Hygiène sociale

P R I M E U R
Sortie
Vendredi 14 mai 2021

SUCCINCTEMENT
Philosophe, séducteur, un tant soit peu délinquant, Antonin tourne autour de cinq femmes au tempérament différent.

CRITIQUE.

texte
Élie Castiel

★★★★

Denis Côté, toujours fidèle à lui-même, persiste et signe, pour reprendre une formule habituelle, à reproduire un cinéma instinctivement lucide, un brin provocateur,  fruit d’une imagination sans bornes, intellectuellement obsédante à propos des images en mouvement, et qui le situe dans un registre à part. Ce qui pourrait également expliquer le titre du film, à la fois moqueur et se prenant au sérieux. Une façon comme une autre de jongler avec le médium qu’on professe et la réalité.

Cinéaste-auteur puisque son opus filmique, nonobstant la quantité de films qu’il produit, demeure non seulement cohérente, en harmonie avec ses principes, mais au-delà de ses considérations d’ordre esthétique, domine une morale idéologique, un rapport qu’il entretient entre la caméra, le plan, source de toute émotion, et tout bonnement, avec ce refus catégorique de l’émotif gratuit, comme on l’entend majoritairement.

L’affect, chez Côté, c’est la magnitude du plan, la conception physique d’un cadre à l’intérieur duquel des personnages semblent, souvent ici issus des certains films de cinéastes qui ont marqué son imaginaire. On peut bien entendu penser au légendaire couple Straub/Huillet, par leur froideur sensorielle et immaculée, sensuelle, magique; et plus loin encore, ces hommes et femmes dans quelques films de Rohmer où le jeu de l’amour et du hasard ou mieux dit « le verbe » a ses raisons; tel un Mouret de nos jours, se prenant ludiquement au sérieux, comme si les rapports amoureux étaient une question de vie ou de mort. Un rapport à l’existence-même.

Les amours imaginaires

La première s’appelle Solveig – j’oserais la facilité du rapport avec la regrettée flamme de Wim Wenders, clin d’œil ou pas? – mais c’est sans doute pour donner un ton anachronique à sa « chronique amoureuse » que le cinéaste attribue aussi à ses quatre autres personnages féminins des prénoms d’une autre époque – Cassiopée, Églantine, Rose, la fonctionnaire habillée en rose, ou encore Aurore, la plus jeune, de notre époque, à l’allure et au visage androgyne, alors que notre temps conteste sans cesse le genre.  Des prénoms de femmes, certes nobles, mais qui ne résonnent plus dans nos oreilles contemporaines, évocateurs néanmoins de l’amour courtois, comme à une époque.

Un seul qui se croit éperdument amoureux de l’une ou de l’autre, selon les circonstances, Antonin, arborant son nom de chevalier avec un lyrisme particulier dans sa prose théâtrale, particularité que Côté exploite dans un tournage à format-pandémique, rapide, évitant la surenchère, dont un film d’un peu plus de 70 minutes, prenant méticuleusement ses distances physiques.

Mais ce qu’on observe, à voir de près, c’est que dans ce cas-ci, la pandémie se met au service du cinéma, et non pas le contraire. Pour Côté, dans un sens, c’est exploiter d’autres lieux de tournage, de se les approprier.

Distanciation oblige, le plan est éloigné, l’image légèrement flou du côté gauche, vers le bas. Le tournage se fait vite, à peine quelques jours, et pas assez de temps pour des ajustements. Une urgence, non pas, mais une nette conviction de filmer dans toutes les situations possibles.

Comme un chant d’amour et de rupture bucolique.

Sauf dans ces moments de transition magnifiques, lumineux, d’une remarquable majestuosité où la grandeur de la nature (forêt) se révèle. Et puis Aurore, ce cinquième personnage féminin, seul contemporain, qui est filmée en gros plan, signe revendicateur, rebelle, qui ose se manifester malgré tout. Elle sera aussi la dernière (im)possible conquête d’Antonin. Belle trouvaille stratégique pour un film qui défie constamment la temporalité.

Peut-on parler du film de Denis Côté en évitant les commentaires pseudo-intellectuels d’usage? Écrire de sorte à se rapprocher d’un public qui, à la longue, pourrait adhérer à son univers particulier? Tout est possible, mais je crois essentiel pour que finalement le cinéma que pratique Denis Côté et nombreux de ses acolytes-auteurs puisse entrer dans une ère de normativité, c’est d’y croire.

Berlin a pris en charge Denis Côté. Avec le temps, il y a d’autres pays européens que le cinéaste affectionne. Demeuré québécois avec une conviction sans pareille, il s’est magnifiquement ajusté à l’œil et à la vision d’ailleurs, faisant de lui un faiseur d’images international. Si on l’a suivi depuis ses débuts, cette particularité ne peut que nous toucher davantage; Denis Côté ou le triomphe de la morale du plan, et par défaut, de la conquête de soi.

Qui est vraiment ce Don Giovanni des temps modernes, Antonin/Gaudette ou Côté/cinéaste ? Se filmer sans doute avec la physicalité d’un autre, emprunter un détour qui facilite toujours ce genre d’exercice. Mais au fond, demeurer fidèle à une idée des images en mouvement qui constitue, après tout, le corpus intime et partagé d’une vie.

Berlin a pris en charge Denis Côté. Avec le temps, il y a d’autres pays européens que le cinéaste affectionne. Demeuré québécois avec une conviction sans pareille, il s’est magnifiquement ajusté à l’œil et à la vision d’ailleurs, faisant de lui un faiseur d’images international. Si on l’a suivi depuis ses débuts, cette particularité ne peut que nous toucher davantage; Denis Côté ou le triomphe de la morale du plan, et par défaut, de la conquête de soi.

Mais cette bataille entre « l’homme » et  « les femmes », n’est que l’éternelle lutte pour sortir du néant de la solitude. Côté en est conscient, et c’est avec une rigueur remarquable, un sens inné de la litote cinématographique qu’il en devient garant. Même si au fond il s’amuse comme un fou dans ce « chant d’amour et de rupture bucolique » où, comme lieu de musique, les sons de la nature exercent non seulement leur droit de cité, mais procurent un ravissement diaphane pour l’esprit.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Denis Côté

Scénario
Denis Côté

Photo
François Messier-Rheault

Denis Côté. Virtuellement-Berlin.

Montage
Nicolas Roy

Genre(s)
Essai de fiction

Origine(s)
Canada [Québec]

Année : 2021 – Durée : 1 h 16 min

Langue(s)
V.o. : français / s.-t.a.

Social Hygiene

Dist. [ Contact ] @
Inspiratrice & Commandant

Classement (suggéré)
Tous publics

En salle(s) @
Cinéma du Musée
Cinémathèque québécoise
[ dès le 24 mai ]

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]