très limitée en comparaison avec les armes d’aujourd’hui. La portée totale était de cent pas (soit trois cents pieds) mais la portée «pratique» variable était environ de 45 mètres, soit 150 pieds. La carabine au foyer rayé, même si elle existait, n’était pas en usage, car on la considérait trop meurtrière! Il faut se reporter dans le contexte de la «guerre en dentelle» où il était proscrit de se battre après la tombée du jour, «car quelqu’un risquait de se blesser…» Et il s’agit de la dernière guerre où les officiers et les généraux portaient la cuirasse dont l’usage remontait au Moyen-Âge. À cette distance, les soldats devaient tirer avec un angle incliné vers le haut afin que la balle de plomb (de 18 mm) grosse comme une bille puisse retomber vers le bas sur l’adversaire, mais ne faisait que blesser. Non, le problème, c’est que Montcalm a été mortellement blessé lors de cette bataille – donc, ce qui entraîna une rupture dans la ligne de commandement, avec tout ce que cela implique de conséquences multiples, dont la confusion, la consternation générale et la commotion brutale, à un moment crucial où le reste de son État-major est dispersé aux quatre coins de la colonie (Lévis est à Montréal, Bourlamaque est à l’île aux noix et Bougainville qui détient l’élite de l’armée est à Sillery) – et qu’il est décédé le lendemain matin à l’aube vers 5 heures de la nuit. Et ensuite, Ramesay, qui était une créature de Vaudreuil, le colonel des troupes de la capitale, accepta la capitulation devant Townshend, le 18 septembre 1759 à 10 heures du matin, sur l’insistance des bourgeois de Québec, au moment même où Lévis arrivait en renfort avec les troupes de pointes de Bougainville. Or, Montcalm a reçu une balle avec un angle oblique venant du haut vers le bas et presque à bout portant (moins de vingt mètres) alors que les Anglais n’avaient pas de cavalerie, puisqu’ils venaient d’escalader un sentier de falaise pendant la nuit, vers les 4 heures, par une nuit sans lune.

La cage de métal suspendue de la Corrivaux

Et les témoins de l’époque sont unanimes pour authentifier que Montcalm était situé en retrait du feu de l’ennemi, entre les buttes à Nepveu (qui correspond à l’actuel Grand Théâtre de Québec et la colline parlementaire)… à proximité d’un moulin à farine tournant à tout vent (le moulin Dumont) selon l’expression consacrée de l’époque, et la porte Saint-Louis. Selon les mémoires anglais et français, l’armée anglaise était campée à 1 500 verges des murs de la capitale, alors que l’armée française se regroupa à la hauteur de 200 toises des glacis de Québec. Montcalm a été blessé à l’endroit même où Marie-Josephte Corrivaux sera pendue le 15 avril 1763. La mention, ici, de l’Affaire de la Corrivaux  n’est pas gratuit, puisque le franc-tireur présumé n’était nul autre que Jean Brousseau dit Sans chagrin que Montcalm tira d’un mauvais pas (une affaire de duel avec un soldat des troupes de terre, le 16 décembre 1757 (lettre, pp. 89-90), le même individu «tout maculé de sang» que le curé Parent (qui avait engrossé la cousine de la Corrivaux) qui témoigna sous le sceau de la confidence qu’il croisa  avec deux acolytes, une nuit d’hiver où le deuxième mari de la Corrivaux, Louis Dodier, qui sera assassiné dans son écurie le 27 janvier 1763 et que l’on découvrit au petit matin «baignant dans son sang» au pied de sa jument, le même Jean Brousseau que Dodier avait engagé et hébergé lors de son casernement quelques années auparavant… Le monde est petit! Pour étouffer l’affaire, la Corrivaux sera violée par la soldatesque dans son cachot et contrainte sous la menace de se reconnaître coupable d’avoir tué son mari «à la hachette» alors même que le rapport du coroner confirma hors de tout doute raisonnable que Louis Dodier a été tué avec une fourche ou un «outil contondant»!

Il n’est pas innocent de savoir que l’avocat de la Corrivaux n’était nul autre qu’Antoine Saillant (il n’y avait ni presse ni avocat en Nouvelle-France) qui avait rédigé le premier contrat de mariage avec Charles Bouchard, à la paroisse de Saint-Charles de Belle-chasse, qui était l’ancien Procureur du Roy et ami intime de François Bigot, l’intendant corrompu à la tête de l’administration coloniale et de la «Grande société» – une rue garde son souvenir à Montréal, sous le nom approprié et révélateur, «la Friponne» — qui se voyait impliqué dans le dépouillement des Canadiens en leur arrachant le blé «sous la menace de la baïonnette», le blé étant le premier indice des prix à la consommation de cette époque, principal indice de richesse de la colonie et principal article d’exportation vers Louisbourg et les Antilles – bien plus vital que les fourrures dont le marché était saturé et subventionné en France par surabondance, au prix dérisoire de trois livres le minot qu’il revendait clandestinement et frauduleusement aux Antilles pour du rhum (de la gildive) dont il enivrait l’armée et le peuple à un prix prohibitif (une barrique de vin rouge de Bordeaux se détaillait à 600 livres tournois!) en rachetant du blé de semailles de la métropole qu’il revendait à douze livres tournois le minot le printemps suivant…

