Le prix de la victoire

P R I M E U R
Sortie
Vendredi 14 mai 2021

SUCCINCTEMENT
Profitant d’une trêve lors de la guerre entre le Liban et Israël, Marwan se rend dans un village du sud pour aller chercher son père. Il constate que la maison familiale a été détruite.

CRITIQUE.

texte
Élie Castiel

★★★★

D’amères illusions

Le Libanais Ahmed Ghossein, artiste multifonctionnel, signe un premier long métrage de fiction percutant, minimaliste dans sa conception, touchant à un thème incontournable à l’intérieur d’une cinématographie libanaise plutôt restreinte, expliquant du même coup, dans ce cas-ci, la coproduction avec la France.

Ce qui n’enlève en rien le caractère intrinsèquement vernaculaire du film : rapport entre les personnages, collectivité en opposition à individualisme, notamment quand on fait face à la possibilité de la mort, refus de voir de près et de face les forces israéliennes – seules quelques paroles à peine compréhensibles se laissent entendre.

Mais chez Ghossein, une autre négation, celle du graphisme authentique, optant pour une prise en charge de l’image indicible, sauf dans quelques passages, bien contrôlés (mort de la vache, celle de l’un du groupe, à peine évoquées). La direction photo de Shadi Chaaban se plie à ces exigences de mise en scène avec un sens du devoir, comme si enregistrer le moment était un acte de foi.

La mise en fonctionnement d’une fiction en mode de huis clos.

La guerre du Liban en 2006. Les Israéliens, le Hezbollah, l’Iran, des camps incontournablement ennemis pour l’éternité si la tendance se maintient. Dans ce combat sans merci, ni les bons, ni les méchants, ni les ennemis, ni les autres. C’est ce que semble dire un Ahmad Ghossein impuissant devant la tragédie. Cet accablement, mêlé d’angoisse, de peur, de souffrance mentale et de peur de la finitude est vécu parmi les six personnages qui se cachent au premier étage d’un maison abandonnée et quasi détruite par la guerre. Le deuxième est occupé par des soldats israéliens qui, si l’on devine bien, semblent eux aussi perdus.

Ne pas se laisser abattre par les fantômes de l’affolement, user de ses forces de survie, tenter de fuir les lieux. D’où la mise en fonctionnement d’une fiction en mode de huis clos. L’enfermement se déploie dans un environnement large, bien espacé, certes, mais où les voies sont dangereuses si on tente de se déplacer.

Ces moments de panique donnent lieu à un jeu des interprètes sur qui nous sentons les affres psychologiques de la lutte entre la vie et la mort. Dans une séquence magistrale, après des heures (ou des jours) sans boire, tous profitent de l’éclatement d’un tuyeau intérieur qui verse de l’eau sur le mur. Pour Ghossein, fort probablement, il s’agit d’une victoire, si petite qu’elle soit, d’une mince lueur d’espoir face à l’indicible qu’on ne comprend pas. Mais au-delà de ces caractéristiques du domaine de l’esthétique visuelle, il y a un discours sur la guerre, quel que soit l’idéologie politique qu’on adopte.

Les conflits armés ne sont-ils pas après tout les décisions d’un petit groupe d’hommes (et parfois de femmes) politiques qui, en voulant défendre les territoires en question, oublient les fondements perceptibles de la négociation.

En toute fin de compte, c’est un bilan désespéré que nous présente Ahmad Ghossein, sensible à la souffrance humaine et dont ce film représente un cri venant directement du cœur.

Conflit politique ? Conflit religieux ? Impossible de répondre à ces interrogations.

Le Moyen-Orient est une poudrière prête à éclater à tout moment. Un lieu de tous les extrêmes, des pôles divergents, en période de conflit, suffoquant dans les méandres de l’horreur dans toute sa dimension humaine.

Quelques courtes séquences nous font oublier le supplice de l’enferment. Celles où Rana (très convaincante Flavia Juska Bechara) cherche à obtenir le passeport de Marwan, son mari (excellent Kharam Ghossein), un des enfermés et ne pouvant répondre au cellulaire, hors circuit. Ce même Marwan fera le rêve de lorsqu’il était enfant, donnant lieu à une scène magnifique, filmée la nuit, où lyrisme et poésie imagée s’assemblent, d’un côté les yeux ébahis d’un jeune adolescent, de l’autre des éclats de bombes venant de loin, qui ressemblent à des feux d’artifice.

En toute fin de compte, c’est un bilan désespéré que nous présente Ahmad Ghossein, sensible à la souffrance humaine et dont ce film représente un cri venant directement du cœur.

 

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Ahmad Ghossein

Scénario
Ahmad Ghossein

Photo
Shadi Chaaban

Montage
Yannis Halkiadakis

Musique
Khyam Allami

Genre(s)
Drame

Origine(s)
Liban
France

Année : 2019 – Durée 1 h 33 min

Langue(s)
V.o. : arabe, hébreu / s.-t.f. ; s.-t.a.

All This Victory
Jeedar El Sot

Dist. [ Contact ] @
A-Z Films

Classement
Tous publics
[ Déconseillé aux jeunes enfants ]

En salle(s) @
Cinéma Beaubien
Cinéma du Parc
Cineplex

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]