Le crépuscule des cinémas :
Une enquête photographique

RECENSION.
[ Cinéma ]

texte
Pierre Pageau

Des lieux de

bonheurs disparus

Voilà un bien bel ouvrage, qui fait cependant office de mausolée. Une sépulture de luxe : 300 pages, grand format, avec photos en couleurs et papier glacé.  Cela peut aussi être très glaçant.  Le mot « Crépuscule », dans le titre, se réfère à ce qui décline, ce qui est proche de disparaître, comme dans l’expression le «  Crépuscule de la vie ». Bref, on pouvait craindre que cet ouvrage ne s’intéresse qu’aux salles de cinéma qui sont disparues ou sur le point de l’être. Un autre ouvrage récent, Movie Theaters (édition Prestel), des auteurs Yves Marchand et Romain Meffre fait cela. L’an dernier le Cinés Méditerranée (de Stephan Zaubitzer) mettait l’accent principalement sur de belles salles de cinéma du passé; Zaubitzer se concentrait sur le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, l’Égypte et le Liban. Avec le livre récent, Simon Edelstein fait œuvre notariée; il compile ce qui s’est déjà réalisé. Et, dans le cas de nos salles de cinéma, ce qui a disparu ou est en train de disparaître.  Comme par exemple : pour les projecteurs (et le métier de projectionniste); comme pour le métier de guichetier (ou caissier) et le système de billet qui l’accompagnait; comme pour les sièges et le décor en général; comme pour les immenses néons pour illuminer les devantures de salles.  Il s’agit ici d’autant de sujets qui constituent à l’intérieur de l’ouvrage l’équivalent de chapitres.

Pour donner un peu de variété dans cette démarche, l’auteur nous propose de petits chapitres avec chacun son sujet particulier. Il en est ainsi pour le travail du Français Guy Brunet (de Viviez) qui, obsédé par l’âge d’or du cinéma hollywoodien, dessine l’équivalent d’affiches de l’époque. Il recrée un univers que l’on peut croire complètement disparu. Il y a aussi une section consacrée à la super grande vedette du cinéma indien, Raj Kumar; en fait les photographies se consacrent aux cérémonies entourant son décès en 2016. On peut alors constater combien il y a ici une sorte de survie symbolique de la star comme icône, une sorte de Dieu (comme dans le cas de Rudolph Valentino du cinéma muet). Il s’agit de formes de religion qui se perpétuent.Suite

René-Lévesque.
Quelque chose comme un grand homme

RECENSION.
[ Bande DESSINÉE ]

★★★ ½

texte
Luc Chaput

Le dessein d’un homme

Un journaliste devient homme politique, chef d’un parti porteur d’un grand projet de changement de société. Il connaît des réussites et des échecs. Cela pourrait être un long métrage biographique comme nous, cinéphiles, en avons souvent regardé. Ce livre est un survol similaire en treize chapitres de bandes dessinées, œuvres de treize illustrateurs différents. Le scénario de l’éditeur, professeur et auteur Marc Tessier s’appuie sur une bibliographie conséquente et vise à faire lire et donc entendre pour certains les paroles de René Lévesque.  Les épisodes choisis vont de l’horreur (Dachau) au drame collectif ou personnel. Une grande place à plusieurs reprises est donnée aux collaborateurs et amis que ce soit pour l’émission Point de mire que dans la bataille pour la nationalisation de l’hydro-électricité. La chronique de ce fait d’armes, avec ses tractations et ses longues discussions, prend près de 50 pages et donc pas loin du cinquième du livre. Elle en constitue le noyau majeur.Suite

Élégie pour la transgression

RECENSION.
[ Idées ]

★★★ ½

texte
Élie Castiel

   Effectivement, la transgression ou l’art de pécher convenablement ou son contraire. Jadis, elle appartenait à certains happy-few, à quelques tenants d’un discours libre et audacieux sur la politique, le social et, bien entendu, incontournablement, à la sexualité dans tous ses débordements. Mais avec une approche raisonnée, intellectuelle. Double contrainte pour les pécheurs (ce que l’auteur Français Michel Arouimi – voir Google – appelle dans plusieurs de ses écrits, le double bind) : défier l’ordre établi, une notion plutôt de gauche et bien encore, éviter le vulgaire et le surdimensionné (ce n’est pas un jeu de mots). Bien que…

Deux approches s’imposent à la lecture de cet intéressant essai : tout d’abord le texte de Laura Kipnis, paru en anglais, « Transgression: An Elegy » dans la revue Liberties – A Journal of Culture and Politics, v. 1, nº 1, 2020. Belle tribune pour Kipnis puisqu’elle fait partie des collaborateurs de ce tout premier numéro. Mince détail? Pas vraiment : les auteurs de toutes nouvelles publications deviennent, par défaut, les défenseurs de la teneur idéologique du périodique. À prendre ou à laisser.

La transgression

n’est plus

ce qu’elle était

Kipnis défend ses idées et le fait avec panache. Face à un texte de seulement soixante-dix pages, nous nous sommes permis de le relire avec, comme point saillant le constat que l’auteure (je n’aime pas le terme autrice – On dit bien docteure et non pas doctrice, alors pourquoi pas. Cessons de perdre notre temps avec des technicalités sans importance, du moins en ce qui nous concerne) fait de ce mouvement intellectuel : la transgression est devenue (malheureusement ?) une activité démocratique. À tel point, que des victimes ont vu le jour, devenant elles-mêmes, parfois, des pourfendeurs de ceux qui bousculent l’ordre établi. La droite contre la gauche, mais à échelle de masse. Plutôt inquiétant.

Sur ce point, Kipnis dira « … Voilà la question de notre époque : qui peut jouer le rôle du transgresseur et qui tient celui de la victime ? Quand les transgressions – dans l’art, dans la vie, aux frontières – en viennent à reproduire les mêmes thèmes rebattus et à configurer le partage du pouvoir de la manière attendue, que reste-t-il encore d’expérimental là-dedans ? » (p. 68)Suite

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