Transcription de la Bataille du Fort Carillon

«Les champs des campagnes sont nus comme le plancher d’une salle de bal» pouvait-on dire en boutade à l’époque. Les blagues sont toujours révélatrices d’une réalité sociale et économique qui traduit bien la misère sordide d’habitants des campagnes et des résidents des villes. Le 8 octobre 1755, Bigot fait proclamer une ordonnance royale scellant tous les bluteaux des moulins à farine entre la pointe de Lévis et Kamouraska, à l’exclusion…du moulin Péan, que les Canadiens désignaient comme le «moulin fatal». Or, curieusement, durant le bilan d’inventaire de 128 objets appartenant à la Corrivaux, on ne découvre aucun objet ou outil agricole, mais une maison richement décorée et meublée. Il faut  présumer ici que le mari de la Corrivaux devait travailler pour «l’infâme» Michel Jean-Hugues Péan, major de Québec, propriétaire du «moulin fatal» situé au-dessus de l’actuel moulin Beaumont (dont il ne reste plus que des ruines), Péan étant à la tête de la pyramide sociale de la «Grande société», avec sa femme, Angélique des Méloizes étant d’ailleurs la maîtresse déclarée de Bigot, et convoitée jusque par le Marquis de Montcalm lui-même.

Une deuxième transcription de la Bataille du Fort Carillon

Nous allons aller encore plus loin. L’oncle de la Corrivaux était capitaine de milice ou capitaine de côte de Saint-Vallier, bénéficia même d’une lettre de cachet, véritable «sauf-conduit» ce qui représente à n’en pas douter, un avantage officiel aux amis intimes du régime en place de la part du gouverneur Vaudreuil, adressé à Montcalm lors d’un échange de prisonniers avec James Abercomby, le 4 juillet 1758, Corrivaux s’étant retrouvé dans une embuscade lors d’une patrouille d’avant-poste. Cette lettre a été publiée par la Société historique de Saint-Vallier et devient d’audience publique! Cette lettre a été publiée par madame Thérèse Cadrin, présidente de cet organisme et qui m’accueillit généreusement chez elle en me confiant ses archives personnelles. Elle me prit en sympathie, me trouvant la même intonation et la même diction que Luc Lacoursière (1910-1989).

Une troisième transposition de la
Bataille du Fort Carillon.

La Corrivaux constitue donc «le chaînon manquant» (sic) au sommet de l’infrastructure interne de la petite bourgeoisie Canadienne qui profitait de la guerre et qui se retrouva malgré elle, au cœur de la manutention des farines et qui, pour cette raison, va se retrouver impliquée à son corps défendant au centre de «l’œil du cyclone» qui devait emporter la colonie. Voilà la clef de voûte de l’histoire Canadienne! Montcalm et la Corrivaux. La fille et le général. Qu’arrive-t-il lorsque le rôle de l’homme et de la femme sont inversés? Voilà ce qui est arrivé. Il y a toujours quelqu’un qui, parfois, en sait trop long, ce qui n’arrange personne. Il y a toujours quelqu’un qui découvre ce qu’il ne devrait pas savoir… Or, le jour de la mort du célèbre marquis de Montcalm,  Joseph, son cocher, rapporta de l’ouvrage à Cornes par l’entremise de Joseph Trahan, un milicien d’origine Acadienne, sur la rivière Saint-Charles, près de l’Hôpital général où il finira par être inhumé deux siècles plus tard, le 13 octobre 2001 – son corps ayant été exhumé en 1883 et  le crâne placé dans une châsse de verre portant deux coups d’épée à la tête! – rapporta la rumeur suivante : «On fit courir le bruit en Canada, que la balle qui tua ce grand, cet excellent, cet honnête homme, ne fut pas tirée par un fusil anglais. Mais je n’ajouterai jamais foi à ce propos» (note manuscrite du chevalier Johnston) Cette note n’apparaît toutefois pas dans la version publiée. (J.M. LeMoine, Album Canadien : Histoire, Archéologie-ornithologie, Québec, Des Presses Mécaniques du Canadien, 1870, p. 28 note 1. Enregistré dans le Bureau du Régistrateur Provincial – selon la loi.) Mais voici un fait accablant supplémentaire ; il y avait un camp de réfugiés Acadiens dans la paroisse voisine de Beaumont (Saint-Charles de Belle-chasse) à proximité du «moulin fatal»… Mais l’on chercha immédiatement à étouffer cette rumeur dans l’œuf pour ne pas compromettre davantage Vaudreuil, qui détestait, comme tout le monde le savait, mortellement Montcalm. Celui-ci n’en était pas dupe. Ainsi écrit-il dans sa lettre du 2 juin 1757, ce passage compromettant et calomnieux : «Vous n’avez pas besoin d’être Œdipe  pour deviner cette énigme ; en tout cas, voici quatre vers de Corneille» :

«Mon crime véritable est d’avoir aujourd’hui
plus de nom que (1)…, plus de vertu que lui
et c’est de là que part cette secrète haine
que le temps ne rendra que plus forte et plus pleine» (2)

(1)  Lisez Vaudreuil
(2) Sommervogel, Comme on servait autrefois : Le marquis de Montcalm et le Maréchal de Bellefonds, Paris, Joseph Albanel, 1872, p. 103.

