Christophe Honoré, les corps libérés

RECENSION
[ Essai / Cinéma ]

un texte de
    Élie Castiel

★★★★

Les corps dont il est question dans ce brillant essai sur la trajectoire de Christophe Honoré se présentent en fait comme des entités physiques et intérieures, celles de l’âme, des émotions et des sens. En quelque sorte, des théories valides, compatibles avec l’œuvre du cinéaste avec qui  Mathieu Champalaune partage le goût pour le cinéma et la littérature.

Mathieu Champalaune [@ hashtag-info.fr.]

Les sens comme

refuges identitaires

On constate que le corpus artistique d’Honoré débute en 1996 avec la parution du livre-jeunesse Tout contre Léo, et ce n’est qu’en 2000 qu’il signe son premier court sujet, Nous deux., un opus cinématographique se prolongeant jusqu’à son récent long métrage Chambre 212 (voir critique ici.) La suite, un rendez-vous apprivoisé avec différentes formes de la représentation. Pour je ne sais quelle raison, Champalaune a souvent recours au roman Le livre pour enfants (2005), comme si dans son ADN littéral, se cachait les multiples aspérités qui ont forgé d’Honoré. L’auteur y va de ses théories en les justifiant par des exemples édifiants. Lorsqu’il cite Benoît Jacquot évoquant  la notion de « perte » dans les films du cinéaste, Champalaune ajoute que dans Le Livre pour enfants, Honoré ressent la douleur de ne pas être pris au sérieux « … pas assez comme écrivain pour qu’on prenne la peine de lire mes livres, certainement pas cinéaste puisqu’on interroge devant moi un autre, un cinéaste certifié, afin de déterminer si je suis apte à mener ce genre de projet. » (p. 41). Quel projet? Qu’importe.

L’œuvre d’Honoré est faite de constantes interrogations et encore une fois Le livre pour enfants est la pierre angulaire à partir de laquelle elles s’ouvrent, souffrant parfois de plaies, mais toujours cicatrisables. L’une d’elle, le récit sur l’homosexualité, là où Champalaune préfère prendre ses distances en l’abordant subtilement, avec une rare élégance certes; et dans un sens, au diapason des œuvres cinématographiques d’Honoré. Car dans le cinéma de Christophe Honoré, le vécu homosexuel n’est pas exprimé dans un monde à part, mais à l’intérieur de la famille, des amis, de l’hétéronormativité, non pas au sens péjoratif, mais comme choix social et pourquoi, condition inné. Le cinéaste prendra la décision d’avoir un enfant, ouvrant la porte aux nombreux débats privés sur la question.

L’orientation sexuelle, par la force des choses, par le contenu des scénarios, ne se discute pas, elle se vit. D’où ces corps libérés de toute contrainte sociale ou politique (notion à peine esquissée par Champalaune… ) même si des souvenirs, des paris risqués avec l’enfance, des images de famille parfois survoltées prouvent tout le contraire. Et là encore, toujours succinctement.

Ce qui fascine Champalaune, journaliste et critique de cinéma, de littérature et de théâtre, c’est surtout et avant tout, les lieux du corps, leurs correspondances, à soi-même et aux autres. Il parle essentiellement de cinéma. Un cinéma fait de mythes fondateurs, de rapports aux êtres et aux choses, aux formes artistiques, ne prenant aucune distance avec les expression connexes  que sont la littérature, le théâtre et l’opéra.

Somme toute, Christophe Honoré, les corps libérés est un cheminement savamment intellectuel, presque mystique et qui, par le biais de ses multiples figures d’expression, propose des discours subliminaux sur l’art, une façon comme une autre d’épreindre l’existence.

Mathieu Champalaune
Christophe Honoré, les corps libérés
Paris : Playlist Society, 2020

136 pages
[Sans ill. ]
ISBN : 979-10-96098-36-1
26.95 $

ÉTOILES FILANTES
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★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]