Etienne Desrosiers
ENTRETIEN
L’architecture comme rapport identitaire
Quelques courts sujets et puis Roger D’Astous en 2016, premier long métrage documentaire. Avec son second, Luc Durand Leaving Delhi, Etienne Desrosiers confirme son intérêt pour l’architecture « made in Québec en brossant le portrait d’une autre figure artistique d’ici; dans un sens, une façon comme une autre de s’approprier une partie du parcours identitaire québécois.
Élie Castiel
De plus en plus, je constate que les réalisateurs et réalisatrices québécois(es), autant dans le domaine de la fiction que celui du documentaire, sans oublier les productions destinées à la télévision, consciemment ou inconsciemment, se réapproprient avec élan et maturité leur identité nationale. Il y a eu en 2016 Roger D’Astous, et puis aujourd’hui, Luc Durand. Est-ce que vous situez vos deux films dans cet esprit de revendication identitaire?
Question complexe, mais je crois que c’est le rôle du documentaire de pointer les personnages significatifs de la collectivité. Pour ma part, de mettre de l’avant, comme dans le cas d’Astous, cet autre grand architecte québécois qui était quasiment oublié, de faire découvrir son odyssée internationale, c’était ça mon objectif. Faut-il pour cela, politiser l’interprétation du film; je laisse à la critique le soin de le faire. En ce qui me concerne, en tant que documentariste, j’essaie de proposer des pistes à cette fameuse collectivité. Et des personnalités comme D’Astous et Durand sont des repères identitaires qui apportent des richesses dans la façon dont on vit les structures qu’ils ont réalisées. Ce sont des personnages de film, également de fiction et même de roman. On parle d’ouverture sur le monde dans la société actuelle, mais faut-il rappeler que dans le cas de Durand, par exemple, il a réalisé plein de projets en Inde et dans d’autres pays. Des réalisations qui ont influencé de façon significative ses travaux ici. En essayant de tirer le centre-ville vers l’Est francophone, il y a là un agenda politique évident, mais aussi dilué un peu par les intérêts des promoteurs.
Il y a bien entendu, des parallèles avec D’Astous Durand; ils partagent la même discipline artistique; dans le cas de Durand, cependant, il est parti en Inde en 1951, alors que ça ne faisait pas si longtemps que ce pays avait obtenu son indépendance. Cette particularité vous a sans doute marqué.
Bien entendu, il y a là un rapport à un Canada français qui cherche encore son identité pour devenir plus tard « Québec ». Effectivement, j’ai pensé à ça. C’est certain qu’il y a entre l’Inde et le Québec une nation historiquement en marge – même si je n’aime pas cette expression – Deux pays colonisés. Très tôt, Nehru, devenu le premier Premier ministre de l’Inde, tente par tous les moyens de moderniser le pays, d’où son appel à un architecte comme Durand, issu d’un territoire qui cherche encore son identité nationale. Il y a, dans le film, si on observe les non-dits, un jeu de miroir qui s’établit entre les réalisations architecturales et la pensée politique de Durand.
Et pour l’usage des drones – Comment l’expliquez-vous?
Ça me semblait pertinent d’avoir recours à plusieurs drones parce que je voulais montrer le côté aérien des structures de l’artiste. Une façon aussi de situer globalement le lieu dans la cité. Ce sont là des effets de mise en scène. Luc Durand est un personnage plus grand nature, et c’est dans cet esprit que ce rapport formel se juxtapose avec la narration.
Vous évitez les têtes parlantes au profit de documents d’archives et de plans des réalisations de Durand, comme s’il existait une série de champs/contrechamps ou parallélismes, sans doute. Le documentaire sacrifie donc sa voie classique au profit de quelque chose de beaucoup plus inventif.
C’était mon but. Vous l’avez bien saisi.
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