Troisièmement, autre fait troublant qui inverse radicalement la donne des faits historiques, il faut encore savoir que Montcalm  appréhendait légitimement une faiblesse à l’Anse au foulon, et qu’il transmit l’ordre le 4 septembre 1759 de placer le bataillon de Guyenne au-dessus de ladite Anse au foulon, ordre qu’il renouvela le 12 septembre 1759 après-midi, mais Vaudreuil avait contrecarré cet effort lucide et perspicace en déclarant : «Nous verrons demain» mais demain, il était trop tard, car les Anglais ont bel et bien réussi à descendre à ce poste, qui du reste, était mal défendu par Vergor, une créature de Bigot et trop facile d’accès, alors même qu’un débarquement de farine en provenance de Montréal était attendu avec anxiété. «Qui va là?» demanda-t-on par prévoyance. «France!» répondit-on avec un parfait accent français. «Quel régiment?» «Royal-Roussillon!» Avant la bataille de Culloden du 16 avril  1746, les Écossais avaient le français comme langue seconde.

James Wolfe

Et le plus odieux, pour l’amour-propre national des Canadiens, c’est qu’à la suite de son écrasante victoire autant qu’inespérée contre des forces quatre fois supérieures à son armée, à fort Carillon le 8 juillet 1758 – puisque Vaudreuil avait  divisé les forces pour affaiblir volontairement Montcalm, autant que possible – ce dernier avait  été promu au titre de lieutenant-général et qu’avec cette promotion méritée et exemplaire, il se retrouva hiérarchiquement au-dessus d’un simple gouverneur de province et une lettre de cachet prévoyait qu’en cas de décès de Vaudreuil, c’était Montcalm qui lui succédait à titre de gouverneur de la province! En faisant preuve d’insubordination, le marquis de Vaudreuil devient le seul et unique responsable de cet immense gâchis et de la chute de la colonie en 1759 et en 1760, car, à la mi-septembre, Wolfe se retrouvait coincé sur le point d’être dans l’obligation de plier bagage et de retraiter avec l’amiral Saunders en Angleterre après cette fâcheuse campagne. «Il est intéressant de remarquer que les généraux anglais, dans toutes les missives, ne se sont jamais adressés qu’à M. le marquis de Montcalm, sans mentionner même le gouverneur général du Canada ; (…)»[16] trop peu de gens au Québec et au Canada, connaissent le fait que la veuve et les enfants du Marquis de Montcalm sont les seuls pensionnaires de l’Assemblée nationale Française révolutionnaire, qui leur octroya une bourse de 4 000 livres tournois chacun à vie! En effet, au moment où l’Assemblée nationale mettait en question la suppression des pensions accordées par le Roi Louis XVI, M. de Nouailles réclama une exception en faveur de la famille Montcalm : «Ses services, dit-il, ont fait connaître son nom dans les deux mondes. Sa valeur et ses talents militaires ont honoré les armes françaises». Cette demande fut écoutée avec empressement. Un fils de Montcalm, membre de  l’Assemblée, monta à la tribune et remercia les représentants de la nation, au nom de ses frères et sœur.[17]

Pour les vrais amateurs d’histoire, le tournant de la Guerre de Sept Ans s’est déroulé, en réalité, le 8 septembre 1757 à la convention de Klosterzeven – on y signa la capitulation des Anglo-Hanovriens, obtenue par le duc de Richelieu contre le  duc de Cumberland suite à la bataille de Haastembeck – en Allemagne actuelle (la Prusse de l’époque) qui était tout simplement une armée sortie du sol dans un peuple d’à peine trois millions d’habitants, alors que la France était peuplée de 26 millions d’habitants avec une armée de terre comportant 80 régiments d’infanterie répartie en 168 bataillons, plus 2 régiments de cavalerie, alors que l’Angleterre en avait sept millions et demi (9 millions et demi en incluant l’Écosse depuis la bataille de Culloden en 1746), la France qui disposait d’une puissante et redoutable armée de terre, forte de 500 000 soldats et officiers de métier, alors que la perfide Albion ne transformait sa marine marchande en marine royale en recrutant des soldats au pied levé. Louis XV jugea plus judicieux de libérer les 50 000 soldats de l’armée germano-britannique pour se soulager de bouches inutiles à nourrir dans une période de disette chronique qui sévit sous l’ancien régime social avec le serment de ne plus intervenir sur le champ de bataille européen. Et Georges II tint parole! Mais il expédia 23 000 soldats en Amérique du Nord et l’autre moitié en Inde contre Lally Tollendal[18] qui sera exécuté par un conseil de guerre le 9 mai 1766 pour avoir capitulé à Pondichéry le 14 janvier 1761. Voilà donc la victoire écrasante, qui coûta la Guerre de Sept ans à la France et la perte de son Premier empire colonial. Tout s’est donc joué en Europe!

