Joël Beddows

ENTREVUE.
[ SCÈNE ]

par Élie Castiel

Nous avons rencontré le metteur en scène Joël Beddows en attente des représentations de Solstice d’hiver, du dramaturge Roland Schimmelpfennig, une des propositions majeures de la saison au Prospero. Confinement oblige, les soirées du 11 au 29 janvier 2022 ont été annulées. La même équipe présentera néanmoins le même spectacle au Berkeley Street Theatre de Toronto, du 4 au 12 février, avec surtitres anglais.

En quelque sorte, la pièce de Schimmelpfennig est politique, situant les personnages dans un décor festif, celui de la veille de Noël, au cours de laquelle les idées, les réflexions existentiels, les faux-semblants et tout ce à quoi on ne s’attend pas jaillit de toutes parts, tacitement peut-être, mais assez pour placer les hôtes et les convives dans des microcosmes en forme de huis clos, qui tout autant transformateurs. Sous des dehors anodins, se cachent un désir, avoué ou pas, de personnages rêvant du « c’était mieux avant ». Les débats actuelles sur les présidentielles dans l’Hexagone nous en jettent plein la vue. Jusqu’à ne plus croire en rien. Qui sont ces personnages créés par la plume de Schimmelpfennig?

Quelques minutes avec Joël Beddows.

Le choix

des apparences

Joël Beddows
Crédit : JF Le Chasseur

De 2016 à 2021, vous êtes Directeur artistique du Théâtre français de Toronto. Comment expliquez-vous cet engagement ?
Pour moi, le théâtre français en Ontario, ce n’est pas une cause. Je ne me sens pas militant. Je suis simplement un artiste qui travaille en « français » en Ontario, pour la simple raison qu’il est possible de le faire. Il y a des zones esthétiques qui m’interpellent et attisent ma curiosité. Je suis également originaire de l’Ontario. J’ajouterais que ce qui m’a toujours interpellé, comme créateur, c’est bel et bien la notion d’artiste-citoyen, une conception qui est très proche de moi; et quand on œuvre en français en situation minoritaire, l’importance communautaire, au sens positif de « communautaire », politique, identitaire du geste artistique résonne davantage parce que la proposition devient un geste de ralliement pour des gens qui vivent une grande partie de leur existence en anglais. Et qui cherchent à participer dans leur langue chaque fois que l’occasion se présente, quitte à susciter ces occasions. Je trouve le public en Ontario très engagé et ça me plaît… Ils sont là pour plusieurs raisons; non seulement pour l’expérience esthétique, mais aussi pour « être en communauté ». Mais sur le plan artistique, j’ai fait beaucoup de créations, du théâtre jeune-public, du répertoire classique, une variété de possibilités. Certains m’ont même dit de me limiter dans mes choix. Mais je trouve que c’est tout à fait le contraire. Je trouve le public ontarien curieux, qui me rappelle celui du Québec, cherchant toujours la part de découverte. Je ne suis donc pas un porte-étendard, mais un artiste.

Dans un sens, n’est-ce pas une tentative, sans doute inconsciente, de situer le théâtre de langue française dans l’échiquier mondiale?
J’ai toujours travaillé pour minimiser le plus possible les frontières de la francophonie. Je suis, par exemple, membre-fondateur des Transfrontaliers, un groupe de travail dans le domaine de l’art dramatique. Nous sommes un groupe de quinze personnes. Nous cherchons à créer des occasions de prises de contacts sur une échelle planétaire. Le Rwanda, la Guinée, le Maroc… Ça marche très bien jusqu’à présent. En fait, je trouve que c’est là une façon de rejoindre le parcours des imaginaires, une notion qui m’interpelle particulièrement. Dans la langue française, il existe plusieurs mythes imaginaires et non seulement un, unique. En fait, il existe plusieurs cultures de langue française. Et comme artiste de théâtre, ça permet de découvrir des textes aux multiples référents, quitte, au début, à se sentir déstabilisé.

Lab.# 3 – Solstice d’hiver.
Crédit : Prospero

Justement, qu’est-ce qui vous a attiré dans l’écriture de Roland Schimmelpfennig?
Carmen Jolin, Directrice artistique et générale du Groupe de la Veillée, et moi avons développé sur cinq ans un projet d’échange(s) entre le Théâtre français de Toronto et le Prospero. Pour ma part, je voulais présenter plus de textes contemporains à Toronto. Carmen cherchait à faire rayonner la compagnie ailleurs qu’à Montréal. Je lui ai fait part des textes contemporains qui m’intéressaient. Elle a fait vite de m’envoyer celui de Solstice d’hiver. Je m’y suis imprégné totalement. Cependant, il fallait s’assurer que la mise en scène mettait à profit les récits du texte. Il s’agit d’une écriture qui ressemble à des plaques tectoniques; les imaginaires des personnages sont aussi dissemblables que similaires. Il fallait donc trouver une façon particulière pour que chaque récit ait l’importance qu’il mérite et en même temps travailler les diverses narrations de façon à les individualiser puisque dans le texte, elles ne sont pas découpées. Donc, comment arrimer ces cinq récits avec un découpage, disons, indivisible. En fait, il s’agit de théâtre casse-tête, tiroir, qui fait appel à l’analyse. Nous sommes en quelque sorte dans une forme connue quant au récit principal, mais le texte lui-même déconstruit cette forme pour, en fin de compte, brouiller les pistes dans un premier temps, mais surtout pour nous amener à quelque chose de presque inédit, d’inusité.

Est-ce que ce jeu de formes peut-il mener à une sort d’improvisation de la part des interprètes? Je me fais l’avocat du diable.
Non pas du tout. Ce jeu nous condamne en fait à faire des choix éclairés, assumés, à prendre des décisions. Peut-être qu’il peut s’agir de mauvais choix, mais c’est un risque qu’on veut assumer. Le texte de Schimmelpfennig se situe aussi dans un croisement de la musique classique, du cinéma, des emprunts narratologiques. Le texte est un travail d’analyse très poussé autant pour les créateurs que pour les spectateurs.

Pour une raison qui m’échappe, le titre de la pièce évoque celui du film d’Ingmar Bergman, Sonate d’automne. Est-ce que cette comparaison vous a interpellé?
Effectivement, ça m’a traversé l’esprit de façon tout à fait consciente. C’est une pièce où les personnages sont toujours dans un concours d’hommages, soit aux individus ou aux formes multiples de l’art. Somme toute, il y a dans ce Solstice d’hiver, une idée de non-lieu et de non-temps. Les spectateurs découvriront un univers aussi proche qu’éloigné de leur existence.

FICHE ARTISTIQUE PARTIELLE
Texte
Roland Schimmelpfennig

Traduction
de Wintersonnenwende
par Camille Luscher & Claire Stavaux

Mise en scène
Joël Beddows

Assistance à la mise en scène
Alexandra Ghezzi

Dramaturgie
Joël Beddows
William Durbau

Interprètes
Catherine De Léan, Benoît Mauffette

Louis Naubert, Gregory Hlady
Marcelo Arroyo

Diffusion @
Du 4 au 12 février 2022
Berkeley Street Theatre
(Toronto)
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