Vidéocaméléon

 RECENSION.
[ Vidéo ]

★★★

texte
Pierre Pageau

Pour décrire la situation de la vidéo d’art au Québec, Jean Gagnon pose un regard à la fois historique et stylistique. Le sous-titre, « Chroniques de l’art vidéo au Québec, de Vidéo Véhicule à Prim Vidéo, 1972-1992 » énonce bien l’aspect historique. Et, comme ce titre l’indique, ce regard rétrospectif se concentre sur deux événements majeurs dans l’histoire de la vidéo d’art au Québec : le premier étant l’incorporation de Véhicule Art, le 24 août 1972. En deuxième temps, celui de la création de PRIM, qui s’installe sur la rue Ontario en janvier 1982 (avec Jean Tourangeau comme premier Directeur général). PRIM, comme son premier concurrent, le Vidéographe, veut aussi bien produire que diffuser; ainsi, en 1983-1984, PRIM propose 68 titres partagés entre 52 artistes. Mais, dès le début de l’ouvrage, Jean Gagnon sait bien reconnaitre le rôle séminal, dès 1971, et un peu mythique, du Vidéographe (situé rue St-Denis, avec Robert Forget comme premier grand timonier). Cependant, le vécu et les connaissances de Gagnon l’amènent à mieux éclairer l’importance de Véhicule Art, puis de PRIM (toujours en existence).

Pour une histoire de

la vidéo d’art au Québec

  Il va de soi que l’auteur ne peut pas prétendre parler de tout ce qui s’est fait en vidéo au Québec.  Mais il a une expérience concrète du phénomène, en particulier durant les années 80-90.  Dans les faits, Jean Gagnon est certainement l’auteur le plus qualifié pour rédiger cette partie de l’histoire de l’« art vidéographique » (comme il le dit lui-même) au Québec. Ainsi, il a été directeur des collections de la Cinémathèque québécoise. Puis, on le retrouve au Conseil des Arts du Canada, et au Musée des Beaux-Arts du Canada où il est le Conservateur des arts médiatiques; à ce titre, il va programmer de la vidéo d’art (avec très souvent des programmes papier), le tout entre 1988 et 1998. Jean Gagnon poursuit son travail en étant, actuellement, le Président du conseil d’administration de la revue Ciel variable tout en travaillant au Centre d’accès et de distribution d’art vidéo V/Tape.    Cette connaissance du terrain va donc lui permettre de nous donner une grande quantité d’informations sur l’histoire générale de cette discipline artistique.

   Dans la seconde partie de l’ouvrage, il fait encore mieux en brossant un tableau des divers genres développés par la vidéo au Québec.  Aussi bien celle plus sociale ou politique du premier Vidéographe que les nombreuses expériences de vidéos musicales et de vidéos d’avant-garde. Jean Gagnon connaît bien, et nous amène alors aussi à mieux connaître les principaux auteurs de notre histoire de la vidéo :  Jean Décarie, Bernar Hébert, Chantal du Pont. Michel Lemieux, Marie Chouinard, Luc Bourdon, Luc Courchesne, Alain Thibault, Robert Morin, Suzy Lake.  C’est en se référant à tous ces créateurs que le titre du livre, «Vidéocaméléon» trouve tout son sens; encore que Gagnon nous dit qu’il a songé au titre Transvidéo. En 2022 alors que les notions de « trans » sont partout il faut dire que ce mot aurait pu effectivement bien décrire la gestation polymorphe de la vidéo d’art.  La vidéo d’art, tout au moins dans la période considérée par Jean Gagnon, est bien un objet transitoire et fluctuant. Cette vidéo d’art est issue de l’influence de la peinture et des Beaux-Arts en général (artistes visuels, peintres et sculpteurs), ou alors du théâtre d’avant-garde.

Mais entretemps, le travail de recherche et de constat de Jean Gagnon va demeurer; ce travail décrit bien le grand moment, « incandescent » selon le texte de préface de Peggy Gale, des années 70-90 de la vidéo d’art au Québec. 

   Il y a aussi la grande section sur la vidéo-musique, comme préfiguration des Arts numériques. Gagnon consacre tout un chapitre sur la vidéo des plasticiens, ces créateurs qui savent intégrer musique et art abstrait. Cet ouvrage contribue donc à l’existence d’une historiographie des différentes pratiques de l’art vidéo au Québec. Un jour, d’autres groupes, comme des groupes féministes en particulier, pourront y ajouter leur fion. Mais, pour l’instant, on peut considérer qu’il y a ici une très bonne base pour cette historiographie, un ouvrage précieux.

   Dans le dernier chapitre Jean Gagnon se questionne sur le présent et, surtout, le futur du médium (la vidéo) devenu média (le vidéo) qu’est la vidéo d’art. Il constate que celle-ci a toujours eu de la difficulté à bien se définir, à se trouver une « niche définitive » en tant qu’art autonome.  On verra bien.

Mais entretemps, le travail de recherche et de constat de Jean Gagnon va demeurer; ce travail décrit bien le grand moment, « incandescent » selon le texte de préface de Peggy Gale, des années 70-90 de la vidéo d’art au Québec. En complément au livre, nous avons une liste des films que la Cinémathèque québécoise rend disponible (34 vidéos numérisées) et qui viennent bien compléter le portrait que le livre brosse.

Jean Gagnon
Vidéocaméléon : Chroniques de l’art vidéo au Québec,
de Vidé Véhicule à PRIM Vidéo, 1972-1992
(Collection « Nitrate »)

Montréal : Somme toute, 11-2021
320 pages
[ Illustré ]
ISBN : 978-2-8979-4237-3
Prix suggéré : 27,95 $

ÉTOILES FILANTES
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