Après la bataille
Bon, les Canadiens, au moment de la capitulation de Lévis devant Amherst le 8 septembre 1760 sur la recommandation de Vaudreuil, est un peuple qui forme déjà une nation, voir même une civilisation originale, distincte du monde anglo-saxon et de la métropole même, par sa langue (française), sa religion (catholique, apostolique et Romaine), son code civil français, son Histoire nationale de plus de deux siècles, son cadre géographique (le Saint-Laurent) redessiné et fixé par le Régime seigneurial (féodal) qui ne sera abolit que le 22 juin 1854, confirmé  le 18 décembre 1854, ses us et coutumes, sa gastronomie[19], son architecture, sa sculpture et son orfèvrerie, etc. «Comme le peuple d’Israël, les Canadiens ont subi l’humiliation de la défaite et le joug de la  domination étrangère. Les destinées des peuples vaincus, conquis et occupés se ressemblent inévitablement».[20]

La crise de la Conquête offre un champ privilégié pour identifier et observer le nombre de locuteurs francophones en Amérique du Nord. «(…) les crises organisationnelles constituent toujours des moments privilégiés pour analyser les organisations».[21] Crevons l’abcès tout de suite. Selon Michel Veyron, «Au moment de la Conquête, la Nouvelle-France comptait environ 70 000 habitants (sic), dont plus de 60 000 vivaient dans la basse et moyenne vallée du Saint-Laurent : 50 000 ruraux et environ 13 000 occupant les trois bourgades (sic) qu’étaient encore Québec (environ 8 000 habitants), Montréal (environ 4 000 habitants) et Trois-Rivières (environ 800 habitants)».[22] Cela semble s’inspirer directement de Jacques Henripin et Yves Perron qui écrivent ceci : «En 1760, il n’y avait qu’environ 70 000 personnes (sic) de langue française en Amérique du Nord, dont 60 000, à peu près (sic) vivaient dans la vallée du Saint-Laurent».[23] Éric Bédard, pourtant de la nouvelle génération, est encore plus conservateur en affirmant qu’«en dépit d’une population peu nombreuse – à peine 60 000 habitants (sic) au milieu du XVIIIe siècle –, la «Nouvelle-France» s’étend sur un vaste territoire qui va du golfe du Saint-Laurent jusqu’aux Rocheuses, et des Grands Lacs jusqu’aux bouches du Mississippi».[24] Julie Barlow et Jean-Benoît Nadeau vont plus loin encore : «En 1763 lorsque la France céda officiellement la Nouvelle-France, cinquante-cinq mille Canadiens (sic) y demeuraient».[25] En fait, cette affirmation gratuite et erronée semble remonter à Garneau qui écrit : «Nous ne comptions que soixante mille âmes (sic), et nous sommes aujourd’hui (1859) près d’un million».[26] Cela se répercute jusque dans le discours du Général de Gaulle lors de sa visite historique au Québec pendant l’Expo 1967 : «Après qu’eut été arraché de ce sol, voici deux cent quatre années la souveraineté inconsolable de la France, 60 000 Français (sic) y restèrent. Ils sont maintenant plus de 6 millions».[27]

Le Marquis de Montcalm sur son lit de mort (tableau).

Durant une conférence de presse tenue le 27 novembre 1967, de Gaulle réitère à propos de Montcalm : «Quand, il y a 204 ans, le gouvernement royal, qui avait essuyé de graves revers sur le continent et qui, de ce fait, ne pouvait soutenir en Amérique la guerre contre l’Angleterre, crut devoir quitter la place, 60 000 Français (sic) étaient installés dans le bassin du Saint-Laurent».[28] L’on pourrait prolonger ad nauseam la liste des auteurs qui accordent 55 000 à 60 000 habitants au Canada ou en Amérique du Nord à la fin du Régime Français. Ce qui correspond à de la désinformation et de la propagande invalidant le legs de la France en Amérique. Pour ne citer qu’un dernier exemple dans ce registre, Jean-Paul de Lagrave dans son opuscule «Parlez Fort!», l’auteur accorde 55 000 habitants à la population du Canada à la page 12 et 53.[29] Gustave Lanctot est peut-être le premier historien à offrir au moins les chiffres (partiels) du dernier recensement de 1765 au Canada, ce qui donne ceci : 69 810 habitants (de jure) dont 8 967 résidents à Québec, 5 733 résidents à Montréal pour un total de la population urbaine de 14 700 résidents, et 10 600 fermes.[30] Mais il s’agit là d’un «dénombrement» et non pas d’un recensement au sens contemporain du terme. Il s’avère  très incomplet par l’absence de nombreuses paroisses due à l’exil d’un certain nombre de prêtres dans la métropole. Il ne donne des chiffres que pour 113 paroisses sur les 124 que compte le Canada (sans la Gaspésie) en mars 1756. Or, depuis, quelques paroisses et missions ont été fondées, sans  parler d’une demi-douzaine dans la Gaspésie, absentes du registre. Régine Hubert-Robert nous offre de son côté les chiffres (partiels) de la population de Louisiane et de la Nouvelle-Orléans qui donne ceci : «13 513 habitants (de jure) divisés par moitié en deux couleurs, 3 190 d’entre eux vivant dans les 468 maisons de La Nouvelle-Orléans».[31] Si l’on se réfère aux sources de première main, l’on se rend compte que la population du Canada avoisine les 90 000 habitants (de facto) et 17 000 habitants pour la Louisiane et plus de 5 000 habitants pour l’Acadie,  Terre-Neuve et…Saint-Pierre et  Miquelon ! Et c’est sans prendre en considération la population de Détroit et les Pays d’en haut, puis Michillimakinac et les Mers de l’Ouest (Les Grands Lacs), qui représentent des dépendances du Canada… Voici ce que déclare Pouchot à ce sujet de fort révélateur : «Voilà toutes les sources de la population actuelle de ce pays immense. Il paraît singulier qu’avec le peu de secours & le peu de soin qu’on s’est donnés pour l’augmenter, cette colonie, qui a été longtemps très faible, encore plus souvent à même de périr de misère par le peu de secours qu’elle retirait de France, soit cependant parvenue à avoir environ 30 mille âmes.(2) C’est une erreur grossière, par un recensement fait vers le milieu du XVIIIe siècle, on voit que la colonie montait alors à 88 mille âmes. Le dernier dénombrement, sous le gouverneur Carlton porte cette population à 153 mille, dont trois mille anglais & protestants qui se sont établis, depuis la paix, en Canada. Ces derniers ont entre leurs mains tout le commerce, et cherchent à se rendre seuls maîtres de l’administration».[32] Lorsque Montcalm attribue au Canada une population de 82 000 âmes en 1758, troupes incluses, il oublie peut-être de considérer des Acadiens réfugiés dans les camps de fortune. Pourtant le même Montcalm est le premier observateur à remarquer que «les Acadiens sont aux nombres de quinze cents, non compris les femmes et les enfants» le 26 février 1757, dans son Journal (p. 162).[33] Or, leur nombre va s’élever à plus de deux mille familles après 1766. Mais les Acadiens, étant exclus par l’article 39[34] de la capitulation de Montréal, ils représentent un groupe de citoyens «illégaux». De toute façon, ils ne jouissent pas de prêtres pour les dénombrer jusque vers 1790 environ, vivant aux confins du Régime seigneurial. Doreil confirme aussi « Et qui en débutant a osé compter presque spécialement sur la récolte d’un pays ou en comprenant les Acadiens réfugiés. L’Augmentation des sauvages, les prisonniers anglais, il y a neuf à dix mille bouches de plus qu’à l’ordinaire à nourrir on ne blâme pas seulement pas ce munitionnaire».[35]

Dernières paroles épistolaires de Montcalm.
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Le 9 septembre 1760, Lévis dénombre pas moins de 927 soldats désertés ou absents du régiment. Les seuls désertés ou disparus s’élèvent à 548 soldats. Il ne lui reste plus que 3 121 soldats et 129 officiers, avec un total de 3 300 hommes. Il faut noter que 712 soldats vont faire souche au Canada et 112 d’entre eux vont entrer en France en 1760 avec femme et enfants.[36] Des 4 000 personnes à quitter la colonie après la Conquête, il faut calculer les 208 fonctionnaires plus 2 200 soldats qui évacuent pendant les 18 mois du Régime militaire, soit entre le 7 octobre 1763 et le 10 août 1764. Mais, il s’agit d’un mythe de parler de la «décapitation» de l’élite coloniale. Les Seigneurs, en majorité, vont rester ou revenir dans la colonie. Même Francis Masères (1731-1824), historien, procureur général et juge, ne voit pas les choses autrement : «La masse des habitants est composée ou de Français originaires de la vieille France ou de Canadiens nés dans la colonie, parlant la langue française seulement et formant une population évaluée à quatre-vingt-dix mille âmes, ou comme les Français l’établissent par leur mémoire, à dix mille chefs de famille (pour les campagnes seulement). Le reste des habitants se compose de natifs de la Grande-Bretagne ou d’Irlande ou des possessions britanniques de l’Amérique du Nord qui atteignent actuellement le chiffre de six cents âmes.»[37] Il n’y avait donc pas de risque d’assimilation à court terme pour les Canadiens et les Acadiens du pays, disposant d’une confortable et redoutable supériorité démographique.  Guy Frégault a la prudence de faire cette remarque judicieuse : «Le caractère nécessairement approximatif des recensements et les fluctuations d’une année à l’autre interdisent de tirer de ces données des conclusions trop rigoureuses».[38] Il est bien le premier à faire remarquer qu’«au moment de la Conquête, la France compte environ vingt millions d’âmes (sic) et l’Amérique du Nord, moins de 100 000 habitants d’origine française ; d’autre part, le Royaume-Uni renferme huit à neuf millions d’âmes et l’Amérique du Nord, près d’un million et quart de Britanniques (sic). Un Français sur deux cents vit en Amérique du Nord, contre un Anglais sur neuf. On conçoit que la société anglaise ait été plus attachée de toutes manières au nouveau continent que la France ne pouvait l’être».

À titre comparatif, Hubert Charbonneau et son équipe de l’Université de Montréal ont dressé le recensement de 1730 à partir des archives de l’époque. Le constat est consternant et pour le moins édifiant. Il arrive à une population de 47 429 habitants tandis que le dénombrement de l’époque nous donnait seulement 34 053 habitants, soit un différentiel de 13 374 personnes, c’est-à-dire, plus de 30 % de gain net! «La descendance totale s’établit alors à 47 429 individus nommément identifiés et tous issus avant 1730 des 3 177 fondateurs et demi-fondateurs étudiés».[39] Il y a lieu de préciser ici que les français qui ont immigré en Canada n’étaient pas «en fuite» de leur pays natal comme les colons anglais, mais venaient vivre dans une province française d’outre-mer. «14 393  français ont immigré au Canada durant le (seul) XVIIe siècle, soit environ trois fois plus que les estimations traditionnelles commentées précédemment».[40] Puisqu’il  y avait dix hommes pour une femme au XVIIe siècle, l’on peut affirmer que l’échec de la politique de colonisation et de peuplement se résume à l’échec de l’immigration féminine. Le Roy Louis XIV n’a pas assumé son rôle de protecteur de sa colonie en n’envoyant pas suffisamment de filles à marier et de filles du Roy. Rappelons que lorsque le Cardinal de Richelieu forme la compagnie des Cents-Associés, avec un capital de 300 000 livres tournois, l’ambition du Roy était alors d’établir 4 000 colons en quinze ans… Il ne va pas sans dire que ce vœu pieux ne fut jamais exhaussé.

Pour conclure sur une note plus joyeuse, rappelons que «vers le milieu du XVIIIe siècle et avec l’arrivée des régiments (sic) de Montcalm, le nombre de ces hivernants sera particulièrement élevé. La plupart de ces hommes sont des Méridionaux qui ont l’habitude de s’amuser en joyeuse compagnie. Songeons aux soldats du Béarn, du Languedoc et du Royal-Roussillon. Les soirées du terroir, telles que nous les concevons aujourd’hui, et au cours desquelles le folklore oral a la place d’honneur, datent véritablement de cette époque. D’ailleurs ces soldats ont marqué notre patrimoine folklorique d’un indéniable apport méridional. Que de complaintes et de chants sont alors passées des contrées ensoleillées du Midi aux rives enneigées du Saint Laurent».[41] Cette proximité durant le casernement des troupes de terre dans les campagnes n’allait pas sans conséquence sur l’augmentation des enfants naturels, les bâtards, comme on disait à l’époque. «Au XVIIIe siècle, il y avait bon nombre de bâtards au Canada. On en compte 390 en 1736. Comme le fait remarquer Salone, «le chiffre est fort» (…) Quoi qu’il en soit, il est intéressant de noter que le départ des soldats et des fonctionnaires français coïncide avec une diminution notable du nombre des bâtards : de 1761 à 1770, le chiffre tombera de 415 à 254. À notre avis, il faut y voir plus qu’une coïncidence (…)».[42] Nous nous excusons pour le caractère fragmentaire des sources dévoilées, mais nous justifions notre démarche imparfaite par la réflexion suivante de Marrou : « Nous touchons ici à l’essence même de la connaissance historique (…) elle repose sur un acte de foi : nous connaissons du passé ce que nous croyons vrai de ce que nous avons compris de ce que les documents en ont conservé».[43] Plus loin, il précise sa réflexion : «(…) l’histoire est vraie dans la mesure ou l’historien a des raisons valables d’accorder sa confiance à ce qu’il a compris des documents»..[44] Évidemment, la population du Canada nous apparaît objectivement faible en regard de celle des treize colonies américaines, mais le pays est isolé pendant presque six mois par année, soit de  25 novembre au 15 mai de chaque année.

Il ne faut pas comparer la population du Canada avec celle de 1 593 625 habitants des colonies américaines qui sont situées sur le littoral atlantique, mais avec chacune d’entre elles. Par exemple, le Canada est mieux peuplé que le New Hampshire qui fait 39 693 habitants, ou le Rhodes Island, avec 45 471 habitants, le Delaware qui donne seulement 33 250 habitants, ou la Georgia, avec 9 578 habitants. Le Canada est presque de même taille que le New Jersey, avec 93 813 habitants ou la South Carolina, avec 94 0000 habitants. Mais sa population est nettement endémique si nous la comparons avec le Old Dominion de la Virginia, qui s’élève à 339 726 habitants, ou même le Massachusetts dont la population s’établit à 222 600 habitants ou le Maryland, dont la population monte à 162 267 habitants, et encore avec la Pennsylvanie, qui fait environ 183 703 habitants. Le legs de la France est encore plus important que le nombre de ses habitants, si l’on songe, par exemple, qu’il y avait au même moment près de 200 000 Huguenots français dans les colonies américaines… La valeur d’une société ne se mesure pas seulement avec des chiffres, mais avec des Faits et des personnes ! Le Canada en 1760 est une pépinière humaine. Voilà sa vraie, sa plus grande richesse.

[ Suite et fin avec la troisième partie : «Claude Jutra : Le choc des Langues» en principe, en novembre prochain, vers la Saint-Martin. ]

Le célèbre (et pour d’aucuns, controversé)
« Vive le Québec libre » de Charles de Gaulle.

 

Notes Bibliographiques

[1] Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, 1734, XVIII

[2] Michel Brunet. Les Canadiens après la Conquête : 1759-1775. De la Révolution Canadienne à la Révolution Américaine, Ottawa, Fides, 9 mai 1969, p. 13.

[3] Cicéron fut le premier à appliquer le mot cultura à l’être humain, in Tusculanes, II, p. 13.

[4] François Mauriac, cité par André Gillois, Le mensonge historique, Paris, Éditions Robert Laffont, février 1990, p. 63. Provient  de la lettre  du 9 septembre 1944, «La Nation  Française a une âme» reproduit dans la République du Silence, Harcourt, Brace and Company, New York, 1946, pp. 448-460.

[5] Ellen Key (1849-1926) Revue Verdandi, 1891, p. 97. (article intitulé :«on tue l’esprit dans les écoles». Cette citation nous a été transmise par Edouard Herriot, Jadis-Avant la première guerre mondiale, Flammarion, 1948, p. 104.

[6] Michel Brunet. Québec/Canada Anglais : Deux itinéraires, un affrontement, Montréal, Éditions HMH Ltée, 20 mars 1968, p. 211. Je l’avais précédemment cité à l’occasion d’une entrevue que m’a accordé le grand cinéaste Denys Arcand le 20 janvier 2011 à la Maison de la Réalisation, pour la revue Séquences, Montréal, no 271, mars-avril 2011, p. 13, rubrique Entrevues/Panoramique.

[7] «Pauline Marois a des lettres, c’est sûr ! Mais ses lectures ne sont pas très fraîches. Le concept de «petit peuple» qu’elle a brandi à l’Assemblée nationale était un des concepts préférés de Lionel Groulx, le père du nationalisme canadien-français, décédé il y a pas loin d’un demi-siècle». Lettre – À propos du «petit peuple», Christian Louville, Québec, in Le Devoir, Montréal, le 18 octobre 2010. «Selon une étude québécoise, il y a près de 33 millions de locuteurs français de langue maternelle ou d’usage dans les Amériques» MQF, 8 mars 2019.

[8] Le Vatican et la Rome chrétienne, città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticane, 1 janvier 1974, p. 10.

[9] Ces îles sont comme de petits continents de l’Amérique en abrégé avec Miquelon et Langlade.

[10] Michel Brunet. Les Canadiens après la conquête, Op. cit., p. 170.

[11] Ibidem, p. 44.

[12] Gaston Bachelard. La formation de l’esprit scientifique : contribution à une psychoanalyse de la connaissance objective, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 14e édition, 1989, p. 15.

[13] Pierre Sorlin. Sociologie du cinéma : Ouverture pour l’histoire de demain, Paris, Éditions Aubier Montaigne, 28 juillet 1977, p. 132. Collection dirigée par Paul Lemerle et Maurice Augthen.

[14] Ce film indémodable est sorti à Paris (France) le 16 avril 1997. J’ai eu la chance de rencontrer Jacques Godbout pour le féliciter d’avoir «cassé la glace» pour moi…

[15] Jaques-Donat Casanova. Une Amérique Française, coédition  de la Documentation Française et de l’Éditeur officiel du Québec, 1975, pp. 86-87.

[16] Le siège de Québec en 1759 : par trois témoins. Textes présentés par Jean-Claude Hébert. Québec, Ministère des Affaires Culturelles, 1972, série Royale, p. 68. Siège de Québec en 1759, copie d’après manuscrit apporté de Londres, par l’honorable P.B. Viger, lors de son retour au Canada, En septembre 1834-1835. Copie d’un manuscrit déposé à la Bibliothèque de Harthwell en Angleterre. Québec, des Presses Fréchette, 1836.

[17] Edmond Falgarolle, avocat de  cour d’Appel de Paris, membre de la Société Française d’Archéologie. Montcalm devant la postérité, Paris, Challamel aîné, Éditeur, Librairie Algérienne, coloniale et maritime, 14 janvier 1886, p. 191.

[18] Thomas Arthur Lally, baron de Tollendal, comte de Lally, né le 13  janvier 1702 à Romains, décès le 9 mai 1766 à 64 ans.

[19] Le cuisinier français enseignant la manière de bien apprester & asssaisoner toutes sortes de viandes, grasses et maigres, legumes, patisseries en perfection., & c. Revu, corrigé & augmenté d’un traité de confitures seiches & liquides, & autres delicatesses de bouche. Ensemble d’une table alphabétique des matières qui sont traitées dans tout le livre, 1651. Pierre-François de la Varenne (1618, Dijon-1678, Dijon). Publié à plus de 250 000 exemplaires avec environ 250 éditions, imprimé en France jusqu’en 1815 ! C’est  le premier ouvrage français de cuisine à avoir été traduit en anglais. Environ deux ou trois autres ouvrages de cuisine seront édités avant la fin du Régime français.

[20] Michel Brunet. Les Canadiens après la Conquête, Op. cit., p. 72.

[21] Michel Crozier,  Erhard Friedberg. L’acteur et le système : Les contraintes de l’action collective, Paris, Éditions du Seuil, Points politique, 1977, p. 95. Chapitre III : «Le jeu comme instrument de l’action organisée».

[22] Dictionnaire canadien des noms propres, Montréal, Larousse, Canada, 1989, p. 493.

[23] «La transition démographique de la province de Québec» in Hubert Charbonneau, La population du Québec : étude rétrospectives, Trois-Rivières, les Éditions du Boréal Express, 1973, p. 23.

[24] «Découvrir l’Histoire de la Nation Québécoise», in Vues du Québec : un guide culturel, sous la direction d’Aurélie Boivin, Chantale Gingras et Steeve Laflamme, Québec, Les publications Québec français, 2008, p. 11.

[25] La Grande Aventure de la Langue Française : de Charlemagne au Cirque du Soleil, Montréal, Éditions Québec Amérique inc., 2007, p. 134. Traduit de l’anglais (Canada) par Michel Saint-Germain, préface : Henriette Wolfe (538 pages).

[26] François Xavier Garneau. Histoire du Canada, Paris, Librairie Félix Alcan, décembre 1912, p. XLIX, voir note 1.

[27] Christopher Tardieu. La dette de Louis XV : Le Québec, la France et De Gaulle, Paris, Les Éditions du Cerf, 2017, p. 34.

[28] Ibidem., p. 215.

[29] Éditions de Trois-Pistoles, mars 2015, 70 pages.

[30] Gustave Lanctot. Histoire du Canada : Du  traité d’Utrecht au traité de Paris : 1713-1763, Montréal, Librairie Beauchemin Ltée, 12  mai 1966, pp, 342-345.

[31] Régine Hubert-Robert, L’Histoire Merveilleuse de la Louisiane Française : Chronique de XVIIe et XVIIIe siècle et de la cession aux États-Unis, New York, Éditions de la Maison Française, inc. 1941, p. 307. À noter que nous sommes très éloigné, ici, du chiffre de «4 000 habitants»(sic) pour toute la Louisiane, avancé par l’éminent historien Marcel Trudel dans son Initiation à la Nouvelle-France : histoire et institutions, Montréal, Toronto, Holt, Rinehart et Winston, Limitée, 1968, p. 92.

[32] M. Pouchot, Chevalier de l’Ordre Royal & militaire de Saint-Louis, ancien capitaine au Régiment de Béarn, commandant des forts Niagara & de Lévis en Canada.  Mémoire sur la dernière Guerre de l’Amérique Septentrionale, entre la France et l’Angleterre. Suivis d’observations dont plusieurs sont relatives au théâtre actuel de la guerre, & de nouveau détail sur les mœurs & les usages des Sauvages (sic), avec des cartes topographiques, tome second, Yverdon, 1781 (M .DCC .LXXXI), pp. 292-293.

[33] Journal du Marquis de Montcalm Durant ses campagnes en Canada de 1756 à 1759, publié sous la direction de l’abbé  H.R. Casgrain, professeur à l’Université Laval, etc. Québec, Imprimerie de L.J. Demers & frères, 1895, p. 162.

[34] Michel Allard et al., L’Histoire canadienne à travers le document : La Nouvelle-France : 1713-1760, Montréal, Guérin, tome 2, p. 53.

[35] Les lettres de Doreil, RAPQ pour 1945-1946, Québec, 1946, p. 114.

[36] Journal des campagnes du Chevalier de Lévis en Canada de 1756 à 1760,  Montréal, C.O. Beauchemin & fils, Libraire-Imprimeur, 1889, p. 314.

[37] Michel Allard et al. Les deux  Canada : 1760-1810, Montréal, Guérin, 1978, p. 46.

[38]  Guy Frégault. Le XVIIIe siècle canadien, Op. cit., p. 384.

[39] Hubert Charbonneau et al., Naissance d’une population : Les Français établis  au XVIIe siècle, Montréal, Institut National d’Études Démographiques, PUM, PUF, juin 1987, p 11.

[40] Ibidem., p. 111. Soit, 5 396 militaires, 2 600 engagés, 1772 femmes, 4 625 autres et indéterminés.

[41] Robert-Lionel Séguin. La civilisation traditionnelle de l’«Habitant» aux XVIIe et XVIIIe siècles : Fonds matériel, Montréal et Paris, Fides, 18 décembre 1967, p. 58. Collection : Fleur de Lys : Études historiques canadiennes. Il faudrait aussi ajouter le bataillon de Guyenne. Mais il ne s’agit là que de bataillons et non pas de Régiments comme l’affirme l’auteur.

[42] Guy Frégault. La civilisation de la Nouvelle-France : 1713-1744, Montréal, Fides, Collection du Nénuphar: les meilleurs auteurs canadiens, 1 décembre  1969, note 10, p. 135. Collection publiée sous la direction de Luc Lacourcière, professeur à l’Université Laval, volume 33.

[43] Henri-Irénée Marrou. De la Connaissance historique, Paris, Éditions du Seuil, 1954, réédité dans la collection Points Histoire, 1975, p. 128.

[44] Ibidem., p